Homélie donnée par Mgr Colomb à la cathédrale de La Rochelle dimanche 20 janvier , fête de la fraternité avec les migrants, 2eme Dimanche du temps ordinaire
Chers Frères et Sœurs,
« Tel fut le premier des signes de Jésus, il l’accomplit à Cana de Galilée » (Jn. 2, 11).
Laissons-nous surprendre par la grande simplicité de la scène dont témoigne saint Jean. Il nous dit qu’elle fut à la fois un commencement dans la vie de Jésus: «… il manifesta sa gloire», et un commencement dans la vie des disciples: «… et ses disciples crurent en lui» (Jn. 2, 11). Le signe de Cana est un commencement et dans le commencement nous savons qu’en germe existent déjà tous les éléments qui conduiront à l’aboutissement, à l’accomplissement.
Soyons attentifs, «… celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique esprit» nous dit saint Paul. Ne craignons rien, «… il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté» (seconde lecture: 1 Cor., 12, 11). Soyons attentifs à la voix de l’Esprit, à la Parole, comme Marie, et ainsi qu’elle nous y invite, faisons tout ce que Jésus nous dira. Avec Marie, soyons dociles à la simplicité d’un commencement.
Jésus se manifeste au cœur de nos vies, de nos amours.
Le verbe de Dieu qui était au commencement et par qui tout fut créé, le verbe fait chair que ses disciples contemplent (cf. Prologue de S. Jean), le Seigneur Jésus manifeste sa gloire au cours d’un mariage, mariage d’amis sans doute, auquel lui, sa mère et ses disciples sont conviés. Jésus vient célébrer la douceur intime de l’amour d’un homme et d’une femme. Il vient aussi se réjouir de la joie que cet amour procure aux amis des époux. Jésus se fait convive de la fête de l’amour des hommes. Tout comme l’amour conjugal, l’amour tout court est intime, il se manifeste néanmoins au-dehors, Dieu a voulu lui donner une fécondité unique, vitale et spirituelle ; Jésus est là, tout près des époux, avec leurs amis qui célèbrent leur amour, la vie. La fête commence, l’amour commence, Dieu est là.
Cependant quelque chose vient à manquer. Si effectivement l’amour nous réjouit, combien de fois n’avons-nous pas fait l’expérience de limites troublantes, elles sont inscrites douloureusement en nos cœurs.
Ce vin qui manque à la fête, grâce à Jésus peut rafraîchir les gosiers et réjouir le cœur des convives, mais c’est bien plus que le vin qui est apporté par Jésus. Dans la suite du livre d’Isaïe, ce sont des épousailles avec un peuple, une terre et bien plus qu’une terre, qu’une ethnie, c’est toute l’humanité qui entre dans une alliance d’amour éternel avec Dieu le père par Jésus. Les noces de Cana sont la fête de la Fraternité et chacun est invité à déployer ses charismes pour que la rencontre soit belle, qu’elle ne soit pas un feu de paille, mais qu’elle soit durable et qu’elle ait du sens ! N’est-ce pas, chers frères et sœurs venus de tous les horizons, ce que nous faisons aujourd’hui en nous rassemblant ce matin et cet après-midi ?
Chers amis, nous sommes invités à la fête, non pas pour nous perdre dans l’ivresse, la consommation effrénée, les mondanités et bavardages superficiels. Nous sommes invités à la fête parce que Dieu nous a visités, il nous a envoyé son fils Jésus, il nous a donné son esprit !
Alors, interrogeons-nous, quels sont les talents qui m’ont été donnés, quel est mon charisme ? Comment vais-je vivre l’Alliance avec le Seigneur ? Le jour de mon baptême, j’ai revêtu le Christ, je suis devenu un homme nouveau ! C’est tout simplement merveilleux. Cela change tout !
Certes, je partage plus ou moins les joies et les peines de mes contemporains, mais quels que soient ma chance ou mon manque de chance dans la vie, quel que soit mon statut dans la société civile, la société des hommes, je suis un enfant de Dieu qui a fait alliance avec l’humanité, avec moi aussi ! Que je vienne d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Océanie, d’Europe, je suis un homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et moi aussi j’ai des talents à faire fructifier, et moi aussi, j’ai au moins un charisme !
Alors, prenez le temps du discernement ; chaque jour est une page blanche à écrire avec le Seigneur, chaque jour est une déclaration d’amour à faire à l’humanité habitée par l’esprit de Dieu. Nous sommes invités à ne pas fuir nos responsabilités, à les assumer et quelle que puissent être nos soucis, nous sommes ensemble, en Eglise, le corps du Christ.
Nous assistons depuis plusieurs semaines à des rassemblements appelés « mouvement des gilets jaunes ». Le grand débat qui vient d’être lancé permet aux citoyens d’exprimer leurs doléances. C’est une bonne chose. Il vaut mieux s’exprimer avec un stylo ou un ordinateur que par des actes de violence et de vandalisme dans la rue. Cet épisode que nous vivons actuellement dans notre pays nous montre la fragilité des institutions humaines, y compris dans une grande démocratie comme l’est la France. Nous entendons des suggestions de démocratie participative, de changement de mode de scrutin, de rétablissement de taxes. Il n’y a pas beaucoup de propositions de baisse des dépenses dans un pays où presque toutes les collectivités territoriales et l’état sont en déficit, cela viendra peut-être. Il faut aussi se rappeler que deux et deux font quatre et non cinq !
La crise que nous traversons a certes des causes immédiates qui sont économiques, fiscales…En réalité notre société sécularisée a créé un vide spirituel. Ce qui manque à nos collectivités territoriales, à notre nation, c’est qu’elle a perdu le sens d’être une communauté de destin, une communauté de frères engagés pour le meilleur et pour le pire. L’Alliance entre l’état et le peuple semble rompue. La collectivité nationale serait-elle devenue une série d’individus sans intérêt commun ? Recherchons-nous le bien commun ou bien la satisfaction d’intérêts individuels, catégoriels ?
Quel sens peut avoir le mot fraternité lorsqu’il n’y a pas de père ou de mère ? Quelle famille peut-elle survivre ? Quelle communauté de destin ?
N’y a –t-il pas dans cette cassure, cette déchirure du tissus national un appel pour nous, chrétiens de France, de La Rochelle ? Je le pense ! Cet appel, c’est d’affirmer notre foi lorsque nous célébrons l’eucharistie comme c’est le cas ce matin, c’est aussi de montrer la beauté de notre Eglise qui est lieu de fraternité, de pardon, de miséricorde, de dialogue, de solidarité sans frontière. Alors pour cela, chers frères et sœurs que notre foi à tous, soit active, que notre charité se donne de la peine (Saint-Paul aux Thessaloniciens) !
Confions notre prière à l’intercession de Marie, qui à Cana, intercède pour les mariés et leurs invités, demandons lui de donner la sagesse à tous ceux qui ont un pouvoir de décision pour que le peuple français soit justement représenté au parlement, pour que les décideurs gèrent l’argent public en bon père de famille, pour que la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire soit améliorée afin que chacun assume sa mission, pour que la presse soit au service de la vérité, pour que nos frères venus de loin soient aidés et qu’ils respectent notre pays.
Ainsi soit-il !
+Georges Colomb
Évêque de La Rochelle et Saintes