Homélie donnée par Mgr Colomb mercredi 6 mars, mercredi des Cendres.
La liturgie des cendres se signale par une austérité peu commune. Aujourd’hui, l’Eglise nous invite à suivre le Christ au désert avec un recueillement intérieur et un esprit de pénitence qui ont pour mission de manifester une certaine exclusivité dans la recherche du Christ. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste stérile ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». C’est ainsi que le temps du carême entend être celui qui nous conduit à cette renaissance, il nous invite à mourir aux passions, aux désirs, aux péchés qui nous enchaînent aux illusions et aux dangers de ce monde. Ecoutons aujourd’hui saint Paul nous rappeler avec vigueur que l’heure des conversions a sonné : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu… En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui ».
Pour nous aider sur ce chemin de conversion, l’Eglise nous offre trois moyens privilégiés de conversion : le jeûne, la prière et l’aumône.
- LE JEÛNE, CHEMIN DE RENCONTRE AVEC DIEU. En se privant momentanément du superflu, l’homme, par le jeûne, aspire à jouir plus librement de notre liberté chrétienne. «Quand vous jeûnez, nous dit aujourd’hui le Christ, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes,mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra». Qu’est-ce que jeûner ? Il existe un premier type de jeûne qui est la privation volontaire de la nourriture. L’année liturgique n’a gardé que deux jours de jeûne obligatoire : le mercredi des cendres et le vendredi saint. Toutefois, on peut y joindre avec un grand profit d’autre jours, tels que les vendredis de carême. Le jeûne consiste à se satisfaire, pour toute nourriture, d’un unique repas, modeste et frugal, au cours de la journée. Outre le jeûne, l’Eglise nous rappelle le devoir de l’abstinence qui est la privation de viandes le vendredi saint et tous les vendredis de l’année, en mémoire de la passion et de la mort du Sauveur. En dehors du carême, l’Eglise de France accepte que cette obligation soit remplacée par une autre pratique pénitentielle, telle que le chemin de croix ; mais elle doit être honorée avec une grande fidélité au cours du carême. Pourquoi l’Eglise insiste-t-elle autant sur ces exigences alimentaires qui paraissent, à première vue, un peu démodées et formelles ? Elle veut nous montrer que, l’homme étant de chair et d’esprit, il lui faut, pour changer sa vie en profondeur, y associer son corps et toute sa sensibilité. Le jeûne alimentaire a pour mission de nous aider à nous délester du superflu de la vie pour nous recentrer sur l’essentiel. Il conduit donc à un second genre de jeûne, qui est le jeûne de l’esprit, celui qui consiste à s’abstenir des plaisirs vains et dangereux de la vie, de la rancœur, des commérages, de la critique… Nous sommes invités à la chasteté verbale.
- LA PRIÈRE : SILENCE ET PAROLE POUR ECOUTER DIEU ET LUI PARLER. C’est elle qui nous permet de revenir à Dieu, source de tout bien, pour lui demander les grâces de conversion dont nous avons tant besoin. «Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, nous dit aujourd’hui le prophète Joël, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment». Aimons au cours de ce carême, à visiter souvent Jésus, caché sous l’humble aspect de l’hostie, dans le tabernacle. «Quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient (…) Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret». Prenons du temps pour nous imprégner de la parole de Dieu ; retirons-nous dans la solitude de notre esprit, dans la solitude de notre maison, dans la solitude du cœur à cœur avec Jésus, pour faire un bilan de notre relation à Dieu et au prochain, et pour rendre plus agissante la présence de Dieu en nos existences. La prière n’est pas nécessairement publique ; elle ne doit jamais être ostentatoire. «La prière, écrit saint Jean Chrysostome, est comme un tribut spirituel que l’homme tire du plus intime de son âme pour l’offrir à Dieu. Plus la prière est honorable et glorieuse, plus il faut prendre garde à ce qu’une intention tout humaine ne vienne l’avilir». Quand Jésus nous exhorte à prier sans cesse, ce n’est pas pour nous inviter à répéter continuellement des invocations et des formules toutes faites, comme par automatisme. La prière qui ravit le Cœur de Dieu est une prière sincère, humble et fervente ; ce n’est pas la quantité des paroles qui compte aux yeux de Dieu, mais l’intensité de l’amour dont elles émanent.
- LE PARTAGE EXPRIME LA TENDRESSE DE NOTRE COMPASSION. Outre le jeûne et la prière, l’Eglise nous confie aujourd’hui un troisième instrument de perfection : l’aumône, c’est-à-dire le partage. Celui qui aime Dieu en vérité ne peut rester insensible à la misère de son prochain. Il existe deux manières de donner : certains font l’aumône par pure obligation sociale, par « solidarité » comme on dit de nos jours, avec une intention philanthropique qui a sa valeur, mais qui ne correspond en rien à l’esprit de Jésus-Christ. Le précepte de l’aumône est avant tout un acte d’amour de Dieu ; l’Eglise nous invite à le pratiquer assidûment, non pour secourir une «humanité» aux contours mal définis, mais pour secourir celui qui vit à nos côtés et auquel nous ne prêtons ordinairement que peu d’attention. Cette expression de la charité doit être discrète, afin que l’âme y trouve une occasion de s’oublier et non de se glorifier aux yeux des hommes. «Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret». Il serait erroné de penser qu’une belle offrande suffit. Il existe aussi une misère tragique : c’est la misère spirituelle. C’est donc tout autrement qu’il nous faut pratiquer l’aumône : que notre générosité soit une expression de notre amour de Dieu, ce Dieu que nous pouvons encore toucher et aimer à travers notre prochain. «Ceux qui ne voient que l’homme, écrit saint Jérôme, ne reçoivent pas la récompense de Dieu, mais leur récompense ; ils ont fait leurs bonnes œuvres pour les hommes, ils ont obtenu les louanges des hommes». Puissions-nous ainsi entendre, quand aura sonné l’heure de comparaître devant Dieu, les paroles de miséricorde et d’amour que notre Père des cieux adressera à ses élus : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Bon temps de carême, chers frères et sœurs, que la prière, le partage, le jeûne nous conduisent au matin de Pâques, la conscience et le cœur en paix ! Restons ou redevenons l’homme nouveau que le baptême a fait de chacun d’entre nous.
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes