“On ne choisit pas ses frères, on ne choisit pas ses sœurs. Mais on peut choisir de les aimer. Dans l’Eglise, il y a trop de divisions. Au lieu de nous regarder dans nos différences, regardons ce qui nous unit : Jésus-Christ, par lequel nous sommes devenus enfants de Dieu. Ne regardons plus nos divisions, la couleur des burettes ou la manière de s’habiller. Arrêtez ! Regardez le Christ ! Par pitié, regardez le Christ et arrêtez de vous regarder avec mépris, indifférence voire haine, quelque fois. C’est ici dans l’Eglise que nous devons reconstruire la fraternité”.
Revivez l’homélie de Mgr Michel Aupetit lors de la messe du pèlerinage diocésain de La Rochelle à l’île Madame du 26 août 2021 en mémoire des prêtres déportés durant la Révolution française. Merci à KTO Télévision Catholique pour cette vidéo !
Ce serviteur défiguré dont parle le prophète Isaïe et qui ne ressemble plus à un homme, c’est notre Seigneur Jésus-Christ. Accablé, méprisé, Jésus est le symbole éternel de l’amour bafoué comme le déplorait saint François d’Assise : « L’amour n’est pas aimé ». En regardant le Christ, sa Passion, ce que notre cœur contemple d’abord, c’est l’amour inconditionnel de Dieu qui se révèle à nous. Il est incroyablement plus impressionnant que la méchanceté les hommes qui se manifeste atrocement une fois encore. Ce qui est important, comme le disait Blaise Pascal, c’est de comprendre qu’une goutte de sang du Christ, du Fils de Dieu, a été versée pour moi, pour toi. Saint Augustin disait qu’une seule larme sur ton visage en regardant cette goutte de sang du Seigneur, a plus de prix qu’un pèlerinage jusqu’à Jérusalem.
Ces prêtres, dont nous célébrons la mémoire, ont été par leur ordination configurés au Christ Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Ce n’est pas un vain mot car cela peut entraîner jusqu’au martyre comme nous le voyons aujourd’hui. Le mercenaire qui accomplit sa tâche pour de l’argent n’est pas fidèle à sa mission, mais à l’argent de sa mission. Nous le savons : « Nul ne peut servir deux maîtres », Dieu ou l’argent. Celui qui sert Dieu est conformé au Christ et donne sa vie comme lui. Sa vie n’est plus « sa » vie car elle lui appartient plus. Elle est à Dieu et à ceux auxquels il est envoyé.
Quand Jésus appelle les Douze, c’est pour « être avec lui », pour vivre dans son intimité et accueillir son amitié : « Je ne vous appelle plus serviteurs je vous appelle mes amis » (Jn 15,15). Les prêtres que nous honorons aujourd’hui n’étaient pas des mercenaires, mais des amis de Jésus. Or, nous savons que la qualité principale d’un ami, c’est la fidélité. Dans l’oraison nous avons entendu que la fidélité est un des maîtres mots de notre beau pèlerinage.
Fidèles, ces prêtres l’ont été jusqu’au bout. C’est la force d’un amour plus grand qui leur aura permis de traverser cet enfer qu’on leur a fait subir. La fidélité, c’est aussi celle des pèlerins qui chaque année entretiennent la mémoire de cette épouvantable torture morale et physique afin que l’intolérance et la haine ne triomphent jamais.
Pour dire aussi que les grandes déclarations de principe ne suffisent pas à les éteindre, puisque ceux-là même qui ont proclamé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen furent les premiers à la bafouer.
Mais le plus bouleversant, c’est cet autre mot qui caractérise cette démarche magnifique, ce pèlerinage de mémoire et de réconciliation : le Pardon. En témoigne cette extraordinaire démarche de l’abbé Joseph Nicolas Adam qui a pu survivre à l’enfer que lui a fait subir le capitaine du bateau les Deux-associés. Celui-ci appelé Jean-Baptiste Laly était le plus cruel tortionnaire des pontons de Rochefort. Alors que ce cruel bourreau se retrouvait avec sa femme et ses enfants dans des conditions les plus précaires, l’abbé Adam pousse la porte de son pauvre logis et lui demande : « Capitaine, me reconnais-tu ? » « Oui, je vous reconnais » répond le tortionnaire. « Eh bien puisque tu me reconnais, apprends aujourd’hui comment un prêtre se venge ». L’abbé, digne ministre du Bon Pasteur qui pardonne à ses bourreaux du haut de la croix, déposa sur la table du misérable, 20 pièces d’or.
Frères et sœurs, chers amis, aujourd’hui après les temps difficiles et étranges que nous venons de vivre et qui ont bouleversé notre quotidien, depuis l’incendie de Notre-Dame jusqu’à l’épidémie généralisée qui nous a tenu enfermés, même si ce n’est pas sur des pontons infects, nous avons à réfléchir à la manière dont nous devons être chrétiens.
Il nous faut retrouver certainement la fidélité au Seigneur Jésus-Christ et à son Église souvent désertée par des catholiques devenus indