Les évêques de France réunis à Lourdes

6 Nov 2023

La Conférence des évêques de France, constituée de l’ensemble des évêques et cardinaux de France, se réunit en Assemblée plénière du 3 au 8 novembre. Voici quelques textes pour découvrir les travaux des évêques pendant cette rencontre.

Discours d'ouverture de l'assemblée plénière

Discours de Mgr Éric de Moulins-Beaufort

Archevêque de Reims, Président de la Conférence des évêques de France, en ouverture de l’Assemblée plénière d’automne 2023, le vendredi 3 novembre 2023.

Chers Frères évêques de France,

ces derniers mois, de manière exceptionnelle, plusieurs occasions nous ont été données de nous retrouver, sinon absolument tous, du moins en grand nombre :

  •  Les Journées Mondiales de la Jeunesse, à Lisbonne, où nous avons reçu du million et demi de jeunes présents – parmi lesquels 45 000 Français – une dose formidable d’énergie et de joie chrétiennes, et des Portugais, un exemple d’hospitalité et d’élégance dans les célébrations ;
  • Les Rencontres méditerranéennes à Marseille et la visite du Pape qui les a conclues, moment heureux, plein de douceur et de beauté, pour lequel je remercie en notre nom à tous et je félicite l’archevêque de Marseille, le cardinal Aveline, et ses collaborateurs variés, et tous les Marseillais ;
  • Le Consistoire, qui a vu la création comme cardinaux de Mgr François Bustillo et de Mgr Christophe Pierre, moment de fierté pour la Corse et la France entière, l’Espagne et les Franciscains, pour Saint-Malo et, de nouveau, la France entière ; la veillée de prière Together à l’initiative de la Communauté de Taizé à la veille de l’ouverture de la session synodale ;
  • Le rassemblement Kérygma, il y a deux semaines ici à Lourdes, réconfortant, éclairant, dynamisant, pour lequel j’exprime une vive gratitude au Service National de la Catéchèse et du Catéchuménat, mené par Mme Pauline Dawance et, désormais, Mme Catherine Chevalier, ainsi qu’à Mgr Vincent Jordy qui en avait porté l’intuition et Mgr Olivier Leborgne qui a su l’accompagner jusqu’à la pleine réalisation ;

Et aussi des ordinations d’évêques, et j’en profite pour saluer ceux qui ont intégré récemment le collège épiscopal : Mgr Loïc Lagadec, évêque auxiliaire de Lyon, le 30 avril, Mgr Philippe Guiougou, évêque de Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, le 9 juillet ; Mgr Olivier de Cagny, évêque d’Évreux, le 9 septembre, Mgr Étienne Vetö, le 9 septembre aussi, Mgr Pascal Chane-Teng, évêque de Saint-Denis de la Réunion, le 15 octobre, et Mgr Grégoire Cador, évêque de Coutances, le 15 octobre encore  et ceux qui s’apprêtent à le faire et que je remercie du fond du cœur d’avoir accepté cette charge  dont nous demandons qu’il soit pour eux le doux joug du Seigneur : Mgr Emmanuel Tois et Mgr Benoît Gschwind, respectivement nommés, évêque auxiliaire de Paris et évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix ; je salue aussi Mgr Bruno Valentin, passé le 15 juillet du statut envié de coadjuteur à celui de titulaire de Narbonne et Carcassonne ; et les évêques qui ont été transférés, Mgr Pierre-Yves Michel, de Valence à Nancy, le 18 mai ; Mgr Laurent Le Boulc’h, de Coutances à Lille, le 20 mai ; Mgr Jean-Pierre  Vuillemin, de Metz au Mans, le 21 mai ; Mgr Thierry Scherrer, de Laval à Perpignan, le 18 juin ; Mgr Thierry Brac de la Perrière, de Nevers à Lyon comme évêque auxiliaire, le 26 juin, et Mgr Jean-Pierre Batut, de Blois à Toulouse, comme évêque auxiliaire, le 10 septembre ; Mgr Thibault Verny, d’auxiliaire de Paris à titulaire à Chambery, Saint-Jean-de-Maurienne et Tarentaise, le 27 août ; Mgr Jean-Louis Balsa, de Viviers à Albi, le 17 septembre. Je remercie encore ceux qui ont accepté la charge d’administrateurs apostoliques : Mgr Philippe Ballot, pour Strasbourg, le 27 mai ; Mgr François Jacolin, pour La Rochelle, depuis le 22 juin ; Mgr Benoît Rivière, pour Nevers, depuis le 26 juin ; Mgr Pierre-Marie Carré, pour Agen, depuis le 19 août, et ceux qui ont été choisis pour administrateurs diocésains : le P. Éric Lorinet, pour Valence, le 19 mai ; le P. Frédéric Foucher, pour Laval, le 23 juin ; le P. Didier-Marie de Lovinfosse, pour Blois, le 28 juin ; le P. Denis Béligné, pour Saint-Dié, le 14 septembre ; le P. Fabien Plantier, pour Viviers, le 19 septembre. Je les assure de la disponibilité de nous tous et des services de notre Conférence pour les soutenir. Ces mentions m’invitent à saluer les évêques devenus émérites : Mgr Hubert Herbreteau ; Mgr Jean Legrez ; Mgr Gilbert Aubry ; Mgr Christian Nourrichard ; Mgr Jean-Louis Papin ; Mgr Alain Planet ; Mgr Luc Ravel. Nous nous sommes réunis aussi pour accompagner quelques-uns des nôtres décédés : Mgr Jacques Gaillot, ancien évêque d’Évreux, le 12 avril ; Mgr Maurice Fréchard, évêque émérite d’Auch, le 27 août ; Mgr Jean-Charles Thomas, évêque émérite de Versailles, le 14 octobre.

Permettez-moi une mention spéciale de Mgr Didier Berthet, évêque de Saint-Dié, mort le 8 septembre dernier. Au milieu des joies évoquées, sa maladie et sa mort ont été un grand chagrin qui nous requiert de nous tourner vers l’espérance ; notre frère nous a édifiés dans la manière dont il s’est préparé à la mort, à dire adieu aux siens et aux autres et à la grande rencontre dans laquelle toutes les rencontres trouveront leur plénitude.

Les riches rencontres que j’ai évoquées ont été pleines de joie ; c’est la joie de l’Église, une joie qui ne trompe pas, la joie de tout le peuple de Dieu rassemblé, organisé, se découvrant Corps du Christ et Temple de l’Esprit, tourné vers la gloire du Père.

La joie, nous le savons bien, en tout cas cette joie-là, ne nous détourne pas des drames de ce monde et de ce temps. Elle nous permet de les regarder en face, de les porter, de les assumer. Tout au long des mois passés, nous gardions dans notre prière l’Ukraine agressée, qui se bat pour son intégrité et sa liberté, pour que sa culture de la liberté puisse s’épanouir et s’affermir ; notre prière et notre attention étaient mobilisées aussi par les pays du Sahel qui réclament de se dégager des liens avec la France et qui connaissent aussi la forte poussée des islamistes. Nous ne devrions pas oublier l’Éthiopie, le Soudan, le Sud-Soudan où des actes de violence terribles ont été commis ou sont commis et dont les populations souffrent beaucoup, manquant du nécessaire pour vivre. Ces dernières semaines ont relancé nos inquiétudes partagées avec l’Arménie et tous les Arméniens, si présents dans notre pays : la conquête du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, la fuite forcée de 100 000 Arméniens accueillis par les citoyens de la République d’Arménie dont l’hospitalité dépasse les moyens, la destruction redoutée du patrimoine artistique et religieux arménien dans cette région, tout cela nous attriste profondément. Nous nous unirons à la supplication de nos frères et sœurs d’Arménie et d’Ukraine, notamment dimanche pendant la messe et au cours des Vêpres, selon des modalités qu’on nous exposera.

Le 7 octobre a ajouté encore à ces drames. Depuis des années, nous nous efforçons, nous évêques de France, de nouer et d’entretenir des liens de connaissance mutuelle et d’amitié avec les Juifs en France et ailleurs. Ces liens sont, nous l’avons compris depuis Vatican II, consubstantiels à notre foi. Nous éprouvons d’autant plus douloureusement les atroces attaques terroristes dont des familles, des enfants, des hommes, des femmes juifs et juives, ont été les victimes dans le Sud d’Israël et l’enlèvement de certains comme otages. Nous sentons l’inquiétude profonde de nos frères et sœurs juifs, nos pères dans la foi et l’alliance, si souvent, si facilement, objets de haine partout dans le monde. Avec eux, nous réclamons la libération des otages. Je crois important de redire avec force dès maintenant ce que nous avons affirmé dans la déclaration du 1er février 2021 : « Guérir de l’antisémitisme est et sera la pierre de touche de la fraternité universelle. » Le livre publié par le service national pour les relations avec le judaïsme : « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien » est une étape importante dans le travail de fond que nous voulons mener et que nous appelons toute la société et toutes les cultures à mener. Le mépris à l’égard du peuple d’Israël, voire la haine à son encontre, n’expriment pas seulement la colère face à l’injustice. S’y traduisent toujours une volonté de négation du peuple de l’alliance avec Dieu.

Avec non moins de force, je veux dire aussi notre communion avec la population de Gaza soumise à des bombardements terribles, tuant des civils qui se trouvent prisonniers de la volonté de nuire du Hamas et de l’opération de représailles menée par Israël. En contemplant Jésus, notre Seigneur, mort et ressuscité, nous osons le dire : dans les moments de pire affrontement, il est encore possible, il vaut la peine, de chercher la vérité, la justice, les voies de la réconciliation. L’horreur des affrontements présents montre comme il est urgent de reprendre les négociations pour une solution durable en faveur des Palestiniens qui ont droit à un territoire libre et à un État comme en faveur de l’État d’Israël. Dans la plus grande contradiction, là où l’affrontement est le plus terrible, Dieu peut faire surgir des artisans de paix. Car c’est l’heure où toutes les vérités peuvent être dites, toutes les injustices dénoncées, c’est l’heure où les prisonniers peuvent être libérés, et où les renoncements nécessaires peuvent être consentis.

Il faut le constater : la guerre revient comme un moyen de politique, et c’est affreux. Un invité régulier de France Culture faisait remarquer samedi que ces conflits éclatent et que d’autres menacent au moment même où le risque avéré de la transformation climatique et la diffusion universelle de la technologie appelleraient au contraire la coopération de toutes les énergies et de toutes les intelligences. Le terrorisme, de même, mobilise l’attention. Nous pensons à Monsieur Dominique Bernard, professeur assassiné à Arras tout récemment, et à toutes les personnes victimes de la violence terroriste ces dernières années et à leurs familles, celles tout spécialement qui l’ont été parce que chrétiennes.

Au long de ces jours, nous prierons à toutes ces intentions ; dimanche, en plus de la prière pour l’Ukraine et l’Arménie, nous prierons pour l’avènement de la justice et de la vérité en vue de la paix en Israël et en Palestine et nous nous unirons à un geste demandé par le Grand Rabbin de France à toutes les familles juives pour la libération et le retour des otages.

Nous nous réunissons sur cet arrière-fond. Les temps d’actualités, les temps d’échange, le temps sur la jeunesse et le climat social nous permettront sans doute d’enrichir mutuellement nos analyses et d’envisager ce que nous pouvons et devons faire pour contribuer à construire la paix. Comme l’a dit un bon auteur : « Reconnaître que nous ne sommes pas tout puissants ne signifie pas que nous sommes impuissants. Et si ce que nous pouvons et ce que nous faisons paraît dérisoire, cela a pourtant du sens. Tout acte bon a toujours un sens, disait Vaclav Havel. » (Mgr Olivier Leborgne)

Trois lignes principales unifieront nos travaux : la mission, la transformation pastorale de nos diocèses et de notre Conférence, l’accueil des personnes victimes adultes d’un clerc ou d’un laïc, y compris dans des associations de fidèles.

La mission. Le Conseil permanent a pensé que le moment était venu de nous expliquer ensemble sur ce que nous entendons par ce mot. Une table ronde théologique introduira le sujet : comment annoncer l’Évangile dans un monde sécularisé à des personnes à qui le nom de Dieu ne dit rien ? comment encore annoncer l’Évangile et la religion du Christ dans un monde pluri-religieux en un temps où nous avons appris à reconnaître les germes ou les traces de l’Esprit-Saint dans les autres religions, voire dans l’absence de religion. Nous reprendrons ce sujet dimanche soir et mardi matin. Nous espérons avoir des échanges vraiment théologiques et aussi pastoraux.

D’une certaine façon, la séquence intitulée « Jeunesse et climat social » qui veut recueillir certaines leçons des JMJ ainsi que des émeutes du début de l’été et risquer un diagnostic sur ce que nous observons de la jeunesse, relève encore de la réflexion sur la mission : « A qui annoncer la bonne et grande nouvelle du salut ?».

Deux temps seront consacrés au service des relations avec les musulmans ; il fête cette année ses 50 ans ; un anniversaire d’une certaine ampleur était prévu qu’il a paru sage de reporter à des temps dont nous espérons qu’ils seront plus sereins. Nous ne pouvons pas vivre comme si notre pays n’était pas composé aujourd’hui d’un nombre important de personnes se réclamant de l’islam. Ces séquences autour de la mission ne se finiront pas forcément par des déclarations ou des projets. Elles ont pour but de favoriser le dialogue entre nous. Un fruit que nous pourrions en attendre serait de mieux comprendre ce que chacun a en tête lorsqu’il emploie le mot « mission » ou l’adjectif « missionnaire ». Toutefois, il a paru important au Conseil permanent que nous donnions un écho aux JMJ par un message aux jeunes et aussi aux Rencontres méditerranéennes et au message puissant que le Saint-Père a voulu adresser depuis Marseille, à la France entière et à tous les pays occidentaux. Un projet de prise de position vous sera proposé qui pourrait aussi, si vous l’acceptez, être notre prise de parole dans les discussions en cours à propos du nouveau projet de loi sur l’immigration.

La transformation pastorale de nos diocèses et de notre Conférence. L’Assemblée de mars nous a permis de choisir un scénario de transformation de notre Conférence. Il a été traduit dans les statuts. Le projet a été soumis à l’appréciation de la Secrétairerie d’État, du Dicastère pour les évêques et du conseil pour les textes législatifs qui nous ont répondu avec une célérité dont je les remercie profondément et nous avons pu facilement intégrer leurs remarques. Vous avez reçu les statuts modifiés et corrigés après l’avis du Saint-Siège. Nous avons maintenant à les voter afin de recevoir la recognitio romaine. Mais, au-delà des statuts, il y a leur mise en œuvre. Une séquence nous permettra de faire le point de l’avancée des travaux, dans l’organisation des pôles et la description du rôle des comités de pôles. Nous sommes aidés dans ce processus par M. Amaury Dewavrin, qui a accepté de nous accompagner, conformément à une des résolutions votées en mars, et de le faire bénévolement. Mais la CEF n’est qu’une pointe émergée de notre Église en France ; l’essentiel en sont les diocèses : une séquence sur leur avenir est prévue mardi. Le travail à poursuivre sur les ministères laïcs indique sûrement une piste importante pour la transformation pastorale de nos Églises.

Mais sans doute le synode mérite-t-il d’être le moteur de nos transformations, et notamment de nos transformations pastorales, du moins la démarche du synode. Nous recevrons de nos délégués : NN. SS. Benoît Bertrand, Jean-Marc Eychenne, Matthieu Rougé et Alexandre Joly, ainsi que du cardinal Jean-Marc Aveline et de Mme Anne Ferrand, consacrée dans le diocèse de Rodez, qui a accepté de venir nous rejoindre pour cet échange, tous deux désignés par le Pape, un compte rendu de l’expérience hors du commun qu’ils ont vécue pendant un mois et des indications sur le travail qu’il est souhaitable que nous menions dans nos diocèses ou en assemblée plénière dans l’année qui vient. Nous les remercions déjà d’avoir pris tant de temps pour servir en notre nom l’Église universelle.

Enfin, l’accueil des personnes victimes adultes. Nous avons pris de grandes et fortes décisions pour les personnes victimes mineures, nous travaillons avec persévérance à les mettre en œuvre. Nous voulions tenir compte de la vulnérabilité propre à l’enfance, notamment quant à la sexualité, et la mettre en valeur même, dans une société où nous avons découvert le poids de l’inceste et des violences et agressions sexuelles. Nous avons dû constater que des personnes adultes, même équilibrées et en possession de leurs moyens, avaient, elles aussi, pu être mises sous emprise et conditionnées à subir des faits inacceptables. Un groupe de travail a été mis en place, piloté par Mme Corinne Boilley, qui fut Secrétaire générale adjointe en charge des réalités financières, juridiques et sociales au sein de notre Conférence. Mme Boilley, accompagnée d’une personne victime, nous présentera l’état des réflexions. Du travail reste à faire dont notre discussion pourrait indiquer les chemins principaux. Les dispositifs que nous avons décidés avancent, l’inirr accomplit sa mission et reçoit des marques de gratitude.

J’ajoute pour conclure la présentation de cette assemblée, que la soirée d’aujourd’hui est propice aux réunions de province et que demain, samedi, nous vous proposerons de dîner à la table d’un des évêques des autres conférences épiscopales d’Europe qui nous font l’amitié et l’honneur de participer à nos travaux et de poursuivre ce dîner sous forme d’une table ronde et d’un temps détendu, comme nous l’avons fait l’an passé.

Le Conseil permanent a voulu, comme cela était demandé, que cette Assemblée soit un temps de rencontre entre nous, évêques, avec juste les invités nécessaires pour leur expertise ou parce qu’un sujet leur a été confié, au premier rang d’entre eux se tenant les directeurs nationaux, dont je salue le dévouement, l’engagement et la compétence qu’ils mettent à notre service.

La vie qui coule ne respecte pas toujours les temporalités que nous souhaiterions. En voici un exemple :  la relance du processus d’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution appelle de notre part une parole forte. Que Dieu nous permette cependant de vivre cette Assemblée dans la paix, le recueillement, l’affection fraternelle et la contemplation de ce que le Ressuscité qui nous envoie attend de nous.

Dès ce discours d’ouverture achevé, nous entrerons dans un temps d’échanges sur l’actualité. Il s’achèvera à 10h et nous nous rendrons alors dans la chapelle de l’adoration pour un temps spirituel, comme nous en avons pris l’habitude.

Temps spirituel animé par le cardinal Bustillo

Des gémissements à l’exultation

Lourdes, chapelle de l’Adoration, le 3 novembre 2023

Chers Frères,

Nous sommes pasteurs avec notre nature et notre culture. Nous savons, comme dit saint Paul, que ce qu’il y a de faible dans le monde, Dieu l’a choisi (cf. 1 Co 1,27). Mais nous avons reçu l’onction, force et moteur de notre mission. Le regard fixé sur le Seigneur, origine et sens de nos vocations, nous évitons la tentation du messianisme naïf pour être dociles à l‘Evangile.

Notre collège épiscopal est une réalité organique et non mécanique. Si le collège est organisé et ordonné, il n’est pas appelé juste à fonctionner mais à vivre. Parfois la machine ecclésiastique peut être lourde et ralentir notre mission. Alors, il est important de veiller à l’état de notre famille spirituelle, pour que la gestion ne l’emporte sur la vision, ni le faire sur l’être. Ce temps spirituel nous aide à nous poser et à nous re-poser.

Lors des moments de communion comme le nôtre, je crois important d’appliquer, comme le dit l’Apocalypse, ce collyre pour oindre nos yeux (cf. Ap 3,18) ; une « onction visuelle » pour convertir notre regard sur la vie et sur les autres, une onction pour voir différemment, pour avoir un regard renouvelé, purifié, éclairé.

Je voudrais souligner trois aspects rapidement avec vous ce matin.

1. Les gémissements.

L’épitre aux Romains, au chapitre 8 que nous avons entendu il y a quelques jours, nous rappelle que la Création gémit et nous aussi. Les gémissements sont des signes de souffrance exprimés doucement mais réellement.

Nous faisons partie d’une création imparfaite mais perfectible. Elle vit une tension interne et extérieure pour trouver la fécondité. En fait, elle gémit parce qu’elle porte une vie. Paul, dans un contexte de souffrance, utilise trois termes porteurs d’espérance : enfantement, rédemption et adoption.

Depuis quelques années, nous, pasteurs en responsabilité, nous entendons que l’Eglise gémit. Nous entendons souvent dans notre ministère les souffrances de l’Eglise : l’âge canonique de nos assemblées, le manque des vocations, l’éloignement des fidèles, l’hostilité sociale, les douleurs des abus, etc. Chaque époque de l’histoire de l’Eglise a vécu ses combats. Face aux combats, nous ne devons pas paniquer ou démissionner. De la naissance à la mort, notre vie, c’est lutter et aimer. Dans les deux cas, il faut la force, une vertu cardinale. Nous connaissons la vision de l’enfer d’après Dante, dans la Divine comédie : « l’enfer n’est pas un lieu de souffrances, mais un lieu d’où toute espérance est exclue, interdite, impossible ».

Dans notre monde et dans notre Eglise, nous vivons un temps de crise et d’évolution. Et, nous le savons, l’être humain grandit de crise en crise. La crise n’est pas une fatalité, elle n’est pas non plus une impasse ; elle est un passage, une Pâque.

La presse dans notre société, face aux difficultés politiques, sanitaires, écologiques, économiques, religieuses, etc. prêche un monde différent, où l’on va s’en sortir.

Nous entendons parler de « renouveau », de « renaissance », de « rebond », « d’un monde meilleur à venir », ou, comme dans la fiction, on nous promet « le jour d’après ». Il n’est pas rare que ceux qui exercent des responsabilités politiques ou spirituelles ouvrent à l’espérance. Vous imaginez un monde à la dérive sans espérance et sans but ? Il ne serait plus un monde, mais un chaos. Comme disait Machiavel : « rien n’est plus désespérant que de ne pas trouver une nouvelle raison d’espérer ».

En tant que pasteurs, dans les tempêtes, nous sommes confrontés à la qualité de notre foi. Comment vivre le temps de l’hiver ? Comment traverser sereinement les déserts ? Comment espérer totalement ?

Souvent, nous nous trouvons comme le Peuple d’Israël en Egypte, nous sommes aujourd’hui esclaves de nos incertitudes et nous crions : « Du fond de leur esclavage, les fils d’Israël gémirent et crièrent. Du fond de leur esclavage, leur appel monta vers Dieu » (Ex 2,23).

2. L’homélie du pape à Marseille

Dans ce contexte laborieux, le pape François a parlé à l’Eglise de France. Sa parole nous provoque, nous stimule.

Il y a un moyen de discerner si nous avons cette confiance dans le Seigneur. Quel est ce moyen ? L’Évangile dit que « lorsqu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle » (v. 41). Voilà le signe : tressaillir.

Il s’agit d’un terme étonnant pour nos oreilles mais profondément évangélique. Tressaillir c’est être “touché à l’intérieur”, avoir un frémissement intérieur, sentir que quelque chose bouge dans notre cœur. C’est le contraire d’un cœur plat, froid, installé dans la vie tranquille, qui se blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde.

Face au mystère de la vie personnelle et aux défis de la société, celui qui croit connaît un tressaillement, une passion, un rêve à cultiver, un intérêt qui pousse à s’engager personnellement.

Le modèle, c’est Jésus et sa mission.

Apprenons de Jésus à éprouver des frémissements pour ceux qui vivent à nos côtés, apprenons de Lui qui, devant les foules fatiguées et épuisées, ressent de la compassion et s’émeut (cf. Mc 6, 34), tressaille de miséricorde devant la chair blessée de ceux qu’il rencontre.

Le pape François a cité la vie humaine et spirituelle en France comme une force. Il ne s’agit pas de tomber dans la nostalgie du passé (la nostalgie rouille la mémoire, disait le sage) mais de puiser dans la mémoire. La mémoire nous rappelle que dans l’histoire, il y a eu des pages sombres et d’autres lumineuses.

Frères, sœurs, je pense aux nombreux “tressaillements” qu’a connus la France, à son histoire riche de sainteté, de culture, d’artistes et de penseurs qui ont passionné tant de générations. Aujourd’hui encore, notre vie, la vie de l’Église, la France, l’Europe ont besoin de cela : de la grâce d’un tressaillement, d’un nouveau tressaillement de foi, de charité et d’espérance. Nous avons besoin de retrouver passion et enthousiasme, de redécouvrir le goût de l’engagement pour la fraternité, d’oser encore le risque de l’amour dans les familles et envers les plus faibles, et de retrouver dans l’Évangile une grâce qui transforme et rend belle la vie.

Le pape François nous oriente non pas vers une solution pour éviter les crises, mais vers une foi et une espérance pour traverser les crises.

Le pape, il me semble, nous rappelle que l’Eglise a fait rêver, l’Eglise ne doit pas faire pleurer. Il est indispensable de rêver : on respire mieux ! Le rêve est l’oxygène de l’esprit, il en renouvelle l’espace (Teilhard de Chardin).

Sans naïveté mais avec le sens de la responsabilité, il faut s’inspirer du génie de nos ancêtres d’hier et des inspirations d’aujourd’hui. Dans le domaine de la spiritualité, de la culture, de la charité, de la mission, l’Eglise a osé des voies nouvelles. Le pape nous demande d’être créatifs. Notre mission n’est pas de dominer, de manipuler ou d’endoctriner, mais d’être des témoins de Jésus.

La vie de Jésus est ignorée. La connaissance de Jésus est cosmétique, légère. Nous avons un formidable défi, simple mais opportun pour notre société en quête de repères.

3. La joie de vivre notre mission

Je pense à deux aspects de notre vie liturgique pouvant nous aider à sentir le tressaillement spirituel. A vivre avec joie notre mission. La joie évangélique n’est pas émotive, euphorique, mais elle est sereine et solide.

« L’exultet » de la nuit de Pâques.

La vie humaine est complexe, elle exige force et créativité. Adam et Eve vivaient la parfaite harmonie avec Dieu et avec la Création. Après le péché, ils sont expulsés du Paradis (cf. Gn 3,23). Marqués par la finitude, ils commencent le combat de la vie. Jonas, après sa fuite, est saisi par le poisson pour ensuite être expulsé de son ventre et commencer sa mission (cf. Jon 2,11). Nous-mêmes, après neuf mois nourris et protégés dans le ventre maternel, nous sommes expulsés pour vivre à l’extérieur. Par la respiration et par l’autonomie physique, si petits, nous vivons déjà un grand combat. Chaque passage de la vie, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse, les responsabilités, représentent des combats pour s’adapter et croître, en vivant le mieux possible notre existence humaine. La nature nous montre que nous avons des capacités exceptionnelles pour lutter contre l’immobilisme et la passivité. La vie est puissante.

Exulter signifie bondir de joie, être transporté par une joie vigoureuse. Bartimée, dans l’Evangile, bondit et court à l’appel de Jésus (cf. Mc 10,50).

L’« exultet », nous le chantons la nuit de Pâques. Dans les nuits, le Christ éclaire pour que nos vies ne soient pas sombres mais lumineuses. L’exultet est un cri de vie et de joie où les termes utilisés par la liturgie sont des expériences et des projets : victoire, lumière, éclater, joie, passage, liberté, triomphe, gloire, aube nouvelle, … Dans la nuit ton peuple s’avance, libre, vainqueur ! Un monde rajeuni dans la Pâque de ton Fils.

Dans notre patrimoine biblique et historique, nos communautés trouvent les valeurs pascales, ces piliers intérieurs qui soutiennent l’architecture humaine et spirituelle du pasteur, capables de nous relever, de nous faire exulter.

Pour exulter et faire exulter les autres, il est important de se fortifier à l’écoute des paroles d’autorité de Jésus en expérimentant l’éphatha (Mc 7,34) : une manière évangélique d’écouter et de parler qui guérit nos surdités et nos blocages en réparant la communication en vue de la communion ; et du talitha koum (Mc 5,41), une Parole de Jésus qui relève et redonne vie (Mc 5,39).

Le triduum pascal est au cœur de notre foi, il nous fait passer des gémissements à l’exultation. Comme le Christ, nous faisons l’expérience des déformations et des douleurs du vendredi saint, des silences mystérieux du samedi saint, et de la transformation de la nuit de Pâques. On passe de la déformation à la transformation.

Le « Magnificat » : Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. Par la prière des vêpres, à la fin de la journée, Marie nous montre la voie de la confiance, du détachement, de la liberté. Mon âme exalte, mon esprit exulte… L’âme et l’esprit ; la vie intérieure de Marie est vivante, féconde.

Par la vitalité de la vie intérieure, Marie communique l’espérance. Marie est la comblée de grâce. Elle nous invite à combler nos vies parfois vides et creuses en laissant l’Esprit nous féconder.

Comme pasteurs, nous avons la noble mission d’offrir une nouvelle vie aux nouveaux membres de l’Eglise (jeunes, catéchumènes, etc.) dans le mouvement de la Bonne Nouvelle, le mouvement de l’espérance.

Pour développer l’exultation intérieure, je crois opportun de transmettre l’esprit de bénédiction à nos contemporains. Les témoins du Ressuscité dans des temps sombres engendrent la bénédiction et l’espérance.

L’Ancien Testament nous initie à la bénédiction en nous enseignant le lien naturel entre la bénédiction et la fécondité. Le patriarche donne la bénédiction. Il veut perpétuer et transmettre ses biens et ses valeurs par un acte simple mais profond. C’est magnifique de transmettre à ses enfants la bénédiction. Dans nos communautés, il nous appartient de perpétuer cette tradition biblique ancestrale.

Dans l’épître aux Ephésiens, saint Paul dit de sortir de nous tout ce qui est amer, sombre, mortifère : extirper de votre vie l’amertume, la colère, l’emportement… (Ep 4,31). Enlever tout ce qui est mauvais pour laisser place à la loi nouvelle, celle de l’amour. Aujourd’hui, le Christ nous provoque à ressusciter notre manière de communiquer, pour qu’elle dise le bien à une société prisonnière de la violence et de la cruauté relationnelle. Pour qu’elle s’élève et ne reste pas à un niveau épidermique. Le langage de bénédiction naît de la conversion de l’homme intérieur qui reconnaît le bien reçu de Dieu et tout le bien que Dieu est. Alors, le langage n’abaisse pas les autres mais les relève par des paroles de salut.

Nous sommes souvent visités par le Seigneur mais parfois nous ne célébrons pas ces visites. Nous sommes discrets pour chanter nos Magnificat, sans doute par pudeur. Or, une Eglise vivant de la force de Pâques est bénie et donc, appelée à développer un style de vie conséquent, celui de la bénédiction. Chaque communauté ecclésiale devrait être une « vallée de Beraka » (cf. 2 Ch 20,26), une vallée de bénédiction. Un lieu où les frères sont experts dans le dire du bien les uns des autres.

Quand nous commençons à dire du bien des frères, nous construisons la fraternité évangélique en mettant en lumière leurs talents, leurs bons côtés, leurs réussites. Nous entrons dans ce merveilleux mouvement propre à l’histoire du Salut dans lequel Dieu bénit son peuple, le père bénit ses enfants, les frères se bénissent mutuellement. La logique de la bénédiction éloigne les douleurs des malédictions. Nous nous souvenons que la lumière brille dans les ténèbres. Nous sommes des vocations en chantier, en conversion permanente, à l’écoute de ce que l’Esprit dit aux églises. Si la lamentation est naturelle, l’exultation est surnaturelle, elle demande la liberté intérieure.

La foi pascale nous aide à dépasser les nombreuses distractions de la vie actuelle pour nous recentrer sur le Christ et construire ou reconstruire une vie intérieure solide et heureuse, capable d’exulter et de chanter les merveilles que Dieu fait dans nos vies. L’Eglise doit communiquer la joie à une société triste et amère. Je veux que ma joie soit en vous, nous dit Jésus (cf. Jn 15,11). Et comme disait Spinoza, la joie c’est exister plus.

Jésus nous a laissé sa joie pour que nous puissions la répandre dans le monde. Notre mission ne se limite pas à une action technique. Nous ne sommes pas des commerçants du sacré. Si notre mission n’est pas animée par une âme évangélique, elle sera une performance professionnelle comme tant d’autres. Le monde attend des témoins de l’Evangile capables de dire aux autres : ta vie est une joie, merci d’exister ! Ton existence est une bénédiction ! Cette bénédiction ne se réduit pas à un geste liturgique. Elle est un projet de vie et de bonheur pour les croyants et les chercheurs de sens dans un monde sortant de l’hibernation spirituelle.

Le pape François disait le 10 novembre 2022 en parlant aux évêques : L’Esprit est celui qui ne nous laisse pas seuls, il est le Consolateur. Il nous réconforte par sa présence discrète et bienfaisante, il nous accompagne avec amour, il nous soutient dans nos luttes et nos difficultés, il encourage nos rêves les plus beaux et nos plus grands désirs, en nous ouvrant à l’émerveillement et à la beauté de la vie. (…) La joie dans l’Esprit est celle qui naît de la relation avec Dieu, de savoir que, même dans les luttes et les nuits sombres que nous traversons parfois, nous ne sommes pas seuls, perdus ni vaincus, car Il est avec nous. Et, avec Lui, nous pouvons tout affronter et tout surmonter. La lumière brille dans les ténèbres (Jn 1,5).

Homélie du dimanche 5 novembre

 

Homélie pour la Messe du 31ème dimanche du Temps ordinaire, année A

5 novembre 2023, en la basilique Notre-Dame du Rosaire à Lourdes

A la moitié de notre assemblée plénière d’automne, acceptons, frères évêques, d’entendre l’apostrophe du prophète Malachie : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement […] : vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude, vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi. » Faire valoir que nous ne sommes pas du sacerdoce d’Aaron ou de Lévi mais de celui de Melchisédech et surtout du Seigneur Jésus qui n’appartenait pas à une tribu sacerdotale ne serait qu’une esquive grossière. D’autant que Jésus en rajoute dans l’évangile, lorsqu’il dit aux foules et à ses disciples : « Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi… Ne donnez à personne sur terre le nom de père. » Voilà qui nous pousse, nous, à l’examen de conscience ; voilà qui vous provoque, frères et sœurs, à vous interroger sur ce que vous attendez des pasteurs que le Christ Jésus a voulu tout de même instituer au cœur de son Église.

 

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Nous, évêques, sommes réunis pour nous aider mutuellement dans l’exercice de l’autorité dont nous savons qu’elle doit être un service, mettant en œuvre la collégialité qui lie ceux qui succèdent aux apôtres sous la conduite du successeur de Pierre. La liturgie nous oblige à un travail de vérité. Comment être au service de la glorification du nom de Dieu –et ne pas y unir notre propre glorification et celle de l’institution qu’en un sens nous formons ? Car le Dieu vivant est le Dieu Jaloux qui ne partage sa gloire avec personne –ou alors qui la veut pour tous, surtout pour le plus humble, le plus négligé, le plus méprisé de ceux ou de celles qui sont à son image. Comment ne pas faire percevoir la loi de Dieu comme un carcan et aider à en vivre comme d’un appel à la liberté et à la plénitude ? Les thèmes dont nous traitons en cette assemblée nous orientent dans cette réflexion, dans la suite de la première session du synode sur la synodalité qui vient de s’achever. Nous les abordons conscients que notre Église, par ce qu’elle a d’institué, est une organisation de pouvoir, plus que nous le voudrions, et peut aggraver les perversions liées au pouvoir parce que le Nom de Dieu lui est confié, et conscients non moins de notre responsabilité de proclamer la bonne nouvelle de Dieu, de faire entendre le kérygme, à celles et ceux pour qui la foi chrétienne n’est plus l’air qu’ils respirent depuis leur enfance. Car, si le prophète s’adresse aux prêtres, même à ceux du Temple, ce n’est pas pour qu’ils renoncent à jouer leur rôle au service du peuple, mais pour qu’ils y reviennent. Si Jésus dénonce le risque qu’il y a à se faire donner le titre de Rabbi ou à donner à quiconque le nom de père (les deux attitudes sont inverses), ce n’est pas pour que ceux qui doivent enseigner n’enseignent plus et pour que ceux qui ont une autorité la désertent ; c’est pour qu’ils exercent leur tâche à la lumière de ce qu’il fait, lui, le seul Rabbi qui vaille, lui, le Fils bien-aimé du Père. Jésus ne parle pas ainsi pour que chacun ou chacune demeure seul, avec sa seule conscience, sans aide extérieure, sans structure qui l’accompagne et le porte, seul devant l’exigence redoutable du Dieu très saint. C’est au contraire pour que chacun et chacune se rende disponible pour entrer dans la médiation que lui seul peut et doit offrir à tous.

 

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Saint Paul nous ouvre un chemin de crête. Aux Thessaloniciens à qui il a annoncé Jésus comme le Messie, il ne se présente pas sous les traits d’un père. Il se présente comme une mère. Et qui ne sent que c’est évoquer là une proximité plus forte encore, une relation de dépendance bien plus agissante que celle de la paternité ? L’Apôtre précisément nous convainc que le Seigneur ressuscité envoie ses disciples les uns vers les autres pour qu’ils vivent une proximité forte et partagent des biens essentiels. Pas uniquement pour qu’ils échangent des idées ou se rappellent des commandements. Seulement, l’Apôtre a vive conscience d’être au service d’une parole qui n’est pas la sienne, d’une annonce qui s‘adresse à la liberté de chacune et de chacun, d’une communion qui est avant tout avec Dieu par le Christ. Il ne prend pas la place d’un Jésus parti et absent, il se met en sa chair même au service de la relation avec celui qui vient et qui ne cesse pas de s’approcher.

Frères évêques, et vous tous frères prêtres et diacres, vous le savez, vous en vivez : nous ne sommes pas envoyés pour commander mais pour aimer ; pour éprouver la force de notre propre vie mais pour servir les autres dans la croissance en eux de la vie de Jésus ; pour imposer nos idées, fussent-elles justes, mais pour donner à tous la parole de Dieu en nourriture, – et chacun grandit comme il peut ou comme il veut avec la nourriture qu’il reçoit. L’image de la paternité peut être utile pour comprendre notre mission, mais elle doit être subvertie de l’intérieur par celle de la maternité et celle de la maternité doit être transformée par celle de la fraternité. Nous sommes les témoins, les garants et les serviteurs de la proximité du Christ ressuscité, qui seul peut être le guide des êtres humains ; les témoins, les garants et les serviteurs de la gloire du Père, le seul véritablement père pour tous les humains. Nous le faisons en donnant de nous-mêmes. Notre récompense ne se trouve pas dans la considération que nous pouvons recevoir, mais dans le jugement du Seigneur Jésus. Lui nous donnera de voir les fruits de ce que nous aurons semé et arrosé de notre transpiration et de notre supplication. Car le plus notable dans l’exclamation maternelle de saint Paul est son admiration devant la foi des Thessaloniciens : ils ont reçu la parole qu’il portait non comme une parole humaine mais comme la parole vive et agissante de Dieu lui-même les appelant à la vie et leur promettant une vie plus pleine encore. Cette palpitation du kérygme, de la parole annoncée, proclamée, voilà ce que nous sommes faits pour porter et partager. Voilà ce que nous expérimentons en chaque célébration sacramentelle. Voilà ce dont nous aspirons à renouveler la grâce : sentir notre être tressaillir, pour reprendre le verbe que nous a offert à Marseille le Pape François, devant la Parole de Dieu qui prend chair en nous et dans les autres. C’est la grâce qu’ici à Lourdes nous demandons à Marie, mère de Dieu et mère de l’Église.

 

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Frères et sœurs, pour bien entendre la liturgie de la Parole de ce dimanche, la nourriture que la Mère Église a disposée pour nous, il nous faut comprendre ceci : les prêtres du Temple de Jérusalem à qui s’adresse Malachie sont notre figure à tous, baptisés et confirmés, tous et toutes, prêtres, prophètes et rois. Nous risquons tous de trahir la Loi qui nous est confiée et d’en faire l’instrument d’un ordre moral ; nous risquons tous d’en chercher pour nous les échappatoires tout en imposant aux autres un fardeau augmenté de notre regard suspicieux. Tous, nous savons qu’il vaut mieux faire ce que nous disons qu’imiter ce que nous faisons. Et, pour nous tous, notre joie est de désigner Jésus, le seul Enseignant qui ouvre à la vie, et l’unique Père, lui qui confie chacun à tous les autres et tous à son seul Fils,

Amen.

Message des évêques de France aux jeunes

« Joyeux dans l’espérance » (Rm 12, 12)

Chers jeunes de France,

Merci d’avoir répondu présents lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne. Nous nous sommes réjouis de vous voir si nombreux. Quelle joie d’avoir été ensemble ! Nous avons été touchés par votre soif, votre joie et aussi votre prière pour nous. Nous vous encourageons à témoigner de ce que vous avez vécu. Réunis en Assemblée Plénière à Lourdes, nous les évêques de France, nous voyons l’Esprit-Saint à l’œuvre en vous. Vous étiez pèlerins de la foi et chercheurs de Dieu. Poursuivez votre chemin sur la route de l’Evangile. Elle conduit au bonheur. Merci pour votre témoignage, votre engagement et votre espérance.

Nous le croyons fermement, le Seigneur s’adresse personnellement à chacun de vous : à toi jeune catholique engagé, à toi catéchumène en chemin, à toi qui doutes de Dieu et qui n’as pas entendu parler du Christ, et à toi qui trouves l’Eglise trop loin de tes préoccupations. A chacun nous disons : tu es appelé par ton nom, tu es aimé de Dieu et le Seigneur te fait confiance ! Ne crains pas de marcher avec Lui.

Souvent, vous nous le dites : les situations du monde, l’état de notre planète, le mauvais témoignage de chrétiens, mais aussi les épreuves personnelles, tout cela suscite angoisse, colère ou incompréhension. Oui, nous entendons vos cris et vos silences. Avec le Pape François, nous vous redisons : n’ayez pas peur d’être « assoiffés de l’intérieur, inquiets, inachevés, avides de sens et d’avenir ». Ne restez pas seuls, bâtissez des ponts et tissez la fraternité. Les réponses faciles anesthésient. Mais vous, cherchez et risquez ! Avec d’autres, prenez le temps pour lire les Ecritures et connaître la Tradition et le Magistère : entrer dans l’intelligence de la foi par le service et l’étude ouvre les cœurs à l’Espérance.

Nous sommes témoins de vos initiatives et de vos engagements. Nous sommes impressionnés par vos capacités de mobilisation dans des domaines très divers : solidarité, écologie, soin des pauvres, dignité de la personne, unité des chrétiens, liturgie… Cet été aux JMJ, durant le « Temps des Français » à Lisbonne, vous avez été des milliers à prendre différents engagements : travailler à l’unité dans l’Eglise, servir le petit et le pauvre, annoncer le Christ. Nous vous remercions pour votre oui. C’est maintenant le temps de l’action avec l’aide de l’Esprit-Saint.

Etudiants et jeunes professionnels, dans les grandes métropoles, le rural ou les quartiers populaires de nos villes, continuez d’apporter votre contribution. De nombreux prêtres, religieuses, laïcs vous accompagnent avec générosité. Vous êtes les premiers acteurs de la mission dans vos groupes, vos aumôneries. Déployez les charismes que l’Esprit-Saint vous donne et prenez votre place. Votre vocation est belle. Que le Seigneur vous donne de construire des familles qui témoignent de sa bonté. Et si certains entendent l’appel à la vie religieuse ou sacerdotale, réjouissez-vous ! Nous demandons au Seigneur que fleurissent parmi vous de nombreuses et saintes vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, le monde en a besoin.

Chers Jeunes, aimez le Christ ! C’est lui le roc de nos vies : ouvrez-lui votre cœur, savourez ses paroles, prenez le temps de le prier et de l’adorer. Chers jeunes, aimez l’Eglise ! Elle n’est pas sans tache et elle n’est pas sans ride. Mais le Christ l’aime comme son épouse et nous l’aimons comme notre mère. Et dans cette Eglise il y a de la place pour tous ! « Et quand la place manque, s’il vous plait, faites de la place : y compris pour ceux qui se trompent, ceux qui tombent, ceux qui traversent des difficultés. ».

Comme le Cardinal Aveline le disait à Lisbonne cet été : « Jeunes de France, la France a toujours été un pays de missionnaires. A votre tour d’être des disciples, à votre tour d’être des missionnaires. »

Ensemble, sur ce chemin de la mission et de la sainteté,

Les évêques de France

Discours de clôture

Discours de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, Président de la Conférence des évêques de France, en conclusion de l’Assemblée plénière d’automne 2023, le mercredi 8 novembre 2023.

Chers Frères évêques, chers membres du Secrétariat général et Directeurs ou directrices des Services nationaux, chers collaboratrices et collaborateurs de la Conférence, Mesdames et Messieurs les journalistes, et surtout vous tous, Mesdames, Messieurs, Frères et Sœurs, chers amis, qui suivez ce discours en direct ou en différé, je suis heureux de récapituler le chemin parcouru pendant cette Assemblée plénière d’automne des évêques de France, afin d’en garder trace et de rappeler les décisions et les engagements que les évêques ont pu prendre, et de vous rendre compte du labeur des six jours écoulés.

Il me semble pouvoir dire que ces jours nous ont tournés vers l’espérance.

L’espérance comme vertu théologale qui vient de Dieu et qui nous unit à lui. Nous étions arrivés à Lourdes avec la belle mémoire des Journées Mondiales de la Jeunesse de Lisbonne, des Rencontres Méditerranéennes tenues à Marseille et de la visite du pape Francois qui les a conclues, du rassemblement Kérygma et de quelques autres moments intenses où nous nous étions retrouvés, nous évêques, fortifiés et encouragés par la joie du peuple chrétien. Nous étions aussi graves, marqués par les douleurs et les inquiétudes du moment de l’histoire que nous vivons tous.

Dès le début de notre rencontre, nous avons été conduits par le cardinal Bustillo, dans le temps spirituel de vendredi matin, à passer des gémissements au tressaillement pour aller jusqu’à l’exultation et la bénédiction. Les raisons de gémir sont nombreuses et de tous ordres, et il faut tout un travail pour s’ouvrir au « tressaillement », selon le mot du pape François au stade Vélodrome. Tressaillement devant Dieu qui s’approche, qui nous rejoint dans notre humanité blessée, divisée, souffrante, et qui vient prendre chair en nous avec toute sa bonté. Mais nous sommes appelés plus loin encore, jusqu’à l’exultation qui monte en nous lorsque nous reconnaissons l’action de Dieu ; action libératrice, action réconciliatrice, action vivifiante, celle que nous chantons dans l’Exultet de la Vigile pascale ou en nous unissant au Magnificat de Marie.  « Dans la nuit, ton peuple s’avance, libre et vainqueur ! », chantons-nous dans la Vigile. La nuit n’est pas dissipée par miracle, les ténèbres demeurent, mais il est permis au peuple de Dieu d’avancer et de s’éprouver libre et vainqueur, non par lui-même, non par ses propres forces, mais par la force de Dieu, déployée dans le Christ Jésus, mort et ressuscité.

C’est cela, l’espérance chrétienne : non pas une prolongation optimiste des tendances déjà repérables, ou le rêve que les obstacles vont se dissiper miraculeusement ; mais la découverte que le Dieu vivant agit en faveur des humains et qu’aucune ténèbre, quoi qu’il en soit des apparences, ne peut l’empêcher de nous rejoindre et de nous tirer vers sa plénitude. Et l’aboutissement, pour le peuple de Dieu, n’est pas qu’il devienne un peuple dominant, captant pour lui toutes les richesses de ce monde, mais qu’il devienne, malgré le péché qui œuvre toujours en ses membres et dans le monde, un peuple porteur de la bénédiction de Dieu pour tous et source de bénédiction en faveur de tous.

Je me permets de suggérer que nous avons été accompagnés dans cette marche vers l’espérance, plus secrètement, par saint Paul, dont la liturgie de la Messe nous a fait entendre chaque jour, sauf dimanche, un morceau de la lettre aux Romains.

Dès vendredi, nous avons reçu le cri de l’apôtre : « J’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ » (Rm 9, 2-3) cri qui prenait une résonnance toute particulière après les atroces attaques terroristes commises par le Hamas dans le Sud d’Israël et la capture de 240 personnes emmenées comme otages. Saint Paul, bien sûr, n’écrivait pas cela pour commenter la situation d’Israël aujourd’hui. Dans la longue réflexion sur l’œuvre de salut du Dieu vivant qu’il écrit pour les Romains et pour tous ceux et celles qui mettent leur foi dans le Christ Jésus, l’Apôtre se heurte à un fait massif : le refus non pas de tous, car lui-même est juif, comme Marie et les autres apôtres et de nombreux autres, mais de la plus grande partie d’Israël, de reconnaître en Jésus crucifié et ressuscité le Messie promis ; et dans le don de l’Esprit-Saint aux païens, la réalisation des promesses de l’Alliance. Saint Paul constate ce qui paraît mettre en échec sa prédication, mais il y reconnaît, lui, la logique de l’action de Dieu, qui travaille pour le salut de l’humanité entière et qui, comme lui, Paul, ose l’écrire : « enferme tous les hommes dans le refus de croire, pour faire à tous miséricorde » ; comme nous l’avons entendu lundi matin.

Au lieu de voir dans cette résistance un échec, ou tout au moins, une limite au succès de la prédication de l’Évangile ou du fameux « kérygme » qu’est l’annonce de la victoire de Jésus, le Crucifié ressuscité, saint Paul y reconnaît la logique profonde de l’action du Dieu vivant, et l’espérance d’un salut qui puisse englober tous les êtres humains, même les plus éloignés et les plus endurcis. Il tire son espérance, non pas de l’espoir d’un retournement miraculeux des esprits, ni d’un renversement inespéré des tendances constatées, mais de sa contemplation de l’œuvre de Dieu dans l’histoire de son peuple, qui surmonte toutes les résistances en les dépassant par un surcroît de miséricorde. Dieu n’est pas vainqueur au long de l’histoire parce qu’il userait les réticences des Hommes, mais parce qu’il s’abaisse plus profondément, parce qu’il tire de lui-même des profondeurs de pardon et de vie toujours inattendues et inespérées et qu’il suscite, par-là, chez les êtres humains, dans les profondeurs de la liberté, des désirs de vie et d’amour eux aussi inattendus et inespérés. D’une compréhension plus juste de cet enseignement de l’apôtre saint Paul est venue, nous le savons, la profonde révision que l’Église a menée de sa pensée et de son action concernant Israël en toutes ses dimensions.

Il en résulte que l’histoire de l’humanité ne conduit pas seulement au futur par la prolongation des tendances que l’on peut constater et/ou analyser dans les psychologies humaines ; dans les réalités économiques, sociales, politiques, culturelles ou climatiques. L’histoire conduit vers l’avenir qui est l’avènement de ce que Dieu seul peut produire et qui échappe à nos prises. Dieu seul soulève ce « couvercle bas et lourd » qui pèse sur nos existences, et perce vers la communion éternelle avec lui et en lui avec tous. Lui seul fait que l’histoire humaine est une destinée spirituelle qui avance vers une plénitude que les humains ne peuvent se donner, mais qu’ils sont faits pour recevoir, dans laquelle ils sont faits pour entrer.

Et c’est ainsi qu’au terme du chapitre 11 de sa lettre, l’apôtre s’exclame, nous avons entendu cela lundi : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables !Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ?  Qui lui a donné en premier et mériterait de recevoir en retour ?  Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen. »

L’essentiel de notre travail pendant cette assemblée a consisté à approfondir notre compréhension de la mission de l’Église.

Ce travail s’inscrit dans cette perspective de l’espérance. Nous sommes envoyés : mission vient du verbe latin qui signifie envoyer, comme le Fils est envoyé par le Père ; comme l’Esprit-Saint est envoyé dans le monde. Parler de mission, reconnaître que l’Église est et doit être missionnaire, n’est pas se motiver pour relancer une campagne d’adhésion qui se serait essoufflée. C’est entrer plus avant dans l’œuvre de Dieu, collaborer à l’œuvre de Dieu, qui ne laisse pas l’histoire de l’humanité glisser vers le néant, mais la tire vers sa vie à lui, pour une plénitude qui n’aura pas de fin. La résistance rencontrée, l’indifférence même à laquelle l’annonce de la bonne nouvelle peut être confrontée, ne signifient pas que Dieu aurait cessé de travailler ; que l’Esprit-Saint se serait mis en repos ; que le Ressuscité n’attirerait plus à lui toutes choses. Mais l’histoire connaît des phases ; des phases d’adhésion et des phases de refus ; des phases de diffusion et des phases de retrait apparent ; parce que Dieu veut atteindre l’humanité en toute son extension et en toutes ses profondeurs ; dévoilant le péché, c’est-à-dire la capacité de refus, pour mieux nous en libérer et pour ouvrir en l’humanité et en chacune et chacun, des capacités de don insoupçonnées.

Nous souhaitons continuer dans d’autres assemblées notre travail sur ce thème de la mission ; travail théologique et travail pastoral. Nous voulons mieux comprendre ce qu’est l’ « acte intégral d’évangélisation » ; mieux déterminer comment les différentes dimensions de cet acte global, peuvent se composer aujourd’hui, dans le temps spirituel où nous sommes, et le déterminer ensemble pour mieux le servir. Nous accueillons avec émerveillement dans nos diocèses, les catéchumènes et les recommençants. En chacune ou chacun d’eux, nous reconnaissons l’œuvre totale de Dieu se déployant depuis le plus intime de la Trinité sainte pour atteindre la profondeur d’une liberté humaine et lui ouvrir un chemin inespéré. Nous avons déjà compris qu’il était capital que ces candidats au baptême soit accueillis dans des fraternités qui les initient à la vie chrétienne, plutôt que seulement accompagnés par des équipes qui les préparent aux sacrements de l’initiation ; car il s’agit pour eux et pour elles de se laisser engendrer à une vie nouvelle, et non pas tant d’acquérir quelques idées différentes, ou quelques exigences morales de plus. Rien ne s’oppose en cela, mais une vue plus large et plus juste, nous fera mieux servir l’œuvre de Dieu. Nous rendons grâce pour les initiatives missionnaires nombreuses, variées, foisonnantes, que nous avons pu recenser ; et nous nous émerveillons de la générosité de tant de chrétiens, heureux de donner gratuitement ce qu’ils ont reçu gratuitement. Nous voulons ensemble identifier des critères plus précis pour que le zèle missionnaire soit en tout et partout le zèle pour le Dieu vivant, et non une volonté de conquête ou de reconquête.

Nous avons travaillé aussi, en deux séquences, sur nos relations avec les Musulmans.

L’occasion en étant le cinquantième anniversaire du service national de la CEF chargé de ce thème. Cette réflexion s’articulait bien (et le magistère nous y invite lui-même) à nos réflexions sur la mission. En effet, l’Église catholique situe le dialogue non pas en opposition à l’annonce de l’Évangile, mais comme l’expression habituelle de toute relation engagée par les disciples de Jésus avec leurs contemporains ; une relation mue par un intérêt gratuit pour autrui, dans l’infini respect des consciences ; et qui sait pourtant dire la fierté d’appartenir au Christ.

Le Service National pour les Relations avec les Musulmans avait commencé sous le nom de « SRI » : « service des relations avec l’islam », pour aider à l’accueil des immigrés musulmans en France. C’était alors un devoir de justice sociale et un devoir religieux. Il s’agissait de veiller au respect pour eux du droit à la liberté religieuse, et d’aider à ce que son exercice effectif soit possible ; de leur manifester aussi, à leur arrivée en France, respect et amitié. L’histoire a avancé, et la présence des musulmans en France s’est transformée. Le service aussi.

Il reste toujours un devoir de justice et un devoir religieux : contribuer à ce que nos concitoyens musulmans puissent exercer tous leurs droits de citoyens ; veiller avec eux au respect du droit à la liberté religieuse ; les aider à faire confiance au cadre républicain et laïc de notre pays ; mais aussi les connaître dans la diversité de leurs traditions culturelles et spirituelles ; recevoir leur témoignage de croyants et leur apporter le nôtre, dans la perspective d’une fraternité toujours plus réelle. Nous espérons contribuer à former une seule humanité, appelée à vivre dans la communion éternelle avec Dieu et entre nous ; et ce qui nous distingue et nous sépare en cela nous encourage, nous chrétiens, à chercher à en vivre davantage nous-mêmes, pour mieux servir la destinée spirituelle de l’humanité entière.

Nous nous sommes rappelés les uns aux autres ce que cette attitude supposait de respect, d’attention, de travail de connaissance, et aussi de liberté intérieure de notre part ; ainsi que notre disponibilité pour des amitiés réelles, c’est-à-dire aussi gratuites ou désintéressées. Nous portons pour les musulmans comme pour tout être humain, l’espérance qu’ils découvrent la richesse et la profondeur de l’amour de Dieu ; comme nous la portons, nous portons cette espérance, pour nous qui savons nos aveuglements et nos réticences ; et nous recevons d’eux la force de leur expérience de croyants ; eux qui sont si capables de reconnaître la présence et l’action de Dieu dans les autres. Nous savons bien, à l’école de l’apôtre Paul, que l’espérance est tout autre chose qu’une entreprise de promotion ou d’intimidation. Entre une vision minimaliste qui ne verrait dans l’islam qu’une erreur ou une hérésie, et une vision maximaliste qui y verrait une voie de salut parmi d’autres, notre réflexion nous a poussés à tendre à une relation avec les musulmans plutôt inspirée par ce « chemin supérieur à tous les autres » qu’évoque saint Paul (1ère Lettre aux Corinthiens 12,31) : celui de la charité, cet amour que les chrétiens contemplent sur le visage du Christ et qui est répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit. C’est dans le décentrement de soi, c’est dans le don désintéressé de soi, que se trouve la vie de Dieu et la vie en Dieu ; et nous croyons, nous, que Jésus et Jésus seul nous le rend possible en vérité, en toute justice, malgré la force du péché en nous et autour de nous ; et cela parce que Lui, Jésus est l’envoyé du Père, l’engagement ultime de Dieu en notre histoire humaine ; venu non pour s’y perdre, mais pour nous y attirer vers le Père, dans la gloire de sa filiation unique.

L’espérance s’accorde aussi avec la patience, le respect du temps de Dieu et du temps de chaque liberté, et elle passe par l’amour sincère de l’amitié. Nous avons évoqué les personnes venues de l’islam qui découvrent le Christ Seigneur et décident de le suivre, et nous nous réjouissons que de tels chemins soient possibles dans notre pays. Nous avons mieux pris conscience de notre responsabilité de veiller à leur accueil et à leur accompagnement. En ces personnes, nous voyons la puissance de l’appel du Christ à l’œuvre, et nous admirons leur courage spirituel. Nous avons été relancés dans notre devoir d’appeler et de former des acteurs de tous ordres pour le dialogue et la rencontre. En votre nom, je remercie le P. Jean-François Bour, responsable du Service national, M. Younès qui a aidé à notre séquence de travail, professeur de l’Université catholique de Lyon, les collaborateurs et collaboratrices réguliers ou occasionnels du service, et aussi nos délégués aux relations avec les musulmans et toutes les personnes qui y travaillent avec nous et pour nous.

En cette session, nous avons entendu le point d’étape du groupe de travail sur l’accompagnement que nous devons et pouvons apporter aux personnes qui auraient été victimes à l’âge adulte de violences ou agressions sexuelles de la part de prêtres, ou dans un cadre ecclésial.

Nous avons écouté avec émotion une personne victime venue nous témoigner ce qu’elle avait vécu. Elle s’est faite le porte-voix des autres. En l’entendant, nous avons renouvelé l’expérience qui avait été si décisive pour nous il y a deux ans, lorsque nous avions entendu des personnes ayant été agressées alors qu’elles étaient mineures, qui avaient accepté de venir nous parler et travailler avec nous. Par son témoignage et par ses réflexions, cette femme, à son tour, nous a décrit un chemin de progression pour l’Église. Car s’il est terrifiant de découvrir comment une relation pastorale, qui devrait être une relation de vie, peut être détournée et pervertie pour devenir une relation d’emprise qui prive la personne victime de sa liberté de pensée et de jugement ; la description de ce phénomène montre aussi qu’il peut en être autrement. Au nom de tous les évêques, je remercie Mme Corinne Boiley qui a accepté de conduire ce groupe de travail ; je remercie la personne qui est venue avec elle passer deux jours ici avec nous ; je remercie les autres membres de ce groupe de travail, et ceux et celles qui ont été ou seront auditionnés. Nous suivons avec attention les réflexions juridiques en cours, en vue de mieux définir l’emprise, et d’en établir les critères. L’aide de la justice pénale de l’État nous paraît essentielle, car elle dispose de moyens d’enquête et d’évaluation que la justice canonique ne peut ni ne pourra réunir, dont il est meilleur même qu’elle ne prétende pas les réunir un jour. Évêques, nous avons à veiller à ce que la tradition chrétienne de l’éducation au renoncement à soi, ne soit pas confondue avec l’emprise, et ne le garantirons d’autant mieux que nous serons conscients que la perversion de l’emprise peut s’y glisser. Un effort a été mené ces derniers mois auprès des associations de fidèles menant la vie commune, pour qu’elles confient à la Commission Reconnaissance et Réparation de la CORREF (Conférence des Religieuses et Religieux de France) le soin d’accueillir les personnes qui auraient été victimes en leur sein, et de les accompagner sur un chemin de réparation ou qu’elles se dotent des moyens de le faire d’une manière respectueuse de ces personnes et de la justice qui leur est due. Nous avons mesuré aussi l’importance du travail commencé en vue d’établir une charte de la relation d’accompagnement spirituel. En mars dernier, notre assemblée a demandé aux conseils presbytéraux dans les diocèses d’étudier le rapport du groupe de travail à ce sujet et d’y réagir. D’autres personnes sont concernées, car l’accompagnement spirituel n’est pas un monopole des prêtres. Il conviendra d’associer ces autres personnes, et de faire aboutir cette recommandation d’ici mars 2025, selon le délai prévu.

Puis-je dire que nous avons abordé ce thème douloureux avec crainte, et cependant dans la même perspective d’espérance que le reste ? Car l’apôtre, dans les chapitres 6 à 8 de sa lettre, montre bien que l’espérance n’oublie pas la gravité du péché et du mal commis ; ni ne consiste à se persuader que le péché peut être surmonté facilement. Au contraire : saint Paul exprime avec force la prégnance du péché dans la liberté humaine et combien le péché peut être porteur de mort. Mais la grâce du Christ et la puissance de l’Esprit-Saint qui nous est donné, font qu’il est possible et qu’il vaut la peine de nommer le mal pour ce qu’il est ; de faire la vérité et la justice ; et de chercher à avancer vers des relations nouvelles.

Nous avons pu ainsi dans cette session confirmer notre engagement dans la reconnaissance et la réparation que nous devons et voulons apporter à ceux et celles qui ont été victimes dans l’Église. Dans ce travail de vérité et de justice, nous reconnaissons l’œuvre de Dieu qui sanctifie l’Église. Il nous conduit à ajuster toujours mieux nos relations pour qu’elles soient dignes de lui, dignes du Seigneur Jésus, vraiment au service de la vie dans l’Esprit-Saint. Plus largement, c’est à cette liberté spirituelle qu’il nous faut nous éduquer nous-mêmes et aider les prêtres, les diacres, toutes les personnes ayant une autorité dans l’Église et tous les membres de l’Église, tous les fidèles, à grandir.

Car la mission suppose des acteurs, l’envoi suppose des envoyés.

Notre réflexion à ce sujet trouve aussi un encouragement dans la lecture de la lettre aux Romains. Hier mardi, le passage lu, tiré du chapitre 12, dans lequel saint Paul exhorte les chrétiens à assumer pleinement leur responsabilité spirituelle en menant leurs vies avec intensité, devant Dieu et devant les hommes, dans un combat spirituel exigeant et joyeux, ce passage, donc chapitre 12, nous a fait entendre un appel étonnant : « Nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. » L’apôtre reprend la comparaison du corps, dans lequel chaque membre est différent des autres et a une fonction qui le distingue et qui est nécessaire à tous ; mais il la subvertit, il la transforme lorsqu’il ose formuler que « nous sommes membres les uns des autres ». Il désigne ainsi dans la communion de l’Église une appartenance mutuelle qui dépasse la simple appartenance commune ; une hospitalité réciproque dont nous ne mesurons pas toujours les conséquences.

Cette formule de saint Paul contient une forte lumière pour comprendre ce qui est en jeu dans la synodalité de l’Église,et l’effort présent pour la déployer et l’exercer plus pleinement.

Nous avons entendu avec gratitude le récit que les membres français de l’assemblée synodale sur la synodalité nous ont fait.

Ils étaient quatre évêques élus : Mgr Alexandre Joly, Mgr Matthieu Rougé, Mgr Benoît Bertrand, Mgr Jean-Marc Eychenne ; le cardinal Jean-Marc Aveline et Mme Anne Ferrand, consacrée du diocèse de Rodez, ayant été choisis par le Pape. Chacun d’eux nous a partagé, de manière vivante, ses découvertes, ses surprises, ses questions, ses attentes. Un des défis des mois qui viennent sera sans doute d’impliquer davantage nos Églises particulières dans le processus synodal, et d’intéresser plus résolument les jeunes, les pauvres, les prêtres : trois catégories de fidèles qui ont parfois eu des raisons de ne pas s’y considérer invités. Nous retenons aussi la richesse de la démarche de la « conversation dans l’Esprit », certainement transposable en beaucoup d’instances de notre vie ecclésiale ; et aussi la nécessité de coordonner justement doctrine, ou plutôt la réflexion théologique, et le partage d’expérience. En tout cas, nous pourrions retenir de saint Paul que la synodalité ne saurait être la simple juxtaposition des différentes catégories de fidèles, mais bien l’expression de l’appartenance réciproque que nous recevons du Christ Jésus, qui nous donne les uns aux autres et nous rend responsables les uns des autres et tous ensemble, d’agir pour que l’unité de l’Église soit une unité de bénédictions échangées.

Dans cette perspective aussi est venu notre travail sur les ministères laïcs.

Nous recevons de l’évêque de Rome une forte impulsion à reconnaître les charismes des uns et des autres et à instituer des fidèles pour le bien de tout le corps. Les modalités concrètes nous échappent encore un peu. Plus d’expérience sera nécessaire, sans doute, pour stabiliser des ministères tout en les voyant s’exercer dans des offices diversifiés. Cependant, l’essentiel est que l’Église suscitée par le Christ Jésus grandisse comme un corps qui n’est pas soudé par la force ou la contrainte, mais par la foi, l’espérance et la charité ou, pour le dire autrement, par le combat spirituel et la conscience d’être envoyés dans ce monde pour partager à tous les richesses reçues de l’Alliance avec eux, celle d’Israël et de son Messie élargie par pure grâce à tous êtres les humains.

Dans ce même esprit d’appartenance mutuelle et d’espérance, nous avons réfléchi à l’avenir de nos diocèses.

Nous sommes conscients que le Christ a institué le ministère apostolique pour que son Église soit un corps vivant, mais non pas la carte des diocèses, pas plus que celle des paroisses. Quelles forces humaines, spirituelles et aussi matérielles faut-il pouvoir mobiliser, pour rendre témoignage au Christ et à sa Résurrection ? En portant cette question encore, nous avons voté les nouveaux statuts de notre Conférence, revus en fonction de la transformation que nous avons décidée en mars dernier au terme d’un processus de deux ans. Le travail de description de la nouvelle organisation en pôles va pouvoir se poursuivre, et nous espérons la mettre en place l’été prochain. Les évêques actuellement en charge d’un Conseil aideront à envisager les futures manières de travailler et d’agir. Des choix devront être faits. Des thématiques devront être assumées autrement, si possible avec plus de transversalité et avec plus de circulation entre les équipes des pôles et le Conseil permanent de notre conférence. Mais les évêques ne pourront le faire que grâce aux directeurs et directrices des services nationaux, et à tous les collaboratrices et collaborateurs de la Maison de la Conférence. Nous avons profité à nouveau, en cette session, de leurs compétences et de leur disponibilité. Je les remercie en votre nom à tous.

Ce matin même, saint Paul nous a relancés encore, lui qui écrit au chapitre 13 de sa lettre aux Romains : « Le plein accomplissement de la loi, c’est l’amour. » L’amour n’est certes pas qu’un sentiment ou une émotion. Il est l’engagement de chacun ou de chacune vers le bien, ainsi que l’affirmait Mgr Olivier Leborgne dans son homélie pour les obsèques de Monsieur Dominique Bernard, ce professeur assassiné à Arras : « L’amour est une détermination de la liberté qui s’engage pour le bien de l’autre, jusqu’au bien de tous et de la cité ».

Parce que nous en sommes convaincus, parce que nous manquerions à notre mission si nous n’appelions encore et toujours les hommes et les femmes vers qui nous sommes envoyés à vivre cette beauté, cette exigence, cette vérité, de l’amour ; dans la conscience des graves défis de notre temps ; des épreuves ordinaires que vivent beaucoup d’hommes et de femmes ; des risques considérables qui pèsent sur l’humanité du fait de la quantité d’énergie dont elle a depuis des décennies besoin pour vivre, et de la quantité de déchets qu’elle produit ; en portant dans notre prière ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, souffrent violence, nous voulons, au terme de notre assemblée, lancer une triple série d’appels :

• des appels à notre pays d’abord, et à nos sociétés occidentales.

D’abord, pour dire notre inquiétude à l’idée que la liberté d’avorter puisse être inscrite dans la Constitution. Alors même que nous recevons de notre foi que l’altérité entre hommes et femmes est une richesse de notre humanité, et un signe de l’altérité de Dieu qui nous appelle tous ; nous appelons de tout cœur à ce que les droits des femmes soient mieux garantis et mieux promus ; à ce qu’une réelle égalité civile et sociale leur soit assurée; à ce qu’elles soient mieux protégées des violences que les hommes peuvent exercer sur elles. Mais l’avortement, dont la décision est rarement un choix de pleine liberté, ne peut être compris sous le seul prisme des droits des femmes. Nos sociétés peuvent mieux promouvoir le respect mutuel des hommes et des femmes ; l’éducation à la sexualité et l’intégration de la sexualité dans la masculinité et la féminité ; la responsabilité de tous à l’égard de l’enfant à naître.

Ensuite, pour redire notre inquiétude non moins grande devant le projet de loi en préparation concernant la fin de vie. Une société humaine doit être fraternelle pour tous et pour toutes jusqu’à la fin de la vie, et promouvoir l’aide active à vivre tout en se gardant d’un « certain goût pour la mort » inhérent à notre humanité marquée par le péché.

Enfin, nous lançons un appel pour lancer un sursaut d’humanité face au fait des migrations. Nous voulons relayer la voix du pape François à Marseille qui a su si fortement toucher les cœurs et les intelligences, en partageant son angoisse de sentir nos sociétés s’endurcir et se fermer à la compassion et à la fraternité. Nous pouvons, en France, encore, recevoir comme des frères et sœurs en humanité ceux et celles qui viennent chez nous dans l’espoir d’une vie meilleure pour eux ou leurs enfants, en accueillant leurs talents et leurs énergies ; cette attitude permettant, bien mieux que l’illusion d’empêcher toute migration, de fixer des règles ; d’exiger le respect de nos lois et de notre équilibre social et culturel ; et de travailler avec les pays de départ, pour que puissent y rester et y trouver de quoi vivre dignement le plus possible de leurs citoyens.

• autre série d’appels : un appel aux jeunes ensuite, et un encouragement aux prêtres et aux diacres.

Aux jeunes, d’abord. Nous les avons accompagnés aux JMJ. Nous avons reçu d’eux un formidable encouragement. Nous avons constaté leur soif de connaître et de suivre le Christ ; de hisser leur vie sur la crête de la suite de Jésus ; nous avons découvert leur sérieux, leur détermination à assurer les grands défis qui se présentent à leurs générations. Ces jeunes sont très divers, mais le futur leur appartient et ils veulent y vivre un avenir pour eux et pour tous les autres. Le message que nous avons publié hier veut les encourager à vivre leur vie comme une grande aventure spirituelle. Une séquence nous a fait revenir sur les émeutes du mois de juin et sur la place de certains jeunes, voire très jeunes, dans ces événements. Nous savons que la vie est rude dans certains quartiers et pour certaines familles ; surtout pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants. Mme Véronique Devise, présidente du Secours catholique, nous a montré comme la pauvreté augmente dans notre pays ; tandis que M. Janvier Hongla, a illustré les discriminations que subissent les jeunes originaires même lointainement de l’immigration. Il nous a aussi mieux fait comprendre la situation particulière des jeunes catholiques issus de l’immigration ou venus des Outre-mers dans nos villes. Nous remercions Mme Devise et M. Hongla de nous avoir rejoints ici. Nous avons salué les efforts pastoraux qui sont faits en certains de ces lieux, et dit notre reconnaissance à celles et ceux, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, qui s’y engagent. Nous aimerions pouvoir en envoyer davantage. A côté des travailleurs sociaux, ils entretiennent des relations qui contribuent à l’amitié sociale et peuvent être des points d’appui pour des familles et des jeunes.

Au long de ces jours, nous avons souvent évoqué les prêtres, nos premiers collaborateurs. Sans eux, la mission ne serait pas celle du Christ, celle du Fils envoyé par le Père et qui nous envoie à son tour. Si, dimanche, nous avons entendu dans les lectures, le prophète Malachie apostropher durement les prêtres de Jérusalem ; et le Seigneur Jésus demander qu’on ne se fasse pas donner le titre de « rabbi », ni qu’on appelle quiconque « père » ; c’était pour que même ces prêtres-là le soient davantage, avec plus de justesse ; et pour que ceux qui ont autorité l’exercent vraiment comme lui, le Maître et le Fils, le fait. Car le Seigneur lui-même se rend proche des humains. Par les ministres ordonnés, évêques, prêtres et diacres, il rapproche sa présence et son action, pour que, de celles-ci, tout croyant puisse tirer lumière, force et paix. Je crois traduire ce que chacun des évêques porte en lui en remerciant les prêtres de leur engagement, et en les encourageant à mener leur mission avec toute leur intelligence, toute leur force, tout leur esprit. A l’approche des 60 ans de la restauration du diaconat permanent, nous saluons aussi les diacres de nos diocèses ; nous remercions les épouses et les enfants de nos diacres, de leur permettre d’exercer le ministère au nom du Christ. Nous nous réjouissons aussi du prochain rassemblement de 700 séminaristes qui aura lieu à Paris début décembre, le premier depuis 2009. Nous voulons dire aux jeunes hommes que le ministère de prêtre est beau et remplit une vie ; et aux jeunes hommes et aux jeunes femmes, que la consécration au Christ est un signe d’espérance donné à tous.

• enfin nous voulons lancer d’ici un appel à la paix.

La paix souffre violence. La lettre aux Romains nous aide à comprendre que la paix vient de la réconciliation de ceux qui pourraient se haïr ; de ceux et celles qui auraient des raisons de se méfier les uns des autres. Nous le disons avec humilité, et aussi avec force, comme Français qui avons éprouvé la haine puis la réconciliation avec les Allemands, le 11 novembre tout proche nous invite à y penser à nouveau, et nous le demandons, comme chrétiens, avec toute l’intensité de la prière, pour les Ukrainiens et pour les Russes ; pour les Arméniens et les Azéris ; pour les Juifs et pour les Palestiniens ; pour bien des peuples d’Afrique et d’ailleurs, soumis à des faits de guerre ou de terrorisme. Saint Paul nous fait comprendre, à nous chrétiens, que l’amitié avec le peuple juif, peuple mis à part par Dieu, est le secret de la destinée totale de l’humanité. Nous souffrons de voir remise en cause la légitimité de l’existence d’Israël ; nous souffrons des actes terroristes du Hamas ; nous souffrons avec les otages et leurs familles. Nous avons reçu avec émotion les remerciements de certaines d’entre elles, après que nous nous soyons associés à un geste demandé aux familles juives par le Grand Rabbin, pour exprimer l’attente du retour des otages. Nous souffrons de voir une guerre brutale opposer Israël et le Hamas, faisant de nombreuses victimes civiles ; nous souffrons pour les Juifs, nos pères dans la foi, menacés par une inquiétante vague d’antisémitisme. Nous souffrons pour les Palestiniens, nos frères et nos sœurs dans l’humanité et, pour certains aussi, dans la foi ; eux qui sont fiers souvent de se présenter en descendants des premiers chrétiens, des frères et sœurs de Jésus ; nous portons dans notre supplication les morts, les blessés, les mutilés, les familles meurtries, les enfants dont la vie est brisée, traumatisée une fois de plus.

Nous appelons à la justice pour le peuple palestinien qui a droit à un État libre, maître de lui-même, et dont l’humanité entière a besoin. De même, nous demandons une reconnaissance claire, partout, du droit à exister pour l’Etat d’Israël qui est appelé, sans doute, à devenir, pour le Proche-Orient, un acteur de progrès, de prospérité et de paix, grâce à une coopération stable avec ses voisins. Nous appelons aussi tous nos concitoyens, en France, à ne pas céder à la logique simpliste de l’affrontement entre communautés religieuses ; et nous nous élevons contre les attitudes racistes, antisémites et anti-musulmanes qu’une telle logique induirait. Nous souffrons pour l’humanité divisée, fracturée, par des conflits dont plusieurs sont dus à l’avidité de quelques-uns pour le pouvoir.

Nous condamnons toute prétention à faire la guerre au nom de Dieu, car nous entendons le prophète Isaïe, repris par l’Apôtre Paul : « J’appellerai mon peuple celui qui n’était pas mon peuple, et bien-aimée celle qui n’était pas la bien-aimée ». La destinée de l’humanité doit conduire à la fraternité de tous en Dieu. Aujourd’hui le chemin en passe par le respect du droit international et par la négociation. Au terme de ce discours, dans un bref instant donc, nous allons partir en procession déposer devant notre Dame de Lourdes, fille de Sion, femme de Palestine, trois grands cierges, symboles de notre intercession continue pour l’Ukraine, pour l’Arménie, pour Israël et pour la Palestine.

Plusieurs évêques représentant des conférences épiscopales d’Europe nous ont accompagnés dans cette session : Italie, Espagne, Belgique, Pologne, Allemagne et aussi Turquie ; ainsi que l’Église gréco-catholique d’Ukraine et l’archevêque d’Alger, représentant la Conférence épiscopale d’Afrique du Nord. Nous les remercions du temps qu’ils nous ont consacré. Leur présence nous a aidés à rester conscients que l’Église est plus vaste que notre Église en France. Dans le contexte présent, nous réalisons toujours mieux la construction admirable qu’est l’Europe. Dans la perspective des élections à venir, nous pouvons invoquer le vénérable Robert Schuman, dont le procès en canonisation suit son cours, et dont on a fêté en septembre le soixantième anniversaire de la mort, que nous espérons être sa naissance au ciel, nous l’espérons. La session d’automne nous permet d’accueillir les évêques des Outre-mers. Deux d’entre eux étaient tout nouvellement ordonnés. La France ne se limite pas à l’hexagone, non plus. Surtout, nos paroisses bénéficient heureusement de la présence des catholiques des Antilles, de la Réunion, de Nouvelle-Calédonie, ou de Polynésie. Ils nous montrent que l’histoire de la sécularisation n’est pas uniforme.

Remerciements chaleureux des évêques

J’ajoute des remerciements chaleureux pour tous les intervenants des sanctuaires de Lourdes, dont l’accueil est toujours souriant et efficace, dans les sacristies, à l’accueil Notre-Dame, à l’hémicycle, à la buvette, aux postes de sécurité. Puis-je vous demander, Mgr Micas, d’exprimer à tous et toutes la gratitude des évêques ?

Je remercie aussi le Secrétaire général de notre Conférence, les Secrétaires généraux adjoints, les Directeurs nationaux, les équipes logistiques si créatives et réactives, les assistantes, l’équipe du service de communication, et ceux et celles qui, depuis l’avenue de Breteuil, ont contribué au bon déroulement de cette assemblée d’automne.

Je remercie aussi la SNCF, avec laquelle les sanctuaires ont signé une nouvelle convention pour trois ans.

Chers Frères évêques, et vous tous, frères et sœurs, qui êtes ici ou qui nous suivez par la télévision, continuons notre prière pour notre humanité. Que Dieu mette en tous l’espérance. Comme conclut saint Paul dans sa lettre aux Romains : « À Dieu qui seul est sage, par Jésus-Christ, à lui soit la gloire aux siècles des siècles ! Amen. »

 

Déclaration des évêques de France au sujet de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution

Toute vie est un don pour ce monde

Le Président de la République a annoncé récemment sa décision d’entamer le processus devant aboutir à l’inscription dans la Constitution de la liberté d’accès à l’interruption volontaire de grossesse. Évêques de France, nous voulons dire notre inquiétude devant ce que signifierait cette inscription. Nous le réaffirmons : toute vie est un don pour ce monde, un don fragile et précieux, infiniment digne, à accueillir et à servir depuis son commencement jusqu’à sa fin naturelle.

En 2022, il y a eu 723 000 naissances en France et plus de 234 000 avortements. C’est un triste record dans l’Union européenne, un chiffre qui ne diminue pas et, même, augmente. Cette réalité dramatique dépasse la seule question d’un droit pour les femmes. Elle n’est pas un progrès. Notre société devrait y voir surtout le signe de son échec dans l’éducation, l’accompagnement et le soutien social, économique et humain de celles et ceux qui en ont besoin. Elle devrait s’inquiéter de son avenir en constatant la baisse prévisible de sa population.

Le commandement biblique « Tu ne tueras pas » inscrit dans toutes les consciences, au-delà de celles des seuls croyants, signifie que tout être humain est confié à la sollicitude de tous les autres. Nous ne devons pas affaiblir la force d’un tel repère. Ces enfants à naître, nous en sommes d’une certaine façon tous responsables. Ainsi, le vrai progrès réside dans la mobilisation de tous, croyants et non-croyants, pour que l’accueil de la vie soit davantage aidé et soutenu. La vraie urgence est d’aider au moins les couples ou les femmes qui, aujourd’hui, n’ont pas réellement le choix et estiment ne pouvoir garder leur enfant en raison des contraintes sociales, économiques, familiales qui pèsent sur eux ou sur elles, et trop souvent sur les femmes seules.

Nous reprenons les mots du pape François qui, toujours au côté des plus pauvres, écrivait en 2013 : « cette défense de la vie à naître est intimement liée à la défense de tous les droits humains. Elle suppose la conviction qu’un être humain est toujours sacré (…) dans n’importe quelle situation et en toute phase de son développement. (…). Si cette conviction disparaît, il ne reste plus de fondements solides et permanents pour la défense des droits humains, qui seraient toujours sujets aux convenances contingentes des puissants du moment » (La joie de l’Evangile, 213).

Les droits des femmes doivent être davantage promus et garantis. La réelle égalité salariale, la protection contre les violences, dans la vie sociale et dans l’intimité des familles, le soutien social à leur rôle dans l’éducation des enfants, surtout pour les femmes seules, sont des progrès hautement désirables pour nos sociétés. Est-il légitime de mettre l’avortement sur le même plan que ces droits fondamentaux ? L’inscrire parmi les droits fondamentaux serait abîmer tout l’équilibre de ceux-ci.

Aux côtés d’autres croyants, d’hommes et de femmes de bonne volonté, les catholiques se sentent appelés à servir ces droits et cette dignité des plus faibles. Ils prient pour les couples et les femmes confrontés au drame de l’avortement. Nous redisons notre reconnaissance à celles et ceux qui se mobilisent pour écouter, accompagner, soutenir, consoler sans jamais juger, ainsi qu’à tous les élus qui auront le courage – par leur vote et leur engagement – de « faire avancer la culture de la vie » (Pape François, audience du 5/02/2017)

Les évêques de France, réunis à Lourdes en Assemblée plénière, le 7 novembre 2023

Déclaration des évêques de France à propos du projet de loi sur l’immigration

Les 22 et 23 septembre, Marseille et la France accueillaient le pape François venu clore les rencontres méditerranéennes. Nous avons entendu dans ses paroles un vibrant appel à relever les défis migratoires : « Nous sommes à un carrefour de civilisation. Ou bien la culture de l’humanité et de la fraternité, ou la culture de l’indifférence ». Il a souligné également que « le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, mais un fait de notre temps qui doit être traité avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. (…). Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter. Si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaitront surtout comme des dons ».

C’est dans cet esprit, pensons-nous, que notre pays devrait mener à bien la réforme du cadre juridique sur l’immigration et l’asile. Dans ce débat qui s’ouvre les évêques de France réunis à Lourdes souhaitent partager quelques points d’attention :

  • Il importe, particulièrement dans le contexte actuel, de résister à la tentation de réduire les questions migratoires à des enjeux sécuritaires, de terrorisme ou de délinquance. Ne regardons pas ceux qui cherchent à rejoindre notre sol comme une menace pour nous, ni ceux qui s’y maintiennent, même dans des conditions irrégulières, comme des délinquants. Considérons la dignité des personnes migrantes, leurs talents et leurs souffrances.
  • Dans le traitement des personnes en situation irrégulière, le principe énoncé déjà par le pape Jean-Paul II est toujours actuel : « Un effort doit être en particulier effectué en faveur de ceux qui, après un long séjour, se sont établis de façon telle dans la société locale qu’un retour au pays d’origine équivaudrait à une forme d’émigration en sens inverse, ayant de graves conséquences, en particulier pour leurs enfants». Une attention particulière doit être portée à la protection et aux droits de ceux qui contribuent déjà par leur travail à la bonne marche de notre pays, particulièrement dans les métiers qui manquent de main d’œuvre.
  • Notre pleine responsabilité en matière migratoire se trouve autant dans les conditions d’accueil de personnes qui souhaitent émigrer sur notre sol que dans notre contribution aux efforts de coopération et de justice sociale qui permettent aux personnes de rester dignement dans leur pays. Il serait inutile de réformer les règles en matière d’asile et d’immigration dans les pays d’arrivée sans un effort accru de coopération avec les pays de départ. Il s’agit d’assurer à toute personne le droit de ne pas migrer.

Nous entendons et comprenons les inquiétudes voire les angoisses que cristallisent les questions migratoires complexes face à la résurgence des guerres, des tensions identitaires, des crises sociales provoquées par les injustices comme par les dérèglements économiques et climatiques. Et nous rappelons cet enseignement de l’Eglise que « l’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges » [catéchisme de l’Eglise catholique, § 2241]. Gardons en mémoire les nombreuses situations d’accueil et d’intégration réussies qui ont enrichies notre pays depuis de nombreuses années. Aujourd’hui encore, nous avons confiance dans les ressources de fraternité qui irriguent la société française.

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