Nous sommes ce soir réunis pour célébrer ensemble la double institution de l’Eucharistie et du sacerdoce. Les évangélistes nous apprennent qu’à la veille de sa Passion, Jésus, n’ayant jamais cessé d’aimer les siens, voulut leur laisser un témoignage concret et éternel de son amour pour les hommes, un mémorial de sa tendresse et un gage de sa miséricorde : ce fut la sainte Eucharistie que nous fêtons aujourd’hui. En ce jour où nous solennisons le dernier repas de Jésus avec ses disciples, nous rendons grâces pour tous les bienfaits que nous avons reçus au cours de ce carême : grâces de conversion, ferveur dans la prière, amour du prochain, réconciliation.
La célébration du Jeudi Saint doit également être l’occasion pour chacun d’entre nous de faire le point sur sa vie d’union à Dieu. Quelques questions me viennent spontanément à l’esprit : Ma vie se présente-t-elle comme un grand mouvement d’amour envers Dieu ? Est-ce que j’aime Jésus, son message, est-ce que je l’écoute quand il me parle dans le secret de mon cœur ? Est-ce que je suis serviteur de mes frères ? Suis-je conscient de la grandeur et de la beauté de l’eucharistie ?
- L’EUCHARISTIE EST LE FRUIT DU DON DE LA VIE DU SEIGNEUR « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Avant d’entrer dans sa passion, Jésus-Christ voulut nous rappeler qu’il acceptait d’être livré à la fureur de ses ennemis non par faiblesse ou par fatalisme, mais par amour et pour nous élever ainsi à un très haut degré de communion avec le Père et avec nos frères. Assis près de Jésus dans la salle du festin, les disciples ne comprennent pas l’acte d’humilité qu’il accomplit en leur lavant les pieds : Jésus veut se manifester à nous sous le signe de l’amour, du service et du pardon. L’amour se donne avec abondance et dans l’oubli de soi ….; celui qui aime ne compte pas. Comme celui de Judas, nos cœurs sont parfois pris au piège de calculs mesquins et égoïstes, prêts à abandonner le Christ pour un peu de fierté, la recherche du plaisir, un égoïsme aveugle, ou par peur, par lâcheté lorsque nous ne sommes pas dans un milieu chrétien. Essayons de porter notre regard plus haut, plus loin ! Les petits intérêts sont de courte durée, la réputation humaine, les honneurs passent ! Ce qui est important c’est ce que nous emporterons avec nous au soir de notre vie, ce qui ne passe pas, ce qui ne périt pas, c’est l’amour et la recherche de la vérité. C’est ce que nous vivons à chaque eucharistie, la messe est le sacrement d’amour par excellence. Recevons-le avec ferveur, si nous voulons qu’il rayonne à travers nous. Notre cœur n’est-il pas le sanctuaire de l’amour divin ? C’est pourquoi nous avons besoin du pardon régulier de Dieu pour être lavé de tout péché, animé d’un amour ardent, véritablement orienté vers Dieu et le prochain. Ai-je un cœur de chair, sensible aux souffrances d’autrui, soucieux d’accomplir la volonté de Dieu, affamé de son amour et de sa présence ? L’amour inverse la logique de ce monde : par son entremise, s’enrichit celui qui s’appauvrit, reçoit celui qui donne, grandit celui qui s’anéantit…
- SE LAISSER PURIFIER PAR JÉSUS, SE LAISSER PURIFIER PAR LE SERVICE DES FRÈRES. Jésus avait souvent parlé à ses disciples du service, de l’humilité. Cette fois-ci, Jésus enseigne en se mettant dans le rôle d’un serviteur, d’un esclave. La coutume en Palestine, à cette époque, voulait qu’après une longue marche pieds nus ou en sandales découvertes, sur des chemins poussiéreux, Celui qui était accueilli voie son hôte lui faire laver les pieds en signe de bienvenue. Cette coutume n’existe pas dans notre Occident actuel mais elle est facile à comprendre. D’ailleurs aider à se laver tous ceux qui ne peuvent pas encore ou ne peuvent plus s’y mettre par eux-mêmes est un geste de service toujours quotidien. On fait la toilette des tout-petits, des malades, de nos frères et sœurs aînés, des infirmes. Jésus lui-même expliqua le sens qu’il donnait à son geste. Voici les termes que rapporte saint Jean: «Je vous ai donné l’exemple pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous» (Jn 13,15). Cet exemple est clair et cadre