Temps de réconciliation pour former un seul corps et regarder la vie, l’humanité et le monde du haut de la croix
En ce temps de Carême la liturgie nous montre le visage de tendresse du Dieu de miséricorde qui pardonne, sauve et rassemble. A celui qui en appelle à la grande miséricorde de Dieu, à la suite du psalmiste, le Dieu de la nouvelle et éternelle Alliance répond : “Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés” et tous les hommes ainsi réconciliés ne feront plus qu’un en Christ élevé sur la croix. Nous sommes invités à donner à notre vie la hauteur de la croix.
Le temps de la réconciliation
Quel serait finalement le sens de notre carême sans la réconciliation dans sa double dimension de réconciliation avec Dieu et avec nos frères ? L’Eglise nous invite par le sacrement du pardon à rentrer pleinement et en vérité dans cette démarche de réconciliation, non pas pour obéir à une loi morale, à une habitude pieuse, mais bien plus profondément pour découvrir qu’au fond de notre cœur, existe une part plus sombre, celle qui faisait dire à l’apôtre Paul : “Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans l’être de chair que je suis. En effet, ce qui est à ma portée, c’est de vouloir le bien, mais pas de l’accomplir. Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas” (Rm 7, 18-19).
Cette part, Dieu la connaît bien, depuis Adam, depuis Caïn et Abel, depuis la longue chaîne des prophètes persécutés, depuis Jésus surtout, mais pourtant il ne répugne pas à faire alliance avec nous, à la condition que, avec le psalmiste, nous lui adressions cette prière “Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense”. Plus que le pardon, Dieu nous offre l’oubli de nos fautes. A celui qui confesse sa faute, Dieu ne dissimule pas sa face. Sur le chemin d’Emmaüs, Jésus n’a pas un mot de reproche pour ses disciples qui se sont cachés, qui ont fui ou même qui ont renié, qui doutent. Il leur donne la paix et avec elle il les fait entrer dans la miséricorde de Dieu, dans le pardon, pour leur désigner la mission de confiance qu’il leur donne, œuvrer après lui à rassembler les hommes.
Pour ne former qu’un seul corps
“Quand j’aurai été élevé de terre j’attirerai à moi tous les hommes” tel est la volonté du Père accomplie en Jésus. Le dessein du Père est bien de sauver toute l’humanité pour la rassembler en un seul peuple dont le Christ est la tête. Pour cela, Jésus donne librement sa vie et il nous invite à offrir notre propre vie afin que là où il est, c’est-à-dire auprès du Père, nous soyons aussi avec lui. En Jésus, croyons-le, notre vie est féconde. Il n’y a pas de petites actions, il n’y a pas de peines et de souffrances inutiles, il n’y a pas d’annonce de l’Evangile inutile car tout est préparation au Royaume qui vient.
L’amour divin nous est offert, comme il est offert aussi à tous les hommes et notre mission est de faire connaître au monde cette passion de Dieu pour l’humanité. Pardonnés, réconciliés, nous le sommes pour nous-mêmes et pour notre salut mais nous le sommes tout autant pour notre frère qui ne connaît pas Dieu, qui s’est éloigné de l’Eglise, qui attend sur le seuil, notre frère qui a faim et soif de paix, de pardon et d’espérance, notre frère païen aussi. Nos frères, ce sont aussi les Grecs de l’évangile que nous venons de lire et demandent à Philippe : «nous voudrions voir Jésus».
Regarder la vie, l’humanité et le monde du haut de la croix
« Nous voudrions voir Jésus », c’était la demande des Grecs à Philippe, c’est la nôtre ! Que répond Jésus à Philippe et à André qui lui transmettent la demande des pèlerins grecs venus à Jérusalem pour la Pâque. Il leur montre le chemin qui est le sien, le chemin de la croix : « Si le grain de blé meurt, il porte beaucoup de fruits… Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ».
Les martyrs de La Rochelle, martyrs de la haine de la foule, que nous vénérons tout spécialement aujourd’hui dans notre cathédrale Saint Louis, les martyrs des Carmes et parmi eux, le Bienheureux Louis de la Rochefoucauld, dernier évêque de Saintes, les martyrs de Chine, ceux de l’Irak, les martyrs des pontons de Rochefort, notamment le Bienheureux Souzy et ses compagnons béatifiés par le pape Jean-Paul II, que nous honorons chaque année en août sur l’île Madame, dans notre diocèse, tous ces martyrs étaient nourris de la Parole de Dieu. Une parole qui ne se contente pas de nous instruire, comme nous rappelle la lettre aux Hébreux, mais nous révèle à nous-mêmes, tels que Dieu nous voit, tels que nous sommes en vérité (avec le bien et le mal en nous). Elle nous aide à discerner ce qu’il y a de plus intime au cœur de chacun. Si nous l’accueillons, elle devient pour nous «source de vie», elle nous donne le discernement, la sagesse et illumine notre vie. Elle nous donne le courage et la force de progresser sur le chemin du bien et de l’amour.
Si nous n’en tenons pas compte, alors nous aurons des comptes à rendre parce que nous aurons vécu dans le mensonge, l’hypocrisie et la lâcheté. Les martyrs sont des visionnaires, en avance sur leur temps, ils ne vivent pas au rythme des sondages, contrairement à certains. Ils regardent leur vie à la lumière de l’évangile et leur vie dans l’éternité a plus de prix pour eux que le confort immédiat, les mondanités passagères et superficielles, la reconnaissance populaire. La vie dans l’esprit, la vie éternelle a plus de prix pour eux que la vie présente lorsqu’elle repose sur la compromission et le manque de courage. Les bourreaux passent aux oubliettes de l’histoire, les martyrs sont des lumières qui éclairent notre chemin.
L’humanité n’a pas besoin d’un nouveau discours sur le salut, elle a besoin de Baptisés qui vivent leur foi, qui vivent de la sagesse du Christ. N’ayons pas peur du monde, n’ayons pas peur de notre faiblesse, l’esprit saint nous donne la force et la joie de présenter le Christ à nos contemporains. Si nous avons un peu du courage des martyrs, nous serons sel de la terre et lumière pour le monde.
Le témoignage de nos frères martyrs nous rappelle, selon les mots du Pape François lors de sa première homélie à la Chapelle Sixtine, que notre mission de baptisés est de marcher, d’édifier et de confesser. Nous ne pouvons le faire vraiment qu’en prenant la croix du Christ. “Quand nous marchons sans la croix, disait-il, quand nous édifions sans la croix, et quand nous confessons un Christ sans croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur, nous sommes mondains”.
Frères et sœurs, le témoignage de nos bien-aimés martyrs doit nous donner le courage, je cite encore le Saint-Père, “de marcher en présence du Seigneur, avec la croix du Seigneur ; d’édifier l’Église sur le sang du Seigneur, qui est versé sur la croix ; et de confesser l’unique gloire : le Christ crucifié. Et ainsi l’Église ira de l’avant”.
Aux Grecs qui veulent voir Jésus, notre Seigneur répond : «l’heure vient où le Fils de l’homme doit être glorifié». Cette glorification, nous en connaissons la hauteur, c’est la hauteur de la croix : «quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes». Frères et sœurs, prenons de la hauteur, que le Seigneur nous préserve d’une vie médiocre. A la demande de Jésus : «Père, glorifie ton nom !», la voix venue du ciel répond : « je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » et le Seigneur ajoute : « ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous », c’est pour nous aujourd’hui. La gloire que Dieu nous propose, ce n’est pas celle des vedettes que les foules vont voir, comme les Grecs voulaient voir Jésus, la gloire qui nous est offerte c’est celle de la croix, car elle est chemin de résurrection, chemin de la vraie vie. Comprenne qui pourra !