Une centaine de personnes étaient réunies à la Maison diocésaine, le samedi 13 janvier 2024, pour une matinée consacrée à la question de la bientraitance.
Après la prise de conscience de l’ampleur des abus au sein de l’Eglise catholique, il a paru indispensable de travailler à former , non seulement pour que de tels abus ne puissent plus avoir lieu en faisant de l’Eglise une maison sûre, mais aussi pour promouvoir une culture de la bientraitance auprès de tous : les enfants et les jeunes, les malades et les personnes âgées ou isolées, les familles en deuil…
Dans ce but, une petite équipe composée de la responsable des laïcs en mission ecclésiale, d’une avocate, d’un psychiatre et d’un prêtre a rédigé, avec le soutien du service communication du diocèse, une charte de la bientraitance. Cette charte, qui était présentée au cours de la matinée du 13 janvier, est un outil pour tous ceux qui sont actifs au sein de l’Eglise : catéchistes, animateurs d’aumônerie, membres des aumôneries d’hôpitaux ou de prison, du Service evangélique des malades, de paroisses, d’autres services ou mouvements d’Eglise…
Mgr François Jacolin, administrateur apostolique du diocèse, a ouvert cette journée :
Je suis heureux d’être avec vous pour cette matinée importante : dans le contexte d’aujourd’hui, la bienveillance est importante, en particulier dans ce qui touche la pastorale des jeunes.
J’ai une pensée, au début de cette rencontre, pour toutes ces victimes, que j’ai encore l’occasion de rencontrer. On ne peut jamais réparer, mais il est important que l’Eglise reconnaisse et accompagne les personnes. Il n’y a pas de prescription de la souffrance. Je peux témoigner que lorsqu’on accueille simplement, humblement, avec honte je dirais, les personnes victimes, cela leur permet d’avancer sur le chemin de la résilience.
Voilà pour le passé, avec ce visage, cette souffrance de l’enfance agressée dans notre eglise. Aujourd’hui, nous sommes rassemblés pour regarder le présent et l’avenir, et faire en sorte que cela ne puisse plus se reproduire. De plus en plus, il est demandé une attitude de fond, et aussi certaines garanties et réglementations. Cela peut paraître lourd, mais c’est, en fait, pour tous ceux qui se dévouent pour l’évangélisation des enfants et des jeunes, une garantie, une sécurité pour soi-même. C’est la Charte de bientraitance que nous allons découvrir maintenant. Nous allons commencer par prier ensemble. N’ayons pas peur d’avancer dans la vérité, la vérité qui rend libre, à l’écoute de la Parole de Jésus : “Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.” (Jn 8, 31-32), libres pour aimer en vérité. Avancer dans la vérité, la conversion, la délicatesse fraternelle, la bienveillance, la vigilance aussi, et cela dans l’espérance.
Temps de prière d'ouverture
N’ayons pas peur d’avancer dans la vérité, la conversion, la délicatesse fraternelle et l’espérance !
Pour que tous les hommes puissent mener sur terre une vie digne et fraternelle, faisons monter ensemble notre prière vers le Seigneur :
Fais paraître ton jour et le temps de ta grâce,
Fais paraître ton jour, que l’homme soit sauvé !
Comme les Saints Innocents, des personnes, enfants ou adultes, marchaient avec confiance quand leur vie a été détruite.
Prions pour les victimes d’abus sexuels et demandons la charité qui ouvre des chemins de reconstruction humaine.
Des personnes faisaient confiance à ceux qui devaient les conduire au cœur de l’amour divin. Elles ont été trahies et privées de leur avenir.
Prions pour les victimes d’abus spirituels et demandons la force de vivre dans l’attention et le respect de tout homme, femme et enfant.
Comme le dit Saint Paul, « Celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber. » Que les actes commis envers les plus faibles alertent notre conscience et réveillent notre vigilance.
Prions pour les victimes d’abus de toutes sortes et, selon la recommandation du Seigneur lui-même, prions aussi pour ceux qui leur ont fait du mal, pour que jamais plus ils ne soient en capacité de nuire.
Des jeunes, des hommes et des femmes, cheminent à la rencontre du Seigneur. Que notre présence auprès d’eux et notre accompagnement fraternel soient au service de leur liberté et de leur cheminement dans la foi.
Prions pour notre Église afin qu’elle devienne une « maison sûre ».
Seigneur, nous te confions toutes les personnes qui ont été victimes de violence et d’agressions sexuelles au sein de l’Église. Viens panser les blessures, viens guérir les cœurs, viens rebâtir les personnes abîmées. Que dans les épreuves qu’elles traversent, elles puissent toujours s’appuyer sur Toi et sentir ta présence à leurs côtés. Qu’elles puissent aussi compter sur notre écoute véritable et notre soutien fraternel. Qu’à l’image de ton Fils, nous apprenions à prendre mieux soin des plus petits et des plus fragiles. Que, par le souffle de ton Esprit Saint, nous nous laissions tous transformer en profondeur pour vivre les conversions auxquelles tu nous appelles pour faire de notre Église une « maison plus sûre ». Donne-nous ton Esprit d’humilité. Avec notre engagement humble et déterminé, viens et rebâtis ton Église.
Par Jésus Christ, notre Seigneur.
Amen.
Après ce temps de prière, Céline Le Guilloux, déléguée épiscopale aux équipes pastorales, a présenté la Charte de bientraitance :
Si vous êtes venus aujourd’hui, c’est que la question des abus dans l’Église vous a touchés. Ces révélations nous ont affectés, ont parfois ébranlé notre foi et, peut-être notre confiance dans l’Église et dans ses ministères ordonnés. Mais ensemble, il nous faut garder l’espérance ! Chacun a du prix aux yeux de Dieu ! Dans nos paroisses, nous avons à cœur d’accueillir les enfants et les jeunes dans un climat bienveillant en faisant de notre Eglise diocésaine une maison sûre. Nous avons à cœur de visiter les personnes vulnérables, qu’elles soient âgées, porteuses de handicap, malades. Nous avons à cœur d’accueillir toutes les familles, particulièrement les familles en deuil.
En premier lieu nous souhaitons vous remercier pour votre engagement et votre fidélité dans la mission pastorale, parce que si vous êtes là aujourd’hui, c’est que vous prenez au sérieux votre mission de baptisé et d’annonce de l’Evangile. Les nombreuses activités des paroisses du diocèse de La Rochelle sont autant d’occasions d’ouvrir largement les portes de l’Eglise à tous. Les communautés catholiques sont notamment très attentives à l’accueil sans conditions, notamment des plus jeunes et des familles dans un environnement fraternel et spirituel adapté.
Tous ensemble, nous avons à nous engager dans une conversion personnelle et collective pour nous aider à discerner pour agir, à agir pour prévenir, à prévenir pour développer une culture de la bientraitance et de la confiance, pour ainsi mieux protéger et accompagner les jeunes et les personnes vulnérables qui nous sont confiés. Nous sommes tous invités à faire preuve de bon sens, dans ce cas-là, c’est une évidence et pas une révolution !
A la suite du Christ, nous sommes invités à être vigilants pour prendre soin des plus faibles, c’est-à-dire les accueillir, les protéger et les écouter, faire un bout de chemin avec les uns et les autres. C’est un engagement qui requiert attention et sérieux pour que chaque lieu et chaque activité pastorale soient dignes de confiance et sûres.
Ensemble nous sommes engagés sur le chemin de l’annonce de l’Evangile. Celle-ci ne se limite pas à une tâche spécifique et limitée. Elle est présente dans la mission communautaire de l’Eglise, grâce à l’Esprit Saint qui la rend audible et crédible, mais aussi par la cohérence de notre vie.
Une première étape au niveau national : Cette charte a été écrite en écho à la charte nationale de bientraitance pour la protection des mineurs, voulue par les évêques lors de l’Assemblée plénière de novembre 2021, suite au rapport Sauvé et qui a pour objectif de mettre à disposition des responsables de mouvements d’Eglise, et de toutes les personnes engagées dans une responsabilité auprès des mineurs, un support pour établir une culture de bienveillance, de vigilance et de protection. Rappelons qu’à l’origine de tout abus sexuel, il y a d’abord un abus de confiance, un abus de pouvoir.
Ce support rappelle à tous les acteurs les règles de base à adopter pour une présence ajustée envers les jeunes, tout en conservant une attitude d’éducateur chrétien, témoin de l’Evangile. Il permet une réaction rapide et efficace face à une situation délicate rapportée, rencontrée ou vue. Il sert de réflexion et de partage sur les pratiques existantes et les éventuelles adaptations à mettre en œuvre.
La bientraitance en quelques mots : La bientraitance englobe tout ce qui favorise l’épanouissement de la personne, s’adapte à ses besoins divers (psychologiques, physiologiques, affectifs …) et permet un développement harmonieux. La bientraitance est une culture inspirant les actions individuelles et les relations collectives au sein d’une structure (établissement ou service). Elle vise à promouvoir le bien-être des personnes en gardant présent à l’esprit le risque de maltraitance. Mais la bientraitance n’est pas que le contraire de la maltraitance !
Qu’est-ce que la charte de bientraitance de notre diocèse ?
Qu’est-ce qu’elle nous propose de vivre ?
Cette charte va permettre d’aider les paroisses mais aussi tous les mouvements et services de l’Eglise diocésaine, à sensibiliser les personnes sur les conduites à tenir et en premier lieu à lutter contre les abus de pouvoir. Elle est destinée aux catéchistes, aux animateurs d’aumônerie, aux personnes qui accompagnent les pèlerinages, aux aumôniers, aux religieux, aux prêtres, aux aumôneries du SEM et de la PPH, aux aumôniers dans les prisons … toutes ces personnes qui œuvrent pour l’annonce du Christ dans l’Eglise, avec les prêtres.
Ce qui est important dans cette charte, c’est plus ce qu’on va en faire que ce qu’elle est exactement. On a voulu qu’elle soit la plus simple possible, mais en même temps qu’elle soit la plus complète possible et que ce document soit un document éducatif. Nous avons voulu que ce document puisse permettre aux équipes de poser des questions, de se saisir ensemble des vigilances à tenir, des modalités pour être co-vigilants ensemble.
La charte qui vous est proposée a pour objectif de mettre à disposition de tous, un support pour établir une culture de bienveillance, de vigilance et de protection. Il s’agit d’informer pour mieux prévenir, de sensibiliser chacun à des relations justes, tout en conservant une attitude de témoin de l’Evangile. Elle permet une réaction rapide et efficace face à une situation délicate rapportée, rencontrée ou vue. Elle sert de réflexion et de partage sur les pratiques existantes et les éventuelles adaptations à mettre en œuvre, que ce soit en paroisse, en établissement scolaire, dans les services ou dans les mouvements.
Mais aussi, nous voulons montrer à toutes les personnes un peu loin de l’Eglise qui nous confient leurs enfants dans le cadre de la catéchèse ou de l’aumônerie, qui comptent sur nous pour visiter leur proche, etc … que nous sommes vigilants et que nous respectons la liberté, et la liberté de foi de chacun avec une volonté de transparence.
Voilà comment se présente cette charte : elle s’articule autour de 4 grands thèmes : la bientraitance, fonder la confiance, prévenir et agir. Ces 4 grands thèmes sont à leur tour déclinés en sous parties, que vous pourrez découvrir dans quelques instants. Parcourir la charte
Comment va-t-elle s’appliquer ?
Cette charte, elle va être remise à toutes les paroisses et à tous les acteurs de la pastorale, l’idée c’est d’en connaître les objectifs et le concept.
Elle vient compléter tout le programme pour les publics fragiles qui existe déjà dans l’enseignement catholique par exemple ou dans la pastorale de la santé.
Cette charte, elle est faite évidemment pour être travaillée en équipes !
Comment cette charte a-telle été élaborée ?
Elle a été élaborée en plusieurs étapes : la première a été de réunir un groupe de travail pluridisciplinaire qui a d’abord regardé les documents proposés par la CEF et par les autres diocèses, nous avons rassemblé une montagne de documents, que nous avons lu et qui nous ont permis de discerner petit à petit quelle est la particularité de notre diocèse et sur quels points nous souhaitions être particulièrement attentifs. C’est ainsi que nous avons voulu étendre cette charte à toutes les personnes vulnérables, pas seulement les enfants et les jeunes, mais aussi toutes les personnes fragiles ou en situation de détresse.
Nous avons avancé pas à pas, en concertation avec le Conseil Episcopal, avec la cellule écoute et avec le service communication qui nous ont soumis leurs remarques pour nous aider à faire une charte qui soit communicable et intéressante. Ce va et vient régulier et collectif a fait avancer notre travail jusqu’à l’obtention du document que vous tenez aujourd’hui dans vos mains. Et c’est la manière dont on va s’en saisir, dont on va la présenter, dont on va en discuter qui fera de cette charte un outil pédagogique, au service du bien commun.
Il nous a semblé profitable de nous inscrire dans une dynamique résolument positive ; bien sûr ce qui est interdit le reste, mais prenons le parti d’inscrire cette notion de bientraitance dans toutes nos pratiques.
Pour que chacun puisse prendre connaissance de cette charte dans les paroisses, les mouvements, les services, il nous semble important de prendre un temps d’échange ou d’organiser une activité en début comme en cours d’année pastorale, lors d’une rencontre entre équipes et de l’intégrer comme une priorité dans la formation des nouveaux bénévoles.
Après cette présentation de la Charte de bientraitance du diocèse, les participants ont écouté, avec une grande attention et une intense émotion, le témoignage d’Eric Boone.
- “La médiatisation est la seule manière de faire avancer ce genre de cas.” Eric Boone l’a fait sur les conseils de l’Ordre dominicain, et cela a permis non seulement de faire avancer son propre cas, mais aussi de permettre à d’autres victimes de parler.
- “L’Eglise a besoin de personnes extérieures pour avancer.” C’est pour Eric Boone une source de tristesse et d’étonnement, une sorte d’aventure spirituelle : Jésus, lui aussi, s’est laissé interpeler par des personnes extérieures, par des événements qui lui ont permis d’agir. Si l’Eglise prend plus d’initiatives aujourd’hui, et si la société civile s’est inspirée des actions de l’Eglise (création de la CIVIISE par exemple…), il faut reconnaître que l’Eglise catholique n’aurait pas fait tout le travail des années passées sans les médias, les associations…
- “Il reste de fortes résistances au sein de l’Eglise”, des personnes qui ne veulent pas que l’Eglise travaille sur le sujet des abus.
- Il y a une tendance dans l’Eglise à l’euphémisation, à ne pas nommer les choses : “un viol, ce ne sont pas des “gestes déplacés”. Une agression sexuelle, ce n’est pas un “manquement à la chasteté” (ou pas seulement). Parler avec des mots précis, appeler un chat un chat permet d’avancer. Il faut apprendre à parler.”
- Les procédures canoniques sont complexes, obscures, peu claires. Il est difficile d’obtenir le verdict pour les victimes.
- “Déplacer les coupables n’est pas acceptable” : cela continue encore parfois, mais c’est inacceptable. On ne résoud pas un problème en déplaçant, mais en s’attaquant à lui.
- “Il faut être attentif aux signaux faibles, prendre au sérieux la parole des victimes ou des témoins, parler de ce qui nous semble étrange, ne pas minimiser les témoignages.”
Victime d’un prêtre, ami de sa famille, qui l’a violé quand il avait 12 ans, il a expliqué son parcours avant et après cet abus. Il a raconté comment cette histoire, dont il n’avait jamais jamais parlé pendant des années, a ressurgi dans sa vie ; il nous a parlé de ses difficultés pour porter plainte, pour qu’un procès canonique puisse avoir lieu, pour connaître le verdict de ce procès. Il parle de la médiatisation nécessaire de son histoire, de son témoignage auprès de la CIASE, auprès de la police, et aussi du soutien de son évêque dans ses démarches.
Pour conclure, Eric Boone nous a fait part de quelques réflexions :
Longuement applaudi par l’assemblée, Eric Boone a été remercié par Céline Le Guilloux : “Merci pour ton témoignage bouleversant. Le silence de tous ceux qui t’écoutent, habité et compatissant, était éloquent. Merci pour ton courage, pour ta volonté de changer les choses, de remettre en question ce qui est systémique, tout ce qui peut être de l’ordre d’une habitude. C’est à cela que nous nous engageons aujourd’hui : renouveler nos façons de faire.”
Le Dr Olivier Dubois, psychiatre et directeur de la clinique de Saujon, a ensuite témoigné de son expérience des rencontres avec des personnes détruites par des agressions et des mauvais comportements. Il a participé à la rédaction de la Charte de bientraitance du diocèse. Voici quelques extraits de son intervention :
Ce sujet des abus, je ne le connaissais pas moi-même. J’en entendais parler dans mes cours, mais venant d’un environnement protégé, je ne le connaissais pas. Mais après 30 ans d’expérience professionnelle, je m’aperçois que c’est un sujet extrèmement lourd, extrèmement grave, extrèmement fréquent. Je rencontre énormément de personnes, beaucoup de femmes, violées par des membres de leur famille, qui me racontent cela à 45 ans en me disant que je suis la première personne à qui elles en parlent. C’est une chose très impressionnante : voir que les gens peuvent vivre 30, 40 ans, sans avoir pu raconter leur histoire.
Ce blocage, cette inhibition, cette impossibilité sont renforcés par cette culpabilité. J’ai vu des femmes qui me disaient, après avoir été violées, agressées physiquement : “Docteur, est-ce que c’est de ma faute ?” Cela paraît incroyable. La perte de confiance, la destruction de la personnalité… On n’est plus personne, cela atteint vraiment l’intégrité, la personne ne peut plus se construire.
Autre élément très important : les abus ont un impact sur la vie entière. C’est un événement qui peut être bref, mais qui a un impact sur la vie entière de la victime, et de l’agresseur aussi d’ailleurs. La perturbation est absolument définitive et destructrice. Certains vont peut-être s’en sortir mieux que d’autres, mais ce n’est pas parce que vous avez réussi votre vie que vous n’avez pas été marqué, dans toute votre existence, par cet abus.
Il y a une chose à laquelle il faut être attentifs. Nous sommes dans un monde de liberté, et au nom de cette liberté, on laisse les enfants libres de faire des choix. En général, il n’y a pas de difficultés, évidemment. Mais pour certains choix importants, l’enfant ne peut pas dire non. Il faut comprendre que l’enfant n’est pas en âge de discerner, il ne peut pas dire non. Et ainsi, pour ceux qui abusent des enfants, le crime est double : ils abusent de l’enfant en abusant de sa liberté.
Après l’écoute de ces deux témoignages, la Charte diocésaine de bientraitance a été distribuée à la centaine de personnes présentes pour cette matinée. Ils ont pu prendre connaissance de ce livret de 16 pages, et en discuter en petits groupes.
Après ce temps d’échanges, la cellule d’écoute du diocèse a présenté sa mission.
Denis Bourget et Didier Rougier, deux de ses membres, ont expliqué l’histoire et le rôle de cette cellule d’écoute, qui rencontre les personnes victimes ou témoins d’abus au sein du diocèse. Ils ont insisté sur la nécessité de mieux faire connaître la Cellule d’écoute au sein des paroisses.
Ont ensuite pris la parole deux intervenants du diocèse de Luçon, dont Mgr Jacolin est l’évêque : le père François Bidaud, vicaire général du diocèse, et Mme Marie-Pierre Chéreau, responsable de la cellule d’écoute.
Ensemble, ils ont présenté les actions que leur diocèse a menées au cours des dernières années, et ont expliqué le sens que prend pour eux l’accompagnement des personnes victimes d’abus.
Quand une personne victime parle, d’une certaine manière, elle revient encore sur la plaie qui cicatrise plus ou moins bien. En Amérique, les personnes victimes s’appellent eux-mêmes les “survivants”. On voit bien qu’il y a des gens qui ne s’en sortent pas. Il faut accepter de nous laisser toucher, à l’intime, par ce que nous entendons. Commencer par écouter les personnes victimes, ne pas seulement lire, mais écouter physiquement, c’est forcément déstabilisant. Si nous avons été touchés ce matin, ne laissons pas trop vite se refermer la blessure qui vient en nous. Il nous faut consentir à un certain exil, à aller sur des terrains où nous ne voudrions pas forcément aller. Pas pour être dans le pathos, mais pour toucher du doigt la profondeur de la blessure.
Il est important de le dire : ce n’est pas parce qu’au plan pénal, un fait n’est pas forcément grave, que cela ne peut pas détruire une vie. Pas de corrélation entre la gravité des faits et l’impact sur la personne, c’est l’expérience que nous avons avec un certain nombre de victimes. Un fait qui peut paraître pénalement peu grave peut, en fait, entraîner une destruction de la personnalité.
Nous sommes appelés à un changement de culture. C’est la meilleure expression que j’ai trouvé pour le moment. Il faut passer d’une culture de la confiance aveugle à une culture de la vigilance fraternelle. Quel est ce climat de confiance aveugle que l’on a pu vivre, et que l’on vit encore ? Dans les années 1950, si le prêtre disait quelque chose, on ne pouvait pas remettre en cause sa parole. Il faisait partie des notables, son statut faisait que c’était inimaginable. Un certain nombre de victimes ont parlé rapidement à leurs parents, la réponse a été une gifle. Il ne s’agit pas d’accabler les parents, mais on voit le climat de société dans lequel on a été. Cette confiance aveugle, on n’en est pas sorti. En Eglise, on aime tellement vivre ensemble par amour du Christ, on veut tellement vivre quelque chose de beau, que cela vient (de manière inconsciente ?) oblitérer les précautions. “Enfin un lieu où je vais pouvoir faire confiance, être moi-même, sans être jugé…” Mais on n’est pas encore au Paradis ! Et on voit, dans les communautés nouvelles, comment elles ont pu être, en certains lieux, un lieu de confusion, on a idéalisé les choses. Vigilance fraternelle: on n’est pas dans la surveillance, mais da la vigilance les uns avec les autres, pour ajuster nos manières d’être, pour faire attention aux signaux faibles. Ce changement de culture prend forcément du temps, il faut l’accepter et s’en donner les moyens.
Il est important aussi de ne pas être seul. L’éveque s’est entouré d’une commission. Ne restons pas seuls quand on a une interrogation. Adressons-nous aux responsables, aux curés, à la cellule d’écoute…
Le signalement n’est pas une délation. Un signalement, cela veut dire que je me pose des questions, car j’ai des éléments précis, pas simplement des rumeurs ; ça m’interroge, et je confie à d’autres (justice, police, gendarmerie) dont c’est le métier, de vérifier cela, pour la protection des personnes.
Les personnes victimes que nous avons accompagnées sont, pour nous, au XXIe siècle, le visage du Crucifié. Pas seulement un visage douloureux, un corps blessé, mais la Porte du Salut. “Mets ta main dans mon côté” : c’est du côté ouvert du Christ que s’ouvrent les fleuves d’eau vive. Ce ne sont pas de belles paroles spirituelles, c’est une expérience profonde que nous avons pu vivre. Nous avons souvent été édifiés par le cheminement de ces “survivants”. Les premiers témoins de la mort et de la résurrection, c’est eux. Je ne dresse pas de tableau idyllique, certains ont un chemin douloureux, certains ont attenté à leurs jours. Mais certains, dans leur parcours, sont un chemin de résurrection pour nous. C’est pourquoi nous ne devons pas avoir peur, en tant qu’Eglise, de prendre ce sujet à bras le corps. Bien sûr, ça nous bouscule, mais c’est un chemin de conversion et de résurrection.
Cette matinée que nous traversons est lourde, elle est du côté de la Passion. Mais nous devons travailler ensemble, pour trouver les conditions de la bientraitance, pour que l’Eglise soit une maison sûre.
J’insiste aussi : pour des victimes de prêtres, d’hommes, il est très important que dans les personnes ressources, il y ait des femmes.
J’ai envie de vous partager ce que j’ai vécu depuis 3 ans que j’entends des personnes victimes.
On peut se demander pourquoi on reste dans une cellule d’écoute, à écouter ces horreurs. Cela nous atteint, il faut accepter de descendre dans les bas-fonds de ces horreurs, pour pouvoir renaître avec les personnes victimes. Cela vient aussi chercher notre propre péché, nos propres faiblesses, on ne peut pas se sentir parfaitement pur face à ces questions-là. Je reste dans cette cellule d’écoute, même si souvent cela m’atteint, par amour de l’Eglise du Christ, parce que je l’aime profondément, et parce que ces hommes et ces femmes sont mes frères et soeurs. Et les agresseurs aussi.
Ce qui fait que l’on reste aussi, et qu’on a une consolation, c’est que quand vous rencontrez une personne, il y a toujours quelque chose d’une espérance qu’on peut ressentir. C’est plus dur d’entendre un témoignage, comme on l’a fait ce matin, que de dialoguer. Cette espérance, c’est notre appui. On espère toujours que cette personne va renouer avec Dieu, qui sera le seul consolateur, le seul réparateur. On a eu cette grâce de le voir avec certaines victimes en Vendée, c’est possible dans le temps. Il faut vraiment se laisser du temps dans cet accompagnement.
On a entendu ce matin : “Je suis morte, je suis un objet, j’étais son jouet.” C’est le message que reçoit une personne abusée : “Tu n’es pas une personne, tu es un jouet, dont je jouis, dont j’abuse.” C’est exactement le contraire de Dieu ! Dieu dit : “Tu es une personne, tu as du prix à mes yeux“. Nous devons faire passer ce message, par notre attitude, notre espérance, nos gestes : “Tu es une personne à mes yeux, je vais tout faire pour que tu puisses poser des actes d’existence.” C’est ce que Mgr Jacolin, avec le collectif, a dit : “Posez des actes d’existence, dites-nous, aidez-nous à poser des actes qui sont vos actes de réparation”. Ce sont les personnes victimes qui ont posé ces actes, collectivement ou individuellement. Nous, l’Eglise, on peut proposer ces actes-là. L’existence, c’est le contraire de la mort. Or, quelque chose les a tués.
Cela, on essaie de le faire, avec énormément d’humilité, avec une grande foi en Dieu, car Lui seul est consolateur. Avec le temps, on a pu emmener des personnes en pèlerinage à Lourdes, la grotte est aussi un lieu de consolation. Un chemin est possible, il est individuel, chaque histoire est particulière, c’est un chemin de mort et de résurrection possible.
Après ces interventions des acteurs du diocèse de Luçon, Mgr Jacolin a repris la parole pour conclure cette matinée, invitant les participants à aller de l’avant, dans cette nouvelle culture : “Maintenant, c’est ce qui est devant nous qui importe. Avec cette charte de bientraitance, soyons dans la vigilance fraternelle. Le Seigneur nous envoie évangéliser. Il ne faudrait pas que nous nous disions : c’est trop dangereux, n’y allons pas !”
Indiquant que cette vigilance ne s’exerce plus dans les mêmes endroits que dans le décennies précédentes (les internats, les colonies…) mais que le danger peut désormais être dans de nouveaux lieux (les camps, les familles où l’on porte aux nues un seul prêtre), Mgr Jacolin a conclu son intervention par une méditation sur le chapitre 8 de l’Evangile selon saint Jean : “Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. […] Qui commet le péché est esclave du péché.”
“Vous, vous êtes du diable, c’est lui votre père, et vous cherchez à réaliser les convoitises de votre père. Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge.”
Le diable a un seul but : détruire intérieurement l’homme. La seule arme du diable, c’est le mensonge. Dans une de ses dernières audiences, le Pape François le dit, en commentant la Genèse. “N’essayez pas d’être plus rusés que le diable, vous serez battus. La seule attitude courageuse, c’est de fuir.” Et la ruse suprême du diable, c’est de nous faire mentir à nous-mêmes, de mettre le soupçon sur Dieu, et de vouloir prendre sa place. “Celui qui fait la vérité vient à la lumière.” Le diable veut enfermer l’homme dans les ténèbres du mensonge, soit par le déni – dans l’esprit des agresseurs – soit par une culpabilité fausse, qui enferme les personnes victimes : “Tu ne vaux plus rien, il est impossible que tu t’en sortes…“. Le diable est à la racine de ce mal, il pervertit notre relation à Dieu, pour que l’homme prenne peu à peu la place de Dieu pour décider de ce qui est bien ou mal.
Venons tous à la lumière de la vérité, et suivons le Christ qui est “le chemin, la vérité et la vie” dans ce chemin de bientraitance que nous devons tous désormais parcourir au sein de notre diocèse.