avec la grande déclaration de Jésus: «Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir» (Mt 20,28). Il nous exhorte à être des serviteurs. Tout est clair mais attention! Est-ce là le seul enseignement à tirer de ce signe ? Au plan de la foi, qu’en est-il ? Vous avez entendu la réaction de saint Pierre, son refus: «Tu ne me laveras pas les pieds, dit-il à Jésus. Non! Jamais!» (Jean 13,8). Et Jésus réplique fermement: «Si je ne te lave pas, tu n’a pas de part avec moi!» Jésus voulait-il parler seulement de la toilette avec l’eau, la serviette ? Évidemment non ; il y a là tout un symbole. La part avec Jésus, c’est la place dans le Royaume de Dieu, c’est la vie d’enfant de Dieu. Ce signe rappelle que Jésus est venu nous purifier du péché, guérir notre nature blessée et que nous avons à accepter sa grâce. En ce domaine, seuls, nous ne pouvons rien. Si nous refusons, si nous traitons son offre à la légère, nous sommes perdus. En ce Jeudi Saint, le geste et la parole de Jésus acquièrent tout leur sens. C’est pour nous que Jésus va donner sa vie. Le geste de laver les pieds est le symbole de la purification des disciples. N’oublions pas l’invitation du Seigneur : « c’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
- L’EUCHARISTIE EST LA PERFECTION DE L’AMOUR. « Jésus, écrit saint Jean, alors qu’il avait aimé les siens lorsqu’il était dans ce monde, les aima jusqu’au bout ». Jusqu’au bout ? Que veut dire l’évangéliste ? Il les aima jusqu’au bout de son existence terrestre : c’est bien vrai. Mais plus encore, il les aima jusqu’à la consommation de ses forces, jusqu’au don de sa personne pour nous. L’amour vécu à son plus haut degré d’épanouissement rend l’homme vulnérable parce qu’il substitue à son cœur de pierre un cœur de chair, aimant, passionné, souffrant, un cœur ouvert pour laisser entrer dans le train de ses soucis et de ses sollicitudes, le prochain avec son lot de peines, d’angoisses, de souffrances… La grâce de Dieu a l’incroyable pouvoir de nous configurer au Christ et de lui soumettre tous les aspects de notre personnalité afin, qu’en nous, soient solidement enracinés l’amour de la vérité, du Seigneur, de notre Eglise, qui est beaucoup plus belle que ceux qui la salissent par leurs comportements scandaleux. La suite du Christ est l’école du véritable don de soi pour nos frères, l’école de l’humilité, qui nous rapproche des plus petits. Alors que nous célébrons l’institution de l’eucharistie, souvenons-nous que dans le saint sacrement, Jésus se rend présent au milieu de nous, ainsi que le relevait saint Jean Chrysostome : «moi je vous dis que c’est Lui-même que vous voyez ; que c’est Lui-même que vous touchez, que c’est Lui-même que vous mangez.». Apprenons à lire les événements qui ponctuent notre existence avec le regard tout – aimant du Christ. Soyons bien convaincus que des joies, des peines, des défis et des espérances qui émaillent le train ordinaire de notre journée, rien n’échappe au plan de Dieu sur nous : chaque rencontre, chaque défi, chaque instant de notre vie peuvent devenir le lieu d’une conversion intérieure, d’une croissance spirituelle, d’un témoignage de foi. Aimer jusqu’au bout, c’est aimer comme saint Maximilien Kolbe, c’est-à-dire vaincre la peur ; comme Edith Stein, c’est-à-dire avoir le courage de la foi chrétienne d’une enfant juive convertie ; comme Mère Teresa, en passant de l’enseignement dans un collège aux enfants et aux vieillards de la rue à Calcutta ; comme saint Damien de Molokaï, en vivant avec les Lépreux ; comme Saint Théophane Vénard, en annonçant l’évangile en période de persécution ; comme le bienheureux Jean-Baptiste Souzy et ses compagnons, qui ont étté fidèle à Rome, ont aimé l’Eglise et lui ont donné leur vie sur les pontons de Rochefort. Prenons toujours plus conscience de la beauté de l’Eucharistie qui nous permet d’accueillir le Seigneur en nous et fait de chacun de nous un serviteur. Notre Eglise a besoin que nous vivions de ce sacrement d’amour, l’humanité en a besoin, car l’eucharistie, c’est la part divine de notre humanité !
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes