Vers une sobriété heureuse : la lettre pastorale de Mgr Colomb

9 Mai 2020

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Chers frères et sœurs,

Dans la lettre que j’ai envoyée aux prêtres le Jeudi saint, j’ai attiré l’attention sur quatre points, notamment sur le fait que l’Eglise peut et doit accompagner le mouvement de la ‘sobriété heureuse’. C’est ce thème que j’ai souhaité développer dans la lettre que je vous adresse aujourd’hui, alors que nous approchons d’une période de déconfinement et que la Semaine Laudato si’, célébrée du 16 au 24 mai 2020 doit nous encourager à développer les initiatives en faveur de la « Sauvegarde de la Maison commune », selon la formule du pape François dans son encyclique. Cette semaine spéciale, parrainée par le Dicastère pour le service du développement humain intégral, marque le 5e anniversaire de la publication de cette encyclique.

La lettre pastorale que je vous envoie aujourd’hui se fonde sur une conviction : le changement de notre rapport à la Création ne pourra être effectif qu’à la condition que nous entrions dans un chemin de conversion de notre rapport au réel qui nous fasse passer d’une société de l’avoir à une société de l’être, d’une société de consommation effrénée à une société ayant le souci du respect de notre planète, d’une société d’égoïsme et de chacun pour soi à une société du don, de la présence à l’autre, particulièrement au plus fragile, bref d’une société qui s’inspire de l’Evangile. Une telle conversion ne peut que s’enraciner dans une vie spirituelle qui nous donne à contempler le Dieu Père et qui restaure en nous les trois « relations vitales » dont parle le pape François « la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre » (LS n°66).

L’annonce renouvelée de l’Evangile au XXIe siècle ne peut faire fi de la dimension écologique qui porte en elle le souci de la préservation des ressources essentielles à la vie, gage de paix et de sécurité pour notre monde. Afin de nous aider à parcourir ce chemin de conversion et à initier des actions concrètes, j’ai nommé deux délégués diocésains à l’écologie intégrale : Madame Marie Remy et Monsieur Jean-Marie Marchand, diacre permanent. Ils nous aideront à relever dans notre diocèse ce nouveau défi que la modernité lance à notre Eglise, un défi exaltant qui va nous conduire à approfondir un peu plus notre relation au monde, aux autres et à Dieu.

Avançons sans peur car l’Esprit de Jésus Christ ne nous abandonne pas : « l’Esprit Saint possède une imagination infinie, propre à l’Esprit divin, qui sait prévoir et résoudre les problèmes des affaires humaines, même les plus complexes et les plus impénétrables », disait le saint pape Jean-Paul II (catéchèse du 24 avril 1991). Mettons-nous à l’ouvrage sans tarder car l’urgence nous presse d’agir et Dieu a besoin de chacun de nous !

Grandir sobrement et joyeusement,
c’est vivre de manière eucharistique !

« La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété,
et une capacité de jouir avec peu »
(Pape François, Laudato si’ n°222)

Notre terre et notre société sont malades. Ces deux crises, écologique et humaine, apparaissent de plus en plus comme indissociables. La crise sanitaire que nous traversons à cause de la pandémie du Coronavirus sonne comme un nouvel avertissement pour l’humanité en ce début de XXIe siècle, comme un signe supplémentaire.

C’est à cause de cette pandémie que la rencontre des jeunes entrepreneurs et économistes chrétiens prévue à Assise du 26 au 28 mars 2020 a dû être reportée. Elle avait pour thème ‘L’économie de demain, respectueuse de l’humanité et de l’environnement’. Le pape François proposait de réfléchir à une économie de la vie, une économie inclusive qui humanise et prenne soin de la Création au lieu de détruire l’homme et la nature.

Il y a urgence. Il nous faut repenser nos modes de vie, interroger nos priorités, redéfinir nos objectifs pour préparer aux générations à venir une terre habitable et des temps de paix. Il faut nous projeter dans l’avenir, penser à l’héritage que nous laisserons aux générations suivantes.

Chacun de nous est invité, pour lui-même, pour sa famille, pour les groupes auxquels il appartient à vivre une prise de conscience de la gravité de la situation et de la nécessité d’une « conversion qui nous unisse tous » (Laudato si’ LS n°14) en vue d’une action responsable.

« Ce qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer dans une révolution culturelle courageuse », pour une « écologie intégrale » qui à la fois préserve la Création, mène le combat pour la justice envers les pauvres et redécouvre un chemin intérieur de paix et de joie (LS n°114).

La voie de la sobriété apparaît comme le seul chemin. Reste à en définir les modalités pratiques. L’Eglise peut et doit accompagner le mouvement de la « sobriété heureuse ». Porteuse d’une tradition pluri millénaire d’un art de vivre tourné vers l’essentiel, elle s’est engagée de manière décisive en faveur d’une « saine croissance » selon les mots du pape François dans l’encyclique Laudato si’ (n°193), saine croissance qui n’est pas décroissance !

Pour le pape François la sobriété, pour être libératrice, est d’abord une attitude spirituelle qui s’enracine dans une vie de foi et de prière : « La spiritualité chrétienne propose une autre manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation. […] Il s’agit de la conviction que ‘moins est plus’. […] La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété… C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas » (LS n° 222).

La sobriété et l’histoire du Salut

Certains ont pu dire du judéo-christianisme qu’il porte une lourde responsabilité dans l’exploitation de la nature par l’homme. Ce reproche se fonde sur le récit même de la Création tel qu’il nous est parvenu dans lequel Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre » (Gn 1, 26).

Le récit des origines peut être lu comme source d’un anthropocentrisme ropre à justifier l’usage immodéré que l’homme fait de la Création. Même amené à l’emploi d’intendant, l’homme garde incontestablement la première place dans la Création au sommet de laquelle il est placé, mais n’oublions pas que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, ce qui lui confère non seulement une dignité mais aussi une responsabilité éminente.

L’homme est aussi doté d’une conscience qui lui permet de distinguer le bien du mal. C’est par l’exercice de cette conscience qu’il va être amené à comprendre sa responsabilité, sa place particulière dans l’ordre de la Création, et à adapter son action.

Le monde biblique est un monde de sobriété. La terre qui produit la richesse appartient d’abord à Dieu. Peuple de bergers, de nomades puis, plus tard, d’agriculteurs, les hommes et les femmes de la Bible ne cherchaient pas à posséder plus que le nécessaire. La consommation débridée n’avait pas encore été inventée et de toute façon elle aurait été rendue impossible par la faiblesse des moyens de production et des échanges.

Les premières communautés chrétiennes eurent à cœur de perpétuer ces modes de vie, d’imiter la simplicité de la vie même de la Sainte Famille à Nazareth. L’idéal nous est dépeint par Paul : « Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31).

Les regards du croyant sont tournés vers le Royaume et son avènement. Dans ce Royaume la première place sera donnée aux pauvres. Jésus lui-même le proclame : « si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens suis-moi ! » (Mt 19, 21-22). Pour les Pères de l’Eglise, la sobriété est ce qui caractérise le croyant nouvellement converti : « autrefois nous recherchions par-dessus tout l’argent et les domaines ; aujourd’hui nous mettons en commun ce que nous avons, nous le partageons avec les pauvres », écrit Justin, martyr vers 165.

C’était bien le luxe des villes et leurs tentations que fuyaient les ermites d’Egypte dès le IVe siècle. C’est d’eux que les moines tireront les principes édictés dans leurs règles de vie, principes de modération, de simplicité. Ainsi en est-il de la règle de saint Benoît, à l’équilibre admirable, qui définit ce qui suffit et ce qui est en excès en fonction de la santé des moines, de leur âge, de la saison, des temps liturgiques, du travail accompli, invitant en toute chose à privilégier la sobriété et l’équilibre (Commentaire de la règle de saint Benoît par Sœur Christine Aptel OCSO, abbaye Notre-Dame de Saint-Joseph d’Ubexy).

Aux périodes pendant lesquelles l’Eglise se laisse rattraper par les soucis du monde, apparaissent les ordres mendiants pour ramener le peuple de Dieu à l’essentiel. Des réformateurs comme François d’Assise prônent le retour à la pauvreté évangélique. François d’Assise (1181-1226) n’avait pas l’intention de fonder un ordre religieux, mais de manière très concrète, il voulait gérer la vie des frères qui s’étaient engagés à sa suite pour l’annonce de l’Evangile. Si l’équilibre est au cœur de la vie bénédictine, c’est la fraternité offerte à tous, particulièrement aux plus démunis, qui fait la spécificité de la règle de saint François, peut-être plus que la pauvreté radicale des frères qu’elle promeut.

Ecoutons le pape François : « J’ai pris son nom [François] comme guide et inspiration au moment de mon élection en tant qu’évêque de Rome. Je crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. […] En lui, on voit à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure » (LS n°10).

Partout dans le monde chrétien des hommes et des femmes se sont levés pour rappeler l’essentiel : la recherche d’une vie simple, équilibrée, une vie tournée vers Dieu, tendue vers l’espérance du Royaume à venir et marquée par la fraternité et la solidarité envers les plus pauvres. Car l’essentiel pour le croyant n’est pas d’abord la sauvegarde de la planète. L’essentiel est de se tourner vers ce qui est éternel en usant de manière équilibrée de ce qui est transitoire.

Aujourd’hui, notamment depuis la publication de la lettre encyclique Laudato si’ en 2015, même si le souci de la préservation de la nature était déjà présent dans des textes du magistère bien antérieurs, la préservation de la nature, la sauvegarde de l’environnement sont devenues des priorités pour l’Eglise au point d’écrire, petit à petit, un nouveau chapitre à la riche doctrine sociale enseignée par elle.

N’ayons pas peur de rappeler à nos interlocuteurs l’intuition prophétique du pape François. En effet qui aurait pu imaginer, il y a cinq ans la portée de son enseignement sur l’écologie intégrale ? Interrogeons-nous : comment nous, catholiques appelés à vivre notre foi dans un diocèse, dans une paroisse, dans un mouvement pouvons-nous retrouver ces valeurs essentielles ? Comment pouvons-nous les mettre en oeuvre concrètement ?

La sobriété dans l’Eglise de notre temps

Sans entrer dans le débat de spécialistes autour de la question de la croissance (existe-t-il une ‘bonne’ croissance’ ou la croissance est-elle en elle-même porteuse des germes de la destruction de la planète et de l’homme ?), l’Eglise peut, dès maintenant, proposer des pistes pour vivre la sobriété heureuse prônée par Pierre Rabhi, romancier, agriculteur et pionnier de l’agroécologie.

Qu’est-ce que la sobriété heureuse ?

La sobriété heureuse est un mode de vie qui implique pour les individus et les communautés une réduction volontaire de la consommation afin de réduire l’empreinte que les activités humaines laissent sur la planète, ses ressources, sa faune, sa flore… La sobriété heureuse se réfère implicitement à des valeurs données pour essentielles ou du moins supérieures aux seuls intérêts et plaisirs individuels : préservation de la nature, bien-être du plus grand nombre, justice sociale, préservation de la paix… Le croyant ajoutera à cette liste non exhaustive le respect de la Création bénie par Dieu, la protection des faibles, le partage juste des ressources et des richesses tel que revendiqué par les prophètes, porte-paroles de Dieu lui-même.

Les questions préalables :

Parler de sobriété heureuse, c’est manier un paradoxe. La sobriété est le plus souvent associée à la privation volontaire, au retrait de la vie du monde, au rejet de la consommation. Pour l’homme contemporain, habitué à consommer dans les pays les plus riches ou privé de tout dans les pays les plus pauvres, cela n’est pas spontanément synonyme de bonheur !

Si la sobriété peut être heureuse c’est parce qu’elle contient en germe la promesse d’un bonheur plus grand, d’un accomplissement plus humain et universel plus vaste, la révélation de la beauté du monde telle que revendiquée par Pierre Rabhi lui-même :

« En même temps que le réenchantement du monde que nous aurons à accomplir, la beauté étant à l’évidence une nourriture immatérielle absolument indispensable à notre évolution vers un humanisme authentique, nous devons également et impérativement trouver une façon juste d’habiter la planète et d’y inscrire notre destin d’une manière satisfaisante pour le cœur, l’esprit et l’intelligence. J’entends par beauté celle qui s’épanouit en générosité, équité et respect, la beauté de l’âme ! Celle-là seule est capable de changer le monde, car elle est plus puissante que toutes les beautés créées de la main de l’homme, qui, pour foisonnantes qu’elles soient, n’ont pas sauvé le monde et ne le sauveront jamais. En réalité, il y va de notre survie. » (Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, Actes Sud, 2013).

Rentrer sur le chemin de la sobriété heureuse, c’est d’abord poser un constat et se poser quelques questions, individuellement et collectivement, puis tenter d’y répondre le plus honnêtement possible.

Le constat est accablant. Il peut se résumer en deux chiffres : aujourd’hui 1/5e de la population du monde consomme les 4/5e de ce qui est produit, polluant, dégradant l’environnement, creusant les inégalités. En effet, ce déséquilibre engendre la misère, la faim et la guerre, avant même que l’épuisement des ressources et le réchauffement climatique n’anéantissent toute vie sur des aires entières de notre planète. La solution ne peut pas être dans un accroissement de la consommation des pays les plus pauvres car il faudrait la production de plusieurs planètes chaque année pour satisfaire ces besoins ! Il s’agit donc pour nous, pays riches, d’opérer une prise de conscience qui va se traduire dans nos choix de consommateurs.

Quelques questions simples peuvent nous aider à opérer le discernement nécessaire :

  • Comment, individuellement et collectivement, voulons-nous vivre et selon quelles valeurs ?
  • Comment, individuellement et collectivement, pouvons-nous nous mettre à l’écoute de ce que le pape François appelle « la clameur de la terre, la clameur des pauvres » (LS n°49) pour sortir de la « culture du déchet [qui] affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordure » (LS n°22) ?
  • Pouvons-nous discerner le nécessaire du superflu, alléger nos vies de de qui les encombre ?
  • Comment devenir davantage conscients des implications de nos actes de consommateurs, de la fabrication du produit consommé, à sa distribution et au-delà lors son recyclage ? Comment mieux consommer (proximité, sobriété) ?
  • Quelles activités puis-je abandonner ou réduire, pouvons-nous
    collectivement abandonner ou réduire, afin de dégager le temps
    nécessaire à un approfondissement de nos engagements ecclésiaux,
    politiques, associatifs, sociaux, de notre vie de prière et spirituelle ?
  • Comment mieux communiquer au travail, en famille, en Eglise ?
  • Où est mon bonheur, celui de ma paroisse, celui de ma cité, celui de ma famille, celui de mes parents âgés, celui des enfants à naître ?
  • Comment fédérer nos forces, nos compétences, pour avancer ?
  • Que vont retenir les générations futures de nos comportements ?

Des réponses que nous donnerons, individuellement et collectivement à ces questions dépendent l’avenir de notre planète et l’avenir de l’homme. Là où le pape Paul VI avait mis en avant l’importance du « développement intégral de l’homme » (lettre encyclique sur le développement des peuples Populorum progressio en 1968), le pape François propose une « écologie intégrale ». Concrètement de quoi s’agit-il ?

L’écologie intégrale comme réponse aux crises contemporaines

Gardons présent à l’esprit que nous sommes en train d’écrire une page de l’histoire. Cette distanciation est importante pour éviter les écueils, pour éviter de s’échouer dans le marécage des commentaires contradictoires qu’a pu susciter la publication de l’encyclique Laudato si’, vue par certains comme la continuation d’une position dogmatique de l’Eglise face au progrès alors que d’autres ont pu y lire la solution à toutes les crises. Le pape François lie intimement crise environnementale et crise sociale. Il s’agit bien sûr de sauver notre planète menacée par de nombreux maux, mais peut-être surtout de sauver l’avenir de l’humanité.

L’urgence est double, sauver la planète pour sauver l’homme. Pour cela, le pape François nous presse de mettre en oeuvre l’écologie intégrale qui suppose une « conversion intégrale de la personne » (Laudato si’ n°218), conversion du cœur et de l’intelligence destinée à purifier le cœur des hommes marqué par le péché :

« La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants » (LS n° 2). Ce message n’est-il pas d’actualité ?

Il s’agit :

  • d’interroger notre rapport au « paradigme technocratique dominant » qui conduit à appréhender toute chose, y compris l’être humain, sous le rapport de l’utile (LS n°103, 106, 114) ;
  • de mettre en dialogue l’économique et la politique afin de ne pas laisser au premier le dernier mot sur toutes choses (LS n° 189) ;
  • de réduire les inégalités (LS n° 138-142) ;
  • de sauvegarder les richesses culturelles (LS n° 143-146) ;
  • d’agir au quotidien (LS n° 147-155) en intervenant notamment sur la
    cadre de vie.

Ce point prend un relief tout particulier à l’heure du confinement, épreuve trop souvent synonyme d’isolement et d’exclusion ! Ecoutons le pape François :

« Le cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre maison, sur notre lieu de travail et dans notre quartier, nous utilisons l’environnement pour exprimer notre identité. Nous nous efforçons de nous adapter au milieu, et quand un environnement est désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et auditive, l’excès de stimulations nous met au défi d’essayer de construire une identité intégrée et heureuse ».

« La sensation d’asphyxie, produite par l’entassement dans des résidences et dans des espaces à haute densité de population, est contrebalancée si des relations humaines d’un voisinage convivial sont développées, si des communautés sont créées, si les limites de l’environnement sont compensées dans chaque personne qui se sent incluse dans un réseau de communion et d’appartenance. De cette façon, n’importe quel endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre d’une vie digne » (LS n° 148).

Comment pouvons-nous œuvrer à l’amélioration de notre cadre de vie :

  • pour y substituer beauté, simplicité, fonctionnalité, à l’accumulation
    d’objets, d’images, de bruits ;
  • pour y vivre de vraies solidarités ;
  • pour passer de la communication à la communion ;
  • pour que se tissent des liens d’amour, de fraternité, de partage qui mettent en échec toutes les tentations de violence, d’égoïsme et de repli sur soi ?

Tous ces objectifs (réduire les inégalités, sauvegarder les richesses culturelles, agir au quotidien…) sont à tenir ensemble pour que se réalise une écologie intégrale, héritière de l’écologie humaine du pape Jean-Paul II, mais appelée à la dépasser pour prendre soin du bien commun, de notre « Maison commune », pour s’accueillir soi-même et accueillir l’autre comme un don de Dieu. Pour Pierre Rabhi, il appartient à l’homme de prendre en compte les lois de la nature, les lois universelles qui régissaient déjà ce monde bien avant l’apparition de l’homme. La vie n’aurait jamais pu se développer sans ces deux principes simples et fondamentaux que sont la coopération et l’associativité.

Associant sa voix à celle de Jean-Marie Pelt dans un ouvrage intitulé Le monde a-t-il un sens ? (Fayard, 2014), les deux auteurs répondaient « oui » à condition de faire primer la coopération sur la compétition. Contrairement à une idée largement répandue, la nature ne fonctionne pas toujours ni exclusivement sur la compétition. La loi du plus fort peut aussi céder le pas à l’asociabilité pour privilégier des coopérations, des solidarités, qui vont dans le sens de l’évolution. Le progrès humain semble avoir abandonné ce chemin de sagesse. Il est aujourd’hui générateur de plus de disparités, d’inégalités, de malheurs que de bonheur et de paix.

Piste de travail : Le label « Eglise verte »

Initiative œcuménique, le label Eglise verte est proposé à toutes les paroisses et communautés locales. Lancé en 2017, il entend encourager chez les acteurs chrétiens, une véritable conversion écologique. Concrètement, cette initiative permet d’évaluer, d’accompagner et de rendre plus visible l’engagement des acteurs chrétiens dans la démarche et, les années suivant son obtention, la poursuite de l’action dans un processus d’amélioration continue. Il s’appuie sur l’animation d’un réseau labellisé d’acteurs engagés et sur le site internet : www.egliseverte.org

Plus de 400 communautés catholiques, protestantes et orthodoxes sont engagées dans le parcours Eglise verte.

Chaque communauté est invitée à remplir en ligne un « éco-diagnostic » comportant une centaine de questions qui permettent au groupe de situer ses pratiques sur le chemin de la « conversion écologique ». Les questions vont de la sensibilisation au respect de la Création dans la formation des jeunes à l’utilisation des énergies renouvelables. Au-delà de l’éco-diagnostic, des fiches pratiques sont proposées pour rendre nos communautés plus vertes.

Quelques exemples de réalisations :

La Maison diocésaine Père Robert Jacquinot de Saintes, nouvellement restaurée, s’est engagée dans le processus d’acquisition du label. Jonzac, Saint Aigulin, sont en cours d’acquisition. En 2019 un lycée catholique de Saint Nazaire a été labélisé Eglise verte. Le Séminaire Saint Jean de Nantes a atteint le niveau « Lis des champs ». La paroisse parisienne Notre-Dame-de-la-Croix de Ménilmontant (XXe) a installé des ruches à flanc d’église ; la Société des Missions Etrangères de Paris a fait la même chose dans son jardin de la rue du Bac, elle entretient également des plantes asiatiques apportées en France par des missionnaires botanistes.

D’autres paroisses proposent aux fidèles de choisir le vélo de préférence à la voiture pour se rendre à la messe. Les gobelets jetables et autre vaisselle en plastique ont été bannis des déjeuners et rencontres amicales. A Meudon (Hauts-de-Seine), la paroisse du Saint-Esprit a monté une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) paroissiale. Ailleurs, un foyer propose des ateliers de réparation d’électroménager, une paroisse invite à confectionner des cosmétiques maison pour Noël et une autre propose un carême sans plastique… A chacun d’inventer ses défis en fonction de la réalité locale !

Le label Eglise verte ne prétend pas apporter toutes les solutions. Il nous aide à opérer les discernements nécessaires, à avancer sur le chemin de la conversion écologique.

Pour conclure, demandons-nous quelle est l’école qui nous apprend à vivre de manière sobrement heureuse ? Sans doute est-ce la liturgie ? Toute la liturgie, bien sûr, mais, de manière excellente, la liturgie de l’Eucharistie.

D’abord, la liturgie nous demande de traverser l’épaisseur du temps consacré à Dieu et à Dieu seul, pour sa gloire et pour le salut du monde. Le temps de la liturgie est entièrement consacré à Dieu. Celui qui y participe ne recherche rien pour lui-même et c’est là qu’il goûte la plénitude que seul le Seigneur peut lui offrir.

Puissions-nous vivre le temps de manière eucharistique ! Puissions-nous ccueillir le temps comme un don que Dieu nous fait pour lui rendre toute râce et toute louange ! Puissions-nous reprendre conscience que le temps ppartient à Dieu ! Puissions-nous goûter à nouveau à la gratuité de tout ce ui nous est offert comme un don pour rendre grâce à Dieu, au-delà de tout ritère d’utilité et de rentabilité immédiate ! Puissions-nous laisser le Seigneur libre d’habiter notre temps et d’agir en notre humanité, à travers nous !

Dans l’Eucharistie, le Seigneur « a voulu rejoindre notre intimité à travers un fragment de matière. Non d’en haut, mais de l’intérieur, pour que nous puissions le rencontrer dans notre propre monde. Dans l’Eucharistie, la plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique. Elle unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la Création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine adoration » (LS n°236).

Qui célèbre l’Eucharistie, qui entre, un tant soit peu, dans le grand mystère de l’Eucharistie, ne peut vivre que de manière eucharistique… L’espace est restreint (même quand il s’agit d’une cathédrale !), l’horizon semble court… et c’est là que le cosmos est condensé, réuni, pour se recevoir du Père, par le Christ et dans l’Esprit, et s’offrir à Lui en retour, à travers le ministre configuré au Christ Prêtre et la poignée d’hommes et de femmes rassemblés autour de lui, manifestant le mystère de l’Eglise rassemblée. Il suffit de peu pour que la joie soit parfaite.

+ Georges Colomb
Evêque de La Rochelle et Saintes
La Rochelle, le 1er mai 2020, en la fête de Saint Joseph travailleur

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