Madame Taubira
Chacun le sait, la photo de Mme TAUBIRA, ministre de la justice, a fait la une d’un hebdomadaire avec le titre injurieux de singe. J’ai été profondément choqué par une telle expression de mépris raciste. Que l’on exprime un désaccord avec sa politique, c’est le jeu normal de la démocratie. Que l’on s’attaque à sa personne en la caricaturant de manière aussi pernicieuse révèle une régression de nos relations humaines.
Une telle insulte dénote une grave détérioration de notre démocratie. Nous sommes loin de la conviction de Voltaire : je respecte votre personne et je la respecterai toujours, mais je combats vos idées. C’est le fonctionnement sain de la confrontation politique. Je suis d’autant plus choqué que la chronique de Sylvie GERMAIN, dans le Sud-Ouest en date du 23 novembre, m’apprend que des enfants auraient parcouru des rues d’Angers en brandissant des bananes avec l’inscription suivante : « C’est pour qui la banane ? C’est pour la guenon ! ». Si cette information est exacte, non seulement elle n’honore pas leurs parents, mais elle est profondément attristante. Utiliser des enfants pour ridiculiser une personne est vraiment anti-éducatif et inquiétant pour l’avenir de notre pays.
Distiller ainsi le racisme en traitant une femme d’animal peut nous mener vers des situations catastrophiques. Hélas, ce fait n’est pas isolé. Récemment, une africaine me dit avoir été blessée, dans une église de La Rochelle, par ses voisins qui n’ont pas voulu échanger le geste de paix durant la messe. En tant qu’évêque, je suis blessé avec elle et comme elle.
Nos élus
J’élargis mon propos à l’ensemble des élus, quelle que soit leur appartenance politique. La gouvernance n’a jamais été facile, maintenant moins que jamais, en raison de la complexification des réalités. Des instances multiples à consulter avant de pouvoir prendre une décision. Des marges étroites de manœuvre. De l’ampleur des domaines à analyser pour transformer les réalités. Il est vrai que les politiques donnent parfois l’impression d’une impuissance à orienter le cours des choses, à faire advenir le bien commun au-delà des intérêts catégoriels.
Certaines « affaires » contribuent aussi à augmenter cette dévalorisation de la politique. Des voix extrémistes et populistes y contribuent de manière sournoise en appelant à un remplacement radical de tout le personnel politique. Comme si les élus pouvaient être irréprochables, à l’inverse du commun des mortels ! Ils ont des limites, comme tout un chacun. Certes, ils sont invités à faire preuve de cohérence entre leurs programmes et leurs analyses d’une part, leurs paroles, leurs actes et leurs comportements d’autre part. Mais la plupart essaient honnêtement d’être à l’écoute de leurs administrés, de servir le bien public, d’assurer au mieux leur mandat, tout en étant préoccupés de leur éventuelle re-élection.
N’oublions pas que le pape Pie XI, devant la montée des totalitarismes de droite et de gauche, considérait que « la responsabilité politique est l’exercice de la plus haute charité ». Respectons nos élus.
Les immigrés
Une autre attitude à l’égard de personnes suscite mon inquiétude, avec les propos concernant les immigrés. Il y a à leur sujet des analyses outrancières et caricaturales. De même que la défiance à l’égard de la construction européenne, elles dénotent un repli sur notre hexagone, une crispation sur notre identité nationale qui confine parfois à un nationalisme étroit. Certes, en paraphrasant une formule fameuse, l’Europe ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
C’est en contribuant au développement humain intégral des pays pauvres, à commencer par une autonomie alimentaire, que nous pourrons permettre à leurs populations de vivre sur place,
sans venir, parfois au détriment de leur vie, chercher en Europe un soi-disant Eldorado. Elles pourront ainsi conserver leurs valeurs et leur identité culturelle, sans succomber aux mirages d’une société de marchandisation généralisée.
Malheureusement, l’aide au développement est moins soutenue par les Français. A l’occasion de la semaine de la solidarité internationale, qui, chaque année, se déroule fin novembre, un sondage IPSOS – AFD (cf La Croix du 18 novembre) précise que 16% seulement contre 44% l’an dernier souhaitent que la part de l’aide au développement augmente dans le budget de l’Etat français.
L’interprétation de ces chiffres bruts doit être prudente. Mais ici encore ne constate-t-on pas, à cause des difficultés de notre pays, un égocentrisme mal placé ? Pour réagir contre « la mondialisation de l’indifférence », selon l’expression du pape François, nous pouvons nous interroger : comment respectons-nous la dignité humaine des immigrés et des réfugiés ? Comment sommes-nous attentifs à des relations plus fraternelles avec eux ? Comment respectons-nous la diversité des cultures différentes de la nôtre ? Je pense par exemple aux Gens du Voyage. Durant le rassemblement Diaconia à Lourdes, j’ai été marqué par le témoignage de l’un d’entre eux. Je le connais, car il vient régulièrement au pèlerinage des Gens du Voyage à Port des Barques chaque 1er mai.
Jonathan, qui n’a pas 30 ans, s’est exprimé ainsi : « Qu’est-ce-que je découvre de Dieu à travers la rencontre de l’autre ? … Comment regarder positivement l’autre, comment voir Dieu en Lui, quand on se sent rejeté quand on est pauvre, quand on est exclu ? … Lorsque j’arrive dans une ville avec ma caravane et que je suis pas rejeté mais accueilli avec mes différences, je découvre dans l’autre l’accueil de Dieu lui-même ».Ce témoignage rejoint l’invitation du pape pour la prochaine journée des migrants et des réfugiés, qui se déroulera le 19 janvier 2014 : « Avec l’accueil et la fraternité, on peut ouvrir une fenêtre sur l’avenir. Plus qu’une fenêtre, une porte. Et encore davantage, on peut avoir un avenir ». Respectons les immigrés.
+ Bernard Housset
Evêque de La Rochelle et Saintes
Décembre 2013
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