Messe des Martyrs des Carmes. Dimanche 14 octobre 2018 – T.O. 28ème dimanche
Chers Frères et Sœurs,
C’est avec grande émotion que nous sommes rassemblés pour célébrer aujourd’hui cette messe en mémoire des martyrs des carmes. En effet, comme vous le savez, le 2 septembre 1792, dans Paris, furent massacrées 3 000 personnes. 191 d’entre elles, martyrisées au couvent des carmes, en ce lieu, l’une des prisons pour ecclésiastiques, ont été béatifiées en 1926 par le pape Pie XI, 3 évêques, François-Joseph de La Rochefoucauld et son frère Pierre-Louis, respectivement évêque de Beauvais et de Saintes, diocèse dont le Bienheureux Pierre-louis a été le dernier évêque et qui fut rattaché à celui de la Rochelle en 1801, Jean-Marie du Lau d’Allemans, évêque d’Arles. A l’arrivée des sans-culottes, ils s’écrièrent « nous voilà réfugiés à l’oratoire, voilà les Marseillais ! Nous ne pouvons être mieux qu’au pied de la croix pour faire le sacrifice de nos vies ». 127 prêtres séculiers, 56 religieux, 5 laïcs furent assassinés avec les 3 évêques. L’abbé de la Pannonie, l’un des rescapés de cette tragédie écrira : « Je n’ai entendu se plaindre aucun de ceux que j’ai vu massacrer ».
Les ossements des tous ces martyrs, retrouvés au XIX siècle sont présents dans la crypte, en ce lieu où sont formés, au séminaire des Carmes, les prêtres de demain. Les régimes changent, la violence, hélas, demeure, les jeunes de France et d’ailleurs répondent à l’appel du Seigneur et leur vocation se nourrit de l’exemple édifiant des martyrs. Ce sont nos « pères dans la foi ». Ils nous ont montré l’exemple en quittant tout pour suivre le Christ. C’est l’invitation qui nous est adressée dans les lectures de ce jour.
La première lecture nous rapporte un extrait du livre de la Sagesse. Ce texte, écrit au cours du 1er siècle avant Jésus Christ, fait l’éloge de la sagesse. Sa conviction est très forte : seule la sagesse conduit le monde dans la direction voulue par Dieu. Le sage, c’est celui qui sait mener sa barque contre vents et tempêtes. Cette lecture nous dit que la sagesse est bien plus précieuse que la richesse. Sans elle, la vie n’a pas de sens. Cet éloge de la sagesse est placé dans la bouche de Salomon qui vient de succéder à son père David. Il se rend compte de la très lourde charge qui l’attend et demande à Dieu de lui donner un cœur ouvert et attentif. C’est ainsi qu’il pourra recevoir la sagesse qui saura le guider dans le gouvernement de son peuple.
La sagesse nous est offerte, il faut la rechercher. Elle nous touche au plus profond de nous même. Elle est un trésor extraordinaire que chacune et chacun d’entre nous est appelé à acquérir. Mais pour l’acquérir, il faut être prêt à s’alléger de ce qui est encombrant. Sommes nous vraiment prêts, nous aujourd’hui, à tout vendre pour suivre le Christ ? Sommes-nous vraiment prêts aujourd’hui à nous déposséder de tout pour suivre le Christ ? Cette sagesse est le fruit de la prière. Elle n’est pas une conquête de la raison mais un don de Dieu sans cesse présent et agissant dans la vie des hommes. Il n’attend qu’une chose, que nous lui ouvrions la porte de notre cœur. Alors frères et sœurs, ne tardons plus. Dieu est là, à l’entrée de la porte de nos cœurs. Il frappe à la porte et souvent nous faisons semblant de ne pas entendre, mais Dieu, avec sa patience et son amour infini, nous attend…Suivons l’exemple des martyrs, que nous vénérons. Comme la clarté de la sagesse ne s’éteint pas, la postérité leur garde à jamais sa reconnaissance, leur souvenir est à jamais vivant. Ils auraient pu prêter serment à la constitution civile du clergé et sauver leur vie, ils ont été sages, ils n’ont pas fait ce choix. Ils ont préféré la fidélité à la foi proclamée depuis leur jeunesse, la fidélité à leur vocation, à leur baptême, à l’Eglise, au successeur de Pierre. La force de ces hommes réside dans leur foi réfléchie, leur capacité de discerner ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui relève le la force, de l’autoritarisme des brutes révolutionnaires et de l’autorité des sages. Sachons que leur exemple est un modèle pour de nombreux chrétiens persécutés. Pensons à notre Eglise en Chine à l’heure à laquelle semblent s’esquisser les premiers pas d’un rapprochement entre l’état et l’Eglise, pensons à ces nombreux évêques, prêtres, religieux et fidèles qui ont préféré la mort dans les camps de travail (Laogai) aux honneurs, aux voyages et conférences à l’étranger. Permettez-moi d’évoquer le souvenir de deux compagnons qui furent mes maîtres à Kunming en Chine, dans la province du Yunnan, le Père Laurent Zhang et le Père Louis He De Zong, administrateur clandestin du diocèse de Kunming. Ils passèrent 24 ans à travailler dans des fermes et dans une mine d’étain. Libéré sous Deng Xiao Ping dans les années 80, Louis He De Zong refusa l’épiscopat qui lui était proposé par le Bureau des Affaires religieuses. Il ne voulait pas, à un âge avancé, donner aux jeunes l’exemple de l’infidélité.
Les martyrs des Carmes, les martyrs de Chine, les martyrs des pontons de Rochefort, notamment le Bienheureux Souzy et ses compagnons béatifiés par le pape Jean-Paul II, que nous honorons chaque année en août sur l’île Madame, dans mon diocèse, étaient nourris de la Parole de Dieu. Une parole qui ne se contente pas de nous instruire, nous rappelle la lettre aux Hébreux, mais nous révèle à nous-mêmes tels que Dieu nous voit, tels que nous sommes en vérité. C’est une parole plus coupante qu’un glaive, qui coupe pour guérir, pour changer le cœur de l’homme, non pour le tuer, comme le glaive des sans-culottes. Elle discerne ce qu’il y a de plus intime au cœur de chacun. Si nous l’accueillons, elle devient pour nous «source de vie», elle nous donne le discernement, la sagesse et illumine notre vie. Elle nous donne le courage et la force de progresser sur le chemin du bien et de l’amour. Si nous n’en tenons pas compte, alors nous aurons des comptes à rendre parce que nous aurons vécu dans le mensonge, l’hypocrisie et la lâcheté. Les martyrs sont des visionnaires, ils regardent leur vie à la lumière de l’évangile et leur vie dans l’éternité a plus de prix pour eux que le confort immédiat, les mondanités passagères et superficielles. La vie dans l’esprit, la vie éternelle a plus de prix pour eux que la vie présente lorsqu’elle repose sur la compromission et le manque de courage. Les bourreaux passent aux oubliettes de l’histoire, les martyrs sont des lumières qui éclairent notre chemin.
Dans l’évangile de ce jour, Jésus nous est présenté comme sagesse et parole de Dieu. Il nous invite à tout quitter pour le suivre. Le jeune homme riche a compris que notre vie sur terre est une préparation à la vie éternelle. Alors il pose à Jésus la question qui lui tient à cœur : Que faut-il faire pour l’acquérir ? Une telle démarche ne pouvait que réjouir le Seigneur. Elle vient en effet d’un cœur sincère qui n’a pas peur des efforts : «J’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse», dit ce jeune homme.
Devant cette bonne volonté, le Christ laisse transparaître sa joie profonde. Posant son regard sur lui, «il se mit à l’aimer ». Quel magnifique regard de Jésus, quelle délicatesse ! Il posa son regard sur lui et se mit à l’aimer… Jésus pose à chaque instant son regard sur nous, c’est un regard aimant. Nous aussi, nous pouvons demander au Seigneur qu’il nous donne d’être à l’écoute de la Parole de Dieu, qu’il mette en nous le désir d’observer ses commandements et d’aller plus loin encore en posant sur nos frères un regard d’amour comme le fit le Seigneur en posant son regard sur le jeune homme riche que Jésus voudrait emmener plus loin parce qu’il l’aime : « Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi». Alors, cet homme s’en alla tout triste car il avait de grands biens. Aller plus loin, c’est ce que firent les martyrs des carmes !
Cet évangile nous parle parce que nous vivons dans une société qui nous invite à être attachés aux richesses de ce monde. Nous n’avons jamais assez et nous voulons toujours plus. L’évangile nous dit que Jésus ressuscité nous ouvre un trésor infiniment plus imposant que les richesses d’ici-bas. Le problème c’est que nous restons attachés aux richesses terrestres et que nous délaissons le vrai trésor qui pourrait nous combler. Jésus a tout donné pour obtenir ce trésor. Il est allé jusqu’au don de sa vie sur une croix.
Sur le Golgotha, le soldat au pied de la croix, voyant mourir Jésus dit : « vraiment celui-là était le Fils de Dieu. » Tout au long de l’histoire de l’Église, des hommes et des femmes ont donné leur vie pour ne pas renier le Christ. Certains se sont convertis grâce au témoignage de foi courageusement donné par les martyrs et l’Eglise grandit ainsi. Aujourd’hui, on nous parle de postmodernité, d’homme augmenté, lequel, grâce à la rencontre des nouvelles technologies du numérique et de celles des nanomondes, pourrait dépasser les limites biologiques du corps et de la pensée. Comment vivons-nous cet environnement qui est celui des jeunes générations ? Cette culture de la post-vie qui voudrait nous faire croire que le salut ne vient pas de notre foi en Jésus-Chrsit ? Allons-nous retomber dans la religion du scientisme ?
L’humanité n’a pas besoin d’un nouveau discours sur le salut, elle a besoin de Baptisés qui vivent leur foi, qui vivent de la sagesse du Christ. N’ayons pas peur du monde, n’ayons pas peur de notre faiblesse, l’esprit saint nous donne la force et la joie de présenter le Christ à nos contemporains. Si nous avons un peu du courage des martyrs, nous serons sel de la terre et lumière pour le monde.
Le témoignage de nos frères martyrs nous rappelle, selon les mots du Pape François lors de sa première homélie à la Chapelle Sixtine, que notre mission de baptisés est de marcher, d’édifier et de confesser. Mais que nous ne pouvons le faire vraiment qu’en prenant la Croix du Christ. “Quand nous marchons sans la Croix, disait-il, quand nous édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur, nous sommes mondains”.
Frères et sœurs, le témoignage de nos bien-aimés martyrs doit nous donner le courage, je cite encore le Saint-Père, “de marcher en présence du Seigneur, avec la croix du Seigneur ; d’édifier l’Église sur le sang du Seigneur, qui est versé sur la Croix ; et de confesser l’unique gloire : le Christ crucifié. Et ainsi l’Église ira de l’avant”. Ainsi soit-il !
+ Georges Colomb