3ème dimanche de Carême
(Ex 17, 3-7; Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9; Rm 5, 1-2.5-8; Jn 4, 5-42)
Entre le pays que nous quittons, celui de nos habitudes, de nos certitudes, et la terre qui nous est promise, un grand désert nous attend. C’est dans ce désert que se creusent la faim et la soif, d’abord humaine, faim de pain et soif d’eau, comme les hébreux emmenés par Moïse, puis spirituelles, faim et soif de paroles éternelles, comme va le découvrir la samaritaine au bord du puits. Le passage du plan physique au plan spirituel exige de l’homme qui se convertit qu’il entre sur le chemin de l’espérance et de la confiance, qu’il passe du chemin du doute à celui de la foi.
Le chemin du doute : le mystère de l’absence de Dieu
Moïse guide son peuple dans le désert. Il faut imaginer la longue caravane des hommes, des femmes, des enfants, des bêtes aussi, qui s’avance durant des jours, des semaines, des mois, à la recherche de la terre promise par Dieu. Regardons aujourd’hui les longues files des réfugiés en marche vers une vie qu’ils espèrent meilleure. Ils ont faim, ils ont soif, ils ont peur aussi, certainement.
La panique s’empare de ce peuple en marche quand l’eau vient à manquer. A quoi bon avoir fui l’esclavage pour mourir de soif dans le désert ? L’accusation vise Moïse. Il est le chef, il est le responsable. Aujourd’hui nous accuserions le premier ministre ou le président de la république ! Mais derrière l’accusation qui vise Moïse se profile une autre accusation, bien plus grave. Une accusation qui est comme gravée dans le cœur des hommes. Si Dieu nous avait abandonné ? Si Dieu avait menti ? Si, finalement, nous étions seuls? Alors retentit la terrible question : ” Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? “.
La tentation de douter de Dieu est aussi la nôtre. Elle est nichée au cœur des hommes, elle est prête à surgir à tout moment depuis les origines de l’humanité, depuis que nos premiers parents ont préféré écouter le serpent. Face à l’épreuve du chômage, de la maladie, face à la crise qui peut toucher notre famille, notre couple… prendre le parti de la confiance et de la foi résulte toujours d’une décision libre de notre volonté. Pourtant Dieu répond à la plainte de son peuple. L’eau tant désirée est là, toute proche, mais le peuple ne peut pas la voir. A Moïse Dieu dit : “Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira !”. Cette parole nous rejoint aujourd’hui, là où nous en sommes sur le chemin du carême. Dieu est là, apaisant notre soif, il nous signifie sa présence en ce monde. Encore faut-il savoir écouter, savoir voir, avec le cœur ouvert et les yeux de la foi, savoir espérer en la fidélité de Dieu qui, parfois, semble absent, croire en l’Alliance et en sont caractère éternel. L’enjeu est le suivant :” Ne fermez pas votre cœur comme au désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit.”, dit le psalmiste. Toute la foi dont témoigne Paul est fondée sur la confiance et l’espérance : “nous qui sommes devenus justes par la foi”, écrit-il aux Romains. C’est cette foi confiante qui fonde notre espérance “d’avoir part à la gloire de Dieu”, car Dieu n’a pas reculé devant le don de la vie de son propre fils pour sauver les pécheurs que nous sommes.
La crise sanitaire du corona virus, avec son cortège de malades et de morts dans plusieurs pays du monde et notamment chez nous, fait entrer nos contemporains et nous-mêmes dans une période d’incertitude. Notre foi et notre espérance ne doivent pas rester calfeutrer dans nos églises, il faut encourager, aider, réconforter, annoncer le message de la vraie vie qu’est l’évangile ; Saint Charles Borromée, en soignant les pestiférés, n’est pas mort de la peste, il est mort de fatigue, d’épuisement ! Soyons des disciples de notre temps, appliquons les règles d’hygiène et de prudence qui nous sont données, mais n’oublions pas ceux qui ne connaissent pas le Christ comme compagnon de route dans cette épreuve !
Le chemin de la foi : Dieu vivant au plus intime de nos vies
Car Dieu ne cesse d’agir pour rassembler du milieu du monde le peuple qui lui appartient. Il est venu lui-même, en Jésus, parcourir nos chemins, visiter nos déserts. Il a eu faim et soif, comme nous. Pour nous, il s’est fait pédagogue. Allant au-devant de la femme de Samarie, sans se soucier de la division historique entre samaritains et juifs, il lui demande de l’eau pour étancher sa soif. De cette réalité matérielle si simple, l’eau, Jésus va conduire la samaritaine vers la révélation du mystère de la présence de Dieu en ce monde. La samaritaine fait preuve de franchise et de bonne volonté. Elle n’hésites pas à faire état de son étonnement: ” Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ?”; elle ne recule pas devant la confession de son péché : “Je n’ai pas de mari” ; elle pose même les questions relatives à sa foi : “Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem”. Face à cette femme qui ne se dérobe pas, Jésus ne se dérobe pas non plus. ” Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. “
Chacun de nous, par la grâce de Dieu et sous l’action de l’Esprit Saint peut suivre l’humble démarche de la samaritaine et entrer en dialogue avec Dieu, sur le chemin de la foi. Il suffit de prendre le temps, de se laisser pénétrer par le regard aimant et miséricordieux du Père qui sait toutes choses, d’accepter de confesser son péché et de poser les questions justes pour que Dieu vienne à nous et nous donne la vie en abondance. Dieu veut que nous soyons nous-mêmes, sans faux semblant, sans masque. Il nous reçoit tels que nous sommes car il est infiniment miséricordieux. Au bord du puits, c’est une femme authentique qui parle, qui s’étonne, qui questionne. Les réponses de Jésus feront d’elle une missionnaire : “La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : «Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ?». Le chemin de la foi s’ouvre pour elle. Elle questionne encore “Ne serait-il pas le Christ?”. Elle n’a pas épuisé toutes ses questions, tous ses doutes. Comme nous, elle a besoin de ses frères, de sa communauté, pour continuer la route, une route qui n’aura plus de fin, jusqu’à l’avènement définitif du Royaume. Le chemin du carême n’est pas recherche d’une perfection qui ferait de nous des disciples parfaits, des premiers de la classe. Il est chemin d’authenticité et d’humilité. N’ayons pas peur ! Dieu connaît nos soifs, il attend de nous que nous les lui offrions dans la confiance, et si nous savons nous arrêter au bord des puits des samaritaines du temps présent, il fera de nous et d’elles, les missionnaires dont l’Eglise a besoin !
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes