Homélie de la fête du Christ Roi donnée par Mgr Colomb à la cathédrale de Saint-Pierre et Miquelon.
Le temps de l’avent signale le début d’une nouvelle année liturgique.
Les quatre semaines qui précèdent immédiatement Noël sont traditionnellement dédiées à la méditation du mystère joyeux de la Nativité, celui de l’avènement du Verbe éternel sur notre terre. Dans son Incarnation, l’amour miséricordieux embrasse la faiblesse ( la couronne d’épines, la croix portée en procession par les enfants), la pauvreté, l’humilité ( le crèche portée en procession) de notre condition mortelle.
Le dernier dimanche de novembre a pour mission de clôturer l’année liturgique qui vient de s’écouler. C’est un dimanche d’émerveillement, d’action de grâces, propice aux bonnes résolutions, un dimanche qui nous permet de penser aux changements intervenus pour notre communauté catholique ici à Saint-Pierre et Miquelon et de leur donner un sens apostolique, missionnaire, pour nous tous frères et sœurs de la communauté, pour tous ceux qui ne sont pas ici et auxquels nous sommes envoyés…
En ce jour, l’Eglise nous associe au glorieux triomphe du Messie. La fête du Christ Roi constitue l’apogée du mystère de la Rédemption ; le renouvellement de la création commence certes avec Noël (L’incarnation du Fils « conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie », mais il se consomme dans la gloire. Lorsque ce monde fugitif passera, Jésus-Christ, qui siège à la droite du Père, «reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » et « son règne n’aura pas de fin».
Retenons trois points : 1) la solennité du Christ Roi traverse les craintes et les incertitudes qui voilent la question des fins dernières, en la plaçant sous le signe de l’espérance : membres d’un même corps, nous sommes appelés à mourir avec le Christ pour ressusciter en lui ; 2) le règne de Jésus-Christ n’est pas un concept purement symbolique et abstrait, mais une réalité terriblement concrète ; il doit illuminer l’ordre qui structure nos familles, nos sociétés, nos nations ; 3) chrétiens, nous avons pour mission de témoigner en faveur du règne de Jésus-Christ en conformant nos pensées, nos paroles et nos actes à son Évangile de vie. Nous sommes au service de la vérité et la vérité, c’est le Christ.
1) UN SIGNE DÉSESPÉRANCE.
Dieu n’a pas envoyé son Fils sur terre pour condamner mais pour sauver. Aux chœurs célestes qui, dans la nuit de Noël, annoncent au monde la naissance du Rédempteur, répondent les sept anges de l’Apocalypse, missionnés par Dieu pour détruire l’univers. Ce diptyque porte à sa plus haute expression le paradoxe de la croix. Le Fils de l’homme, élevé sur la croix, rend la vie à l’humanité pécheresse en offrant la sienne. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, nous enseigne Jésus-Christ, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perdait son âme ? » (La liturgie hébraïque comprenait trois types de sacrifice ; le plus solennel consommait l’intégralité des victimes et recevait le nom d’holocauste. Jésus-Christ est le prototype de la création puisque, « par lui tout a été fait », ainsi que l’explique saint Jean dans son prologue ; par ailleurs, il est le prototype de notre résurrection, lui, « le premier-né d’entre les morts » sur qui le péché n’a jamais eu aucune emprise). Dans la perspective du sacrifice rédempteur, l’Incarnation introduit donc la création dans une économie nouvelle qui n’est plus celle de la nature blessée par le péché, mais celle de la grâce salvatrice….
La mort de Jésus-Christ sur la croix constitue l’holocauste unique, parfait et définitif de la Nouvelle Alliance ; c’est elle qui nous ouvre les portes du ciel, restaure l’ordre créé, nous procure l’assurance du vrai bonheur, de la félicité. Tel est le sens du livre de l’Apocalypse que nous venons de lire : Jésus-Christ qui nous aime, nous a délivrés du péché par sa mort, la gloire et la souveraineté sont à lui qui vient nous rejoindre.
La royauté de Jésus-Christ est une œuvre de récapitulation, de restauration par la tête. La Bonne Nouvelle du salut rappelle à nos esprits oublieux que la vie n’est qu’une courte mise à l’épreuve, un passage au cours duquel nous sommes appelés à rendre témoignage à la vérité, car c’est sur notre témoignage pendant ce passage que nous serons jugés par un Dieu miséricordieux au soir de notre vie !
2) UNE RÉALITÉ CONCRÈTE, INDIVIDUELLE ET SOCIALE.
En 1925, quand il institua la fête du Christ Roi (vision prémonitoire à une époque troublée..), le pape Pie XI voulut mettre à l’honneur une vérité souvent méconnue d’un monde en continuelle émancipation : Jésus-Christ doit régner non seulement sur les individus, mais également sur les collectivités. Certes, son règne n’est pas de ce monde, mais étant le Créateur et le Rédempteur de l’univers, tout ce qui existe au ciel et sur terre doit en justice lui rendre un tribut de reconnaissance. Les sociétés, qu’il s’agisse de nos familles, de nos associations, de nos pays, ne peuvent évoluer dans l’indifférence à l’évangile, car la loi de Dieu n’est pas une affaire purement personnelle, mais une disposition providentielle appelée à unir, à ordonner, à sanctifier les sociétés et l’univers tout entier. Le rejet de Dieu, qu’il soit le fait d’un individu, d’un groupe, d’un état, est toujours un drame inexplicable car il conduit tôt ou tard à la transgression des préceptes sacrés, ceux de la foi d’abord, puis ceux de la morale naturelle. Dans une audience du 25 août 1999, saint Jean-Paul II relevait que, dans le contexte actuel, le péché tend à se développer sur un double plan : celui, individuel, des âmes ; celui, collectif et social, des communautés. Plus encore que le péché personnel, les structures de péché à l’œuvre dans nos sociétés profanent la conscience morale des individus en revêtant d’un habit de lumière, l’interdit, le vice, l’injustice. «Il est indéniable, écrivait saint Jean-Paul II, que l’interdépendance des systèmes sociaux, économiques et politiques, crée dans le monde d’aujourd’hui de multiples structures de péché. Il existe une terrible force d’attraction du mal qui fait juger normales et inévitables beaucoup d’attitudes. Le mal grandit et influence avec des effets dévastateurs les consciences, qui restent désorientées et ne sont même pas en mesure d’opérer un discernement. Beaucoup de personnes ressentent un sentiment d’impuissance et d’égarement face à une situation écrasante, qui paraît sans issue. Mais l’annonce de la victoire du Christ sur le mal nous donne la certitude que même les structures du mal les plus enracinées peuvent être vaincues et remplacées par des structures de bien ». C’est à cette restauration dans le Christ que doivent tendre tous nos efforts ; soyons aujourd’hui dans le monde des acteurs de la mission sociale de l’Eglise. Proclamons à temps et à contretemps que Jésus-Christ est le roi des familles, des nations : d’un droit natif puis qu’il est Dieu ; d’un droit de conquête puisqu’il nous a rachetés de la tyrannie du péché. « Qui ne proclame Jésus-Christ, disait le pape François à l’aube de son pontificat, professe la mondanité du diable », il faut choisir ! Les lois, les manifestations, les œuvres qui forment la trame de notre vie sociale seront justes dans la mesure où elles réfléchiront les principes contenus en germe dans l’Evangile. Nous mesurons la beauté de notre vie (réflexion, décisions..), notre responsabilité de citoyen pour que le règne de Dieu ne soit pas un rêve de chrétiens bien intentionnés, mais devienne la réalité de notre vie sociale.
3) LE SERVICE DE LA VÉRITÉ.
Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ! La vérité, c’est le Christ, roi par son humilité, roi pas son incarnation, roi qui ne gouverne pas, mais qui renouvelle l’univers, qui fait toute chose nouvelle. Pilate le perçoit dans son dialogue avec Jésus. Il devine que Jésus est victime d’un complot parce qu’il bouleverse l’économie du salut. Il hésite parce qu’il a peur de la foule c’est un Politique, il est au service de l’empereur. Le drame intérieur qu’il vit, c’est celui de l’affrontement entre le service de la vérité et celui de l’ordre public, entre la conscience et le devoir, entre l’état et l’homme libre ! N’est-ce pas, un jour ou l’autre, le questionnement qui nous habite, à un degré variable selon notre devoir d’état ?
Le Cardinal de Lubac disait “L’Eglise au milieu du monde, c’est l’Eglise au milieu des combats”. Chers amis, n’ayons pas peur du combat pour le royaume de Dieu, car nos armes ne sont pas celles de la violence, de la force brutale, ce sont celles de l’évangile ! Le règne de Dieu se manifeste lorsque la grâce l’emporte sur le péché, lorsque les mentalités et les structures du péché disparaissent, lorsque la culture de la mort cède la place à celle de la vie, lorsqu’est reconnue la lumière de la vérité sur Dieu, sur l’homme, sur la création.
Oui, le Christ dans son humilité est roi de vérité et d’amour dans la gloire de sa résurrection.
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes