Chers Frères et Sœurs,
Dimanche dernier, scribes et pharisiens récriminaient contre Jésus: «cet homme fait bon accueil aux pécheurs » (Lc 15,2).
La réponse de Jésus nous a donné l’une des plus belles paraboles sur la miséricorde : la parabole de l’enfant prodigue. Aujourd’hui, les mêmes scribes et pharisiens approchent Jésus « pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser » (Jn 8,6). Ils « lui amènent une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère » (8,3).
Étonnante situation : on ne peut commettre l’adultère seul ! Où est donc passé l’homme avec qui la femme avait été surprise ? Courait-il plus vite qu’elle ? A-t-il réussi à fuir quand ils ont été surpris? Dans ce cas, on peut douter de son amour pour cette femme. En l’abandonnant ainsi, il la condamnait à une mort certaine. Selon la Loi de Moïse, il méritait la mort : «L’homme qui commet l’adultère avec la femme de son prochain devra mourir, lui et sa complice » (Lv 20,10 ou encore Dt 22,22).
Quoi qu’il en soit, aux yeux de ses accusateurs, la femme est déjà condamnée : “dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là” (Jn 8,5). La vie de cette femme dépend donc de la réponse que donnera Jésus. La vie de Jésus dépend elle aussi de la réponse qu’il offrira à cette question piège. Est-il pour la loi de Moïse ou contre la loi, contre le Dieu des Juifs, ou avec lui ? Que choisira Jésus : la Loi ou la miséricorde ? La réputation ou la vérité, la mort ou la vie ?
Jésus répond d’abord par un geste : s’étant baissé, «du doigt, il traçait des traits sur le sol» (8,6). Jésus comptait-il ainsi le nombre des péchés de ses interlocuteurs ? Si tel est le cas, le fait que Jésus compte les péchés sur la poussière du sol est déjà encourageant. Il suffit alors d’un coup de vent, d’un souffle de l’Esprit pour que le tout soit effacé. Chose certaine, en ne répondant pas par la parole, Jésus indique bien qu’il refuse d’émettre un jugement. Il refuse de se laisser enfermer dans une logique de la faute et de la punition.
Devant l’insistance des accusateurs, Jésus finit par prendre la parole : «Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre» (8,7). Jésus renvoie ainsi les accusateurs à leur propre conscience. Il ne condamne pas leur jugement, mais il les invite à vérifier ce qui les pousse à agir, ce qui les pousse à tuer. Jésus semble leur dire : «au lieu de vous interroger sur le péché des autres, interrogez-vous donc sur votre propre péché».
Par cette parole célèbre, Jésus sauve la vie de la pécheresse. Un monde nouveau s’ouvre devant elle. Les accusateurs n’avaient pas parlé à cette femme. Jésus, lui, se redressa et lui demanda : «Femme, où sont-ils donc ? Alors, personne ne t’a condamnée ?». Elle répondit : «Personne, Seigneur». Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus», (8, 10-11). Les ennemis s’étant dispersés, il est maintenant possible à Jésus d’exercer la miséricorde en toute liberté. Or, la miséricorde de Dieu manifestée en Jésus met la femme devant sa propre liberté : «va !», mais Jésus, dans sa miséricorde, l’invite aussi à engager sa liberté retrouvée dans une direction nouvelle : «désormais ne pèche plus».
À deux semaines de la grande fête de Pâques, comme il l’a fait avec les scribes et les pharisiens, Jésus nous invite à éviter de condamner les autres. Il nous invite aussi à nous interroger sur notre propre péché. Comme il l’a fait avec la pécheresse, il nous invite à ne pas nous replier sur notre péché. Il ne nous condamne pas. Il nous invite plutôt à accueillir le pardon de Dieu pour retrouver notre liberté. Il nous invite aussi à investir cette liberté retrouvée en nous engageant à nouveau sur le chemin de l’Évangile.
Isaïe nous l’a redit dans la première lecture : « Le Seigneur dit : Ne vous souvenez plus d’autrefois, ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas ? » (Is 43, 17-19). Telle fut l’expérience de la femme adultère lors de sa rencontre avec Jésus. Tel peut être le sens profond de notre rencontre avec le Christ pendant ce carême . «Il s’agit de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en moi sa mort, dans l’espoir de parvenir, moi aussi, à ressusciter d’entre les morts» (Ph 3, 10-11). «Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus» (3, 13-14).
En face des scribes et des pharisiens, en face de la femme adultère, Jésus a su passer de la parabole aux actes. Il ne s’est pas limité à parler de miséricorde. Il l’a mise en pratique. Il ouvre ainsi un chemin de liberté.
Chers frères et Sœurs, puissions-nous le suivre sur ce chemin qui mène au mystère de Pâques et à la vie éternelle, ainsi soit-il.
+Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes