Homélie donnée le 26 janvier à l’abbaye cistercienne trappiste d’Echourgnac, diocèse de Périgueux pour la fête des saints fondateurs de l’ordre de Cîteaux : Alberic, Étienne, Robert.

26 Jan 2022

Lectures : Siracide 44,1.10.15

Hébreux 11,1-2. 8-16

Marc 10,24b-30



L’histoire cistercienne est une illustration du livre du Siracide que nous avons lu : il y a dans la descendance des hommes de bien un riche héritage !

Lorsque Robert, Albéric et Étienne quittèrent Molesme pour s’installer à Cîteaux en 1098, aucun d’entre eux n’imaginait que plus de 900 ans après on continuerait à parler de cette étape toute simple comme d’un grand commencement.  Comment expliquer cela ?


La fin du XIème et le début du XIIème siècle fut une période de foisonnement de communautés religieuses. 

 Saint Bruno fonda la Chartreuse en 1084, saint Robert d’Arbrissel fonda Fontevraud (en Anjou) en 1101, saint Norbert fonda les Prémontrés en 1121 (diocèse de Laon, Champagne Ardennes).  Dans la tradition bénédictine durant la même période, Saint Romuald fonda les Camaldules (en Toscane, Italie). Le Bienheureux Vital fonda Savigny (en Normandie) en 1113, Saint Étienne d’Obazine fonda Obazine (en Limousin) en 1145.  Molesme même ne fut fondé qu’en 1075 et connut un développement rapide au point d’avoir une trentaine de prieurés dépendants 20 ans plus tard.  Saint Robert souhaitait depuis longtemps reprendre une vie bénédictine plus simple, et il participa à la fondation d’Aulps (en Haute-Savoie) en 1095, avant de fonder Cîteaux en 1098.

Cluny avait eu sa période de gloire un siècle plus tôt, à une période où le pouvoir était entre les mains de l’empereur, du roi, et de ses proches.  Le monde entrait dans la féodalité.  Les relations entre individus et communautés évoluaient et demandaient une relation rénovée dans la vie religieuse.  C’est la raison de la floraison de fondations nouvelles dans un esprit de proximité et de filiation.
Saint Robert fut l’âme de la réflexion à Molesme qui conduisit d’une part à la fondation d’Aulps puis à celle de Cîteaux.  Alors qu’au bout d’un an Robert était rappelé à Molesme, Albéric reprit le flambeau. 

Avec vos fondateurs, mes soeurs, nous voyons la foi multiséculaire des moines et des moniales en actes. La foi qui, nous dit la lettre aux hébreux, est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. Elle est la source de la force et de la patience des moines ! Thèmes qui sont communs au Siracide et à la lettre aux Hébreux. C’est pourquoi, nous dit la lettre aux hébreux, nous sommes des étrangers et des voyageurs sur terre. La vie du chrétien, à fortiori la vie monastique, peut paraître étrange à l’homme contemporain qui n’a pas goûté les bienfaits du silence, de la prière personnelle et communautaire, du travail manuel associé au travail intellectuel ! 

Mes soeurs, en bénéficiant de votre hospitalité, le pèlerin, de passage ici, découvre qu’il est protégé du danger des richesses et qu’il est sur le bon chemin qui conduit au salut. Rien n’est impossible à Dieu en effet. Il permet que des femmes ne perdent pas leur temps en mondanités, en maquillages, en commérages.  Vous vous présentez au Seigneur telles que vous êtes. Vous ne falsifiez rien, vous ne cherchez pas à paraître, vous êtes ! Vous recevez dans votre clôture le centuple de ce que vous avez laissé à la porte à cause du Seigneur, comme nous le rappelle Saint Marc. Ascèse, paix intérieure, quête de Dieu font de vous des femmes libérées par la force du silence qui permet l’écoute de Dieu et de la respiration d’un monde agité dont les nouvelles vous parviennent. Tout contribue à l’équilibre de vie cistercienne : la sobriété de l’architecture et des ornements, la liturgie des heures, la prière qui rend présent l’invisible, le royaume de Dieu. La puissance ici ne s’affirme pas par la force ,mais par l’art et le sens de la beauté. N’est-ce pas la mission de l’art que de montrer la grâce agissante de Dieu sur des visages d’orantes sculptés par les mains de la prière ? La force de la vie monastique, votre force, c’est la foi qui donne un but : rencontrer Dieu ! Cette orientation serait illusoire et hypocrite si elle ne se traduisait pas dans des attitudes concrètes de la vie de tous les jours. La vie monastique nous renvoie à la démarche des juifs pieux dont parle le livre de Ben Sirac. Ce n’est pas pour rien que les premières communautés chrétiennes se servaient du Siracide pour la formation des nouveaux baptisés !

Votre foi active et énergique, mais aussi contemplative, rend présent l’avenir et visible l’invisible mystère divin. C’est dans ces allers et retours entre l’église et vos ateliers que votre force grandit et se maintient !

Cet équilibre de vie, vous le devez aux neuf années de l’abbatiat de Robert. Il mit les bases des Instituta définissant les principaux choix de vie : retour à une vie rythmée par la prière, la vie fraternelle et le travail pour être financièrement indépendant. Vous vivez du travail de vos mains, mes sœurs, vous participez à la vie de l’Eglise universelle par la générosité et la solidarité dont vous faites preuve !


Lorsqu’Albéric mourut le 26 janvier 1108, Étienne fut élu pour lui succéder.  Les vocations commencèrent à affluer dès avant l’arrivée de Saint Bernard en 1113.  Le nouvel abbé se prépara à une fondation en imaginant une relation particulière entre la maison-mère et les maisons fondées.  Il rédigea à cet effet la Charte de Charité qui jusqu’à nos jours est un document de référence dans votre Ordre.  Cette Charte de Charité marque la différence entre l’ordre cistercien naissant et les autres congrégations fondées à la même époque.


Les éléments qui marquèrent l’ordre nouveau sont :

– un retour à la lettre de la Règle de Saint Benoît (projet de Saint Robert)

– un équilibre de la vie monastique où travail et prière alternent de manière harmonieuse (projet de Saint Albéric) 

– une relation empreinte de charité entre les monastères vivant le même idéal (projet de Saint Étienne).


Ce nouvel équilibre fit la renommée de la famille de Cîteaux, à tel point que plusieurs congrégations fondées à la même époque demandèrent d’être rattachées à ce tronc solidement enraciné dans la terre monastique.  Il en fut ainsi pour les congrégations de Savigny et d’Obazine en 1147.  Jusqu’au milieu du siècle suivant, des papes suggérèrent ou imposèrent à certaines petites congrégations de se rattacher à l’Ordre.  Aulps se rattacha à Clairvaux en 1136.  L’abbaye des Dunes, fondée par Savigny en 1120 près de Koksijde (Belgique), se rattacha à Clairvaux dès 1137.


Robert, Albéric et Étienne, par leur sage direction de l’ordre naissant, par la nouveauté des choix qu’ils firent, furent les fondateurs d’un ordre qui a traversé les siècles et les aléas de l’histoire politique et religieuse.  Si aujourd’hui encore, les moines et moniales cisterciens se référent toujours au charisme originel, c’est parce qu’il a une réelle valeur.  La grâce cistercienne transcende le temps et elle est vécue sur tous les continents.
En ce jour où nous célébrons les Saints Fondateurs de Citeaux, rendons grâce à Dieu pour le charisme qu’ils ont insufflé dans l’ordre naissant.  Nous sommes tous invités (moniales et moines, clergé séculier, baptisés) à continuer à vivre de la charité qu’ils ont définie comme le maître mot de la relation entre les soeurs ou les frères et entre les communautés.  C’est cette même charité qui nous conduit à Dieu, cette même Charité que nous recevons de Dieu lorsque nous participons à l’eucharistie, comme nous le faisons ce matin. Demandez à Dieu de demeurer fidèles à vos fondateurs, mes sœurs, demandez aux Saints Robert, Albéric et Étienne de vous conduire chaque jour davantage vers l’union de Dieu et de vos sœurs.

Vous êtes le riche héritage, la postérité des hommes de bien, les descendantes de fondateurs habités par l’esprit de Dieu. 

Mgr Georges Colomb

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