Chaque 15 août, l’Église célèbre la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, c’est-à-dire la montée au ciel de la mère de Jésus. Cette fête mariale est l’une des nombreuses que l’on peut trouver dans le calendrier liturgique de l’année, puisque l’on dénombre une quinzaine de fêtes qui lui sont dédiées.
A l’approche de cette grande fête mariale, Frère Patrick Prétot (moine o.s.b. de l’abbaye de la Pierre Qui Vire, théologien, professeur à l’Institut Supérieur de Liturgie et ancien directeur de la rédaction de La Maison Dieu) nous propose une réflexion sur le thème : “Marie dans la liturgie : une présence au fil du temps”
Durant les premiers siècles, la piété mariale fut plutôt discrète dans son expression mais forte dans son enracinement biblique et théologique.
Le Magnificat et la plus ancienne prière adressée à Marie, le Sub tuum (Sous l’abri de ta miséricorde) constituent deux témoignages de cette sobriété primitive, toute orientée par la manifestation de la place de Marie dans le mystère du salut : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles, Saint est son nom ». Au Moyen Âge et encore après le Concile de Trente (1545-1563), cette piété va connaître un grand développement. Mais si la piété populaire a développé de nombreuses marques d’attachement à la Vierge Marie, c’est la liturgie qu’il faut interroger pour connaître comment l’Église considère la figure de la Vierge à l’intérieur du mystère chrétien. Elle le fait selon deux axes majeurs. D’une part, Marie est la Mère de Jésus, le Fils de Dieu ayant pris chair pour sauver l’humanité.
D’autre part, Marie est la figure de l’Église qui est le corps du Christ. Dans cet article nous voudrions montrer comment la liturgie façonne la piété mariale en la plaçant sous cette double référence fondamentale. Mais parce qu’il s’agit du mystère du Christ et de l’Église, la dévotion liturgique concernant la Vierge Marie s’inscrit dans le cycle de l’année liturgique, qui n’est pas seulement un cadre temporel pour les célébrations, mais plutôt un « mémorial », c’est-à-dire une mémoire qui actualise les événements du salut. La liturgie oriente donc le souvenir de Marie vers les événements du salut auxquels elle est associée.
Marie dans le mystère du Christ
C’est le mystère du Christ en tant que sommet de l’œuvre du salut, que l’Église célèbre dans la liturgie. Dès lors, le culte rendu envers la Vierge Marie n’est jamais séparable de celui du Fils. La statuaire médiévale et notamment les vierges romanes en constituent une magnifique expression. À l’inverse par exemple de la statue de Lourdes, à cette époque, on ne représente pas la Vierge seule mais toujours avec l’enfant, comme « trône de la Sagesse » : elle présente au monde le Fils de Dieu qui bénit l’humanité. Au cours de l’année liturgique, c’est avant tout les temps de l’Avent et celui de Noël qui inscrivent la piété mariale dans le mystère de l’incarnation. Durant le temps de l’Avent, Marie apparaît avant tout comme la Vierge qui a porté dans son corps le Verbe fait chair. On peut souligner qu’elle est ainsi au cœur des jours qui précèdent immédiatement la fête de Noël et notamment dans la liturgie du 4e dimanche de l’Avent dont l’oraison est bien connue car elle est celle de la prière de l’Angélus : « Que ta grâce, Seigneur notre Père, se répande en nos cœurs : par le message de l’ange, tu nous as fait connaître l’incarnation de ton Fils bien-aimé, conduis-nous par sa passion et par sa croix jusqu’à la gloire de la résurrection ».
Et bien sûr la Vierge est présente dans le temps de Noël, elle qui a donné naissance au Fils de Dieu. Mais cette mémoire n’est pas d’abord guidée par une forme d’attendrissement devant la scène touchante de la Nativité. En réalité, la liturgie de Noël ramène vers le mystère même du Christ, Dieu fait homme. En Marie se noue la rencontre de l’humanité et de la divinité. « Il est né d’une femme » : cette formule de la lettre
de Paul aux Galates (Ga 5, 4) qui résonne huit jours après Noël, dans la liturgie de la fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, au 1er janvier, résume bien la place de la Vierge dans le cycle de l’Incarnation.Avec « fierté », comme le souligne l’oraison après la communion de cette fête, l’Église salue la Vierge Marie à la fois comme Mère de Jésus, le Fils unique de Dieu, et comme Mère de l’Église, cette Église qui est le corps du Christ. Le mystère de l’Incarnation se déploie encore dans deux autres fêtes mariales : la Visitation au 31 mai et la Nativité de la Vierge Marie au 8 septembre. La fête de la Visitation commémore l’un des événements qui ont accompagné la naissance de Jésus, à savoir la rencontre entre Marie et Élisabeth, au cours de laquelle Élisabeth reconnaît en Marie la « bénie entre toutes les femmes », celle dont le fruit des entrailles est « béni ». L’Évangile de la fête (Lc 1, 39-56) est comme l’écrin du Magnificat, l’hymne d’action de grâces de « l’humble servante » du Seigneur. On soulignera que, chaque soir à Vêpres, la liturgie des heures fait retentir ces paroles de Marie à la Visitation parce que l’Église s’identifie à la Vierge qui célèbre les merveilles que Dieu fit pour elle. La fête du 8 septembre mérite attention car il n’est pas habituel de célébrer la « naissance » d’un saint. La fête d’un saint est habituellement fixée à sa « naissance au ciel » c’est-à-dire à sa mort. Pour Marie, comme pour Jean-Baptiste, dont la naissance est fêtée au 24 juin, il en va donc autrement : par-là, la liturgie manifeste que la naissance de Jésus est comme précédée par deux naissances qui, chacune, désignent le caractère unique de la naissance de Jésus. On comprend pourquoi la tradition a parfois désigné la fête de la Nativité de la Vierge Marie comme « l’aurore du salut », de même que la fête de la Nativité de Jean-Baptiste est celle de la naissance du précurseur. Dans cet ensemble, la fête de l’Annonciation au 25 mars occupe une place à part.
Depuis le Moyen Âge surtout, cette fête était considérée comme une fête mariale : on soulignait par là le rôle de Marie dans l’Incarnation et la date, 25 mars, soit neuf mois exactement avant Noël, en faisait une sorte de réplique mariale de la fête de Noël. La réforme liturgique de Vatican II a voulu retrouver le sens patristique de la fête et c’est pourquoi on parle désormais de la solennité de « l’Annonciation du Seigneur ». La fête du 25 mars fait donc mémoire de l’Évangile – la bonne nouvelle – mais sous l’angle fondamental dont le verset du Prologue de l’Évangile de Jean donne la clef : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jn 1,14, verset précédant la proclamation de l’Évangile). L’Annonciation célèbre le mystère d’un Dieu éternel qui entre dans le temps des hommes, et d’un Dieu qui se fait chair pour se faire conversation avec l’humanité.
Marie dans le mystère de l’Église
Si comme nous venons de le voir, plusieurs fêtes mariales sont reliées au mystère de l’Incarnation, d’autres fêtes exaltent en Marie la figure de l’Église en marche vers le Royaume. C’est notamment le cas de l’Assomption (15 août) et de l’Immaculée Conception (8 décembre). Le 15 août, l’Église célèbre en Marie la première des rachetés, parvenue par la grâce du Christ dans le Royaume que le Sauveur a inauguré par sa Pâque. De même que l’Ascension célèbre l’entrée du Christ dans sa gloire, le 15 août, l’Église contemple celle qui la « parfaite image de l’Église à venir », l’« aurore de l’Église triomphante » et qui ainsi « guide et soutient l’espérance » du peuple « encore en chemin ». Marie montre le chemin vers la gloire de la résurrection. La fête de l’Immaculée Conception correspond à une même dynamique.
En célébrant l’affirmation dogmatique que la Vierge Marie a été « préservée » des « séquelles du premier péché », l’Église célèbre en Marie le mystère de sanctification de l’humanité accomplie dans la Pâque du Christ. En Marie, dit la Préface2, « tu préfigurais l’Église, la fiancée sans ride, sans tache, resplendissante de beauté » qui demeure « l’idéal de la sainteté ». De même qu’en célébrant tous les saints lors de la fête du 1er novembre, l’Église rappelle que tous sont appelés à la sainteté, de même la fête du 8 décembre contemple en Marie « préservée du péché par une grâce venant déjà de la mort de ton Fils » (oraison d’ouverture) celle qui annonce cette sainteté fruit de la Pâque de son Fils. Mais en définitive, toutes ces fêtes et notamment les plus importantes orientent de manières diverses vers le centre du Mystère, qui est le Christ, comme l’exprimait Paul VI dans l’Exhortation apostolique Marialis Cultus du 2 février 1974, un texte fondamental qui demeure l’un des repères majeurs sur le sujet : « Le Christ est le seul chemin vers le Père (cf. Jn 14, 4-11). Le Christ est le modèle suprême auquel le disciple doit conformer sa propre conduite (cf. Jn 13, 15), jusqu’à éprouver les mêmes sentiments que lui (cf. Ph 2, 5), vivre de sa vie et posséder son Esprit (cf. Ga 2, 20 ; Rm 8, 10-11) : l’Église a enseigné cela de tout temps, et rien, dans l’action pastorale, ne doit obscurcir cette doctrine. Mais l’Église, enseignée par l’Esprit et riche d’une expérience séculaire, reconnaît que la piété envers la Vierge, subordonnée à la piété envers le divin Sauveur et en liaison avec elle, a également une grande efficacité pastorale et constitue une force pour la rénovation de la vie chrétienne »
(n. 57).
Si la liturgie invite à célébrer la Vierge Marie, c’est parce que l’Église animée par l’Esprit Saint qui a couvert de son ombre la Vierge à l’Annonciation et qui lui a inspiré le chant du Magnificat, a entendu la Parole de Jésus aux Noces de Cana : « Faites ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5).
La liturgie fait donc de la piété mariale une forme de la vie dans l’Alliance. Elle ramène ainsi au cœur de la tradition biblique, celle sans laquelle la piété chrétienne perdrait son enracinement fondamental.
Patrick Prétot, o.s.b.
Article publié sur le site www.catechese.catholique.fr
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