Homélies données par Mgr Colomb aux détenus des deux établissement pénitentiaires de l’île de Ré.
Homélie 4ème dimanche de l’Avent
L’Avent est à la fois le temps de l’expérience de Dieu parmi nous et celui de la joyeuse espérance qui nous guide vers l’éternité. Voilà pourquoi il est un temps de joie, d’une joie intériorisée, qu’aucune souffrance ne peut effacer : Dieu s’est fait enfant pour nous sauver. La Vierge Marie, par qui nous a été donné l’Enfant Jésus, est le modèle, le soutien, l’aliment de ce feu ardent qui doit nous consumer de charité et de zèle. Puisse-t-elle nous obtenir, fidèles disciples de son Fils, la grâce de vivre ce temps liturgique avec un profond recueillement et un plus grand zèle missionnaire !
Trois enseignements caractérisent ce quatrième dimanche de préparation à la grande fête de Noël : 1) Jésus ne se contente pas de passer : il veut demeurer parmi nous ; 2) A la suite du Christ, l’homme doit faire la volonté de Dieu ; 3) Nous sommes les visiteurs envoyés par le Seigneur.
À l’approche de Noël, nos cités prennent un air de fête. Toutes ces lumières qui illuminent les rues et les maisons… Partout, on se prépare à faire la fête. Des rencontres s’organisent pour que cette joie soit partagée avec les plus pauvres. Noël sera également fêté dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons. Chaque année, des hommes et des femmes de bonne volonté s’organisent pour que cette joie de Noël soit offerte à tous.
Le problème, c’est que chaque année, on oublie de plus en plus le vrai sens de Noël. On ne pense plus à Celui qui devrait être au centre de cette fête. Les textes bibliques de ce dimanche sont là pour nous ramener vers lui. Ils nous rappellent que Dieu ne cherche pas le grandiose ; bien au contraire, il passe par des humbles chemins. C’est ce que nous découvrons avec le prophète Michée (1ère lecture) : « Toi Bethléem, tu es le plus petit, mais tu portes le plus grand. » Ce choix de Bethléem montre la préférence de Dieu pour ce qui est petit et humble. C’est là qu’il nous transmet les messages le plus importants. Et pour que nous n’ayons pas peur de lui, Dieu se fait petit enfant.
Voilà ce cadeau que nous sommes invités à accueillir. Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a envoyé son Fils unique. Noël, c’est Jésus qui est né dans des conditions misérables ; il continue à venir dans notre vie. Il frappe à notre porte. Vivre un vrai Noël c’est l’accueillir chaque jour et lui donner la première place. Il a été envoyé pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus. C’est une bonne nouvelle pour ceux et celles qui vivent sans espérance. C’est de cela que nous avons à témoigner dans notre monde d’aujourd’hui.
Jésus n’est pas seulement passé ; le livre de Michée nous le rappelle « il se dressera, il sera leur berger… Ils habiteront en sécurité…». Il a établi sa demeure parmi nous, embrassant notre chair, revêtant toutes nos faiblesses, toutes nos misères, excepté le péché. Son abaissement nous a élevés : par l’incarnation du Fils éternel, l’humanité a retrouvé le chemin de l’amitié avec le Père. Vraiment, Jésus nous offre de renaître en lui, pour devenir « fils dans le Fils ». Seules nos infidélités limitent le réalisme de l’esprit d’adoption. Au cours des derniers jours qui nous séparent de Noël, prenons la résolution de demeurer auprès du Christ ; mettons fin aux tracas d’une préparation toute matérielle, à l’agitation et au bruit de l’action… Prenons le temps de nous plonger en la présence de Jésus, dans la solitude et le silence du recueillement intérieur.
La lettre aux Hébreux nous apporte quelques précisions sur ce Messie dont nous allons fêter la naissance. Il est l’envoyé de Dieu. Il est le seul grand prêtre. Il s’offre, lui-même pour accomplir la volonté de Dieu. En s’incarnant, il accepte une condition humble et faible. Il n’est pas né comme un roi de ce monde, mais comme un pauvre, dans une étable. Nous sommes loin de toute l’agitation commerciale de nos rues. Nous devons comprendre que Noël c’est une bonne nouvelle pour tous, tout spécialement pour les petits, les pauvres, les exclus, nous devons entendre l’appel à faire la volonté de Dieu et pour cela discerner quelle est cette volonté, chercher ce que le Seigneur attend de nous !
L’Évangile nous apporte un autre éclairage important sur le sens de cette fête. Marie vient de dire oui au projet de Dieu que l’ange Gabriel lui a transmis. Quand elle apprend que sa cousine Élisabeth est enceinte, elle se met en route et va à sa rencontre. Elle y va sans hésiter, sans se préoccuper de sa propre fatigue. Elle comprend qu’Élisabeth a besoin d’elle. Alors, elle se rend disponible. Elisabeth s’émerveille : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ! »
Cet émerveillement d’Élisabeth c’est aussi le nôtre. Marie nous voit dans des situations souvent compliquées. Nous pouvons toujours faire appel à elle car elle est notre mère. Jésus, lui-même nous l’a dit. Si nous l’appelons, elle accourt vers nous. Et Jésus est avec elle. A l’approche de Noël, elle ne cesse de nous montrer notre Sauveur. Elle nous invite à l’accueillir vraiment dans notre vie et à lui donner la première place. Vivre Noël c’est accueillir Jésus qui vient à nous, c’est accueillir son message d’amour et de paix. Il vient « nous rendre espoir et nous sauver ». Il veut habiter le cœur des hommes. C’est pour cette bonne nouvelle que nous sommes dans la joie et l’allégresse.
Marie vient vers Élisabeth avec Jésus en elle. La même Marie vient également à nous avec Jésus et nous, nous sommes les visiteurs envoyés par le Seigneur. Quand nous rendons visite à un malade, un prisonnier, une personne seule, nous allons lui porter Jésus. C’est aussi ce que font les catéchistes : leur mission c’est de porter le Christ aux enfants. Il est pour tous source de joie, de paix et d’amour. Noël c’est le commencement du don de Dieu ; c’est la manifestation d’un amour qui ne fera que grandir jusqu’à la victoire complète du Christ sur la mort et le péché.
En ce dimanche, nous nous tournons vers toi Dieu notre Père. Tu nous fais ce bonheur de nous visiter en ton Fils reçu dans cette Eucharistie. Rempli-nous de l’Esprit Saint pour qu’avec la Vierge et Élisabeth, nous puissions te rendre grâce par nos paroles et toute notre vie. Ainsi soit-il !
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes
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Homélie Messe Prisons de l’Ile de Ré (Messe de Noël anticipée )
La messe que nous célébrons aujourd’hui nous offre de solenniser, avec un peu d’avance, la grande fête de Noël. En ce jour de joie, l’Eglise et la terre toute entière acclament avec éclat la venue de Jésus parmi nous. La foi chrétienne demande, pour être approfondie et mieux vécue, une étude des grands mystères de la révélation et une connaissance expérimentale des principes de la sainteté. Cet ensemble de dogmes et de préceptes a certes une très grande importance, mais il faut parfois plusieurs années de catéchisme, voire de théologie, pour en percevoir le sens. Le spectacle de Noël, lui, parle à tous : hommes, femmes, enfants, infirmes, croyants ou non-croyants. Le Bon Dieu ne nous attend pas sur les sommets de la perfection : il vient nous chercher tels que nous sommes, avec nos misères, notre histoire, nos doutes, nos combats et nos imperfections. « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs[1] ». C’est là ce que nous dit le mystère de Noël : tout Dieu qu’il est, le Fils du Père éternel se fait petit enfant, pauvre, fragile, tremblant, silencieux. A la fois grandiose et humble, son avènement a révolutionné l’histoire humaine ; Dieu qui paraissait si lointain se propose à tout homme de bonne volonté, sans contrainte de temps et d’espace. La nativité de Jésus-Christ selon la chair n’est pas seulement un fait daté et révolu, mais une réalité de la vie spirituelle qui ne demande qu’à se communiquer, à revivre en chacun d’entre nous, à s’enrichir de notre propre histoire. « Dieu s’est fait homme, écrivait un auteur chrétien des premiers siècles, pour que l’homme devienne Dieu[2] ». Comment donc l’homme peut-il devenir Dieu ? Est-ce là une folle prétention ? Un mirage ? Un rêve sans lendemain ?
Trois facettes du mystère de Noël peuvent aujourd’hui revivre en nos cœurs et nous introduire auprès de l’Enfant Jésus : la pauvreté de son avènement, la simplicité de son entourage, la joie de sa présence.
- LE DÉNUEMENT DE LA CRÈCHE. La pauvreté de l’étable où est accueillie la sainte famille, l’inconfort du recensement qui conduit Marie et Joseph à Bethléem, loin de chez eux, le gel hivernal et l’obscurité du soir qui les surprennent en chemin, voilà des indices qui, dans les évangiles, montrent que Jésus a choisi ce qu’il y avait de plus vil, de plus misérable, de plus secret pour se manifester au monde. Pourquoi ? Parce que Dieu est vérité. Nous autres, nous avons souvent tendance à nous laisser impressionner par le spectacle d’un monde en continuelle effervescence, qui cherche à entasser les biens, profiter des agréments de l’existence, jouir sans entraves et sans règles des plaisirs de cette vie passagère, sans jamais songer à l’éternité. La recherche du Seigneur exige un renoncement : elle requiert que nous nous détachions de tout ce qui est mauvais, dangereux, superficiel. Jésus, venant dans le monde, n’a pas voulu d’autre royaume que notre cœur ; et ce royaume, il vient le mendier en s’anéantissant dans la crèche. Dieu entre dans le temps, il se revêt de notre faiblesse, de nos limites, de notre condition charnelle, pour nous élever dans le secret de son amour. Alors, ne laissons pas cette pauvreté frustrée, mais remplissons-la de nos prières, de nos efforts de conversion, de nos renoncements et de nos souffrances. N’ayons pas peur d’offrir nos misères à l’Enfant-Roi !
- SIMPLICITÉ DES PROCHES DE L’ENFANT JÉSUS. Il est coutume, à l’approche de Noël, de représenter dans nos maisons et sur nos places la crèche de Bethléem. Quel étrange spectacle ! Entre Marie, modeste vierge de Nazareth, et Joseph, charpentier besogneux aux mains calleuses, repose dans une mangeoire l’Enfant nouveau-né. A sa droite, un âne, qui, selon l’usage, représente la Nation choisie ; à sa gauche, un bœuf symbolise toutes les nations païennes. Cette compagnie est bien simple : elle n’est ni savante, ni mondaine, ni sophistiquée, ni inquiète des modes et des nouveautés qui entraînent le monde à une course sans fin. Au contraire, les figurants très ordinaires dont s’entoure le Fils de Dieu nous rappellent que le bonheur, la sainteté, la joie sont à portée de main. Ce n’est pas par la force du poignet ou par de savants calculs que l’on trouve Dieu, mais dans la simplicité du cœur à cœur, dans le dénuement et la sincérité d’une prière toute confiante, toute enfantine, toute cordiale. « Bien loin d’exiger de grandes dépenses, écrit Bossuet, Jésus demande seulement de l’eau la plus simple pour régénérer ses enfants ; il ne faut qu’un peu de pain et de vin pour consacrer ses mystères, où réside la source de toutes ses grâces ; jamais il ne s’est tenu mieux servi que lorsqu’on lui sacrifiait dans des cachots et que l’humilité et la foi faisaient tout l’ornement de ses temples[3]».
- JÉSUS NOUS APPORTE LA JOIE. Nul ne doit être exclu de la profonde allégresse qui vient aujourd’hui délivrer le monde de ses servitudes : celles du matérialisme, de la haine, de l’égoïsme, de l’indifférence aux malheurs du prochain ; tyrannies des addictions à la drogue, à l’alcool ; drames de la prostitution et de l’esclavagisme… Jésus vient nous chercher tels que nous sommes et déposer dans le cœur blessé de ses chers enfants, une joie qui n’est pas un maigre feu de paille, mais une généreuse promesse de liberté. Allongé dans sa crèche, l’Enfant Jésus ne juge pas encore, mais nous accueille ; du haut de la croix, le Messie ne juge pas non plus, mais sauve ; lorsqu’au dernier jour, toutefois, nous comparaîtrons devant lui, il nous accueillera puisqu’il est notre père, mais il examinera avec soin chaque instant de notre vie, parce qu’il est juste. La liberté a un coût, un sens, une incidence décisive sur notre histoire personnelle : elle ne peut être reçue avec fruits que si nous acceptons de changer ce qui, dans nos vies, facilite les diverses formes de servitude. Faisons le pari de la liberté : renonçons à nous laisser dominer par le découragement, la passion, les mauvaises habitudes et tendances qui font miroiter dans notre âme un bonheur illusoire et mensonger. Le Sauveur, le Rédempteur nous redonne aujourd’hui le goût des valeurs qui permettent de bâtir notre vie sur le roc de la foi, sur la vérité, le respect et l’amour du prochain. La joie s’achète au prix d’un double pardon : celui que l’on reçoit de Dieu pour les fautes que nous avons commises ; celui que nous donnons, à notre tour, à ceux qui nous ont offensés. Demandons aujourd’hui à Jésus-Christ qu’il apaise les flots de nos tempêtes intérieures. Par son incarnation, il inaugure une prodigieuse œuvre de réconciliation. Qu’il nous donne en ce jour de Noël, la grâce d’y participer pleinement ! Osons le pardon ! N’ayons pas peur d’aimer !
+ Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes
[1] Luc, V, 31-32.
[2] Saint Irénée de Lyon, Contra Haereses, III, 18.
[3] J.-B. Bossuet, Sermon pour la septuagésime, février 1659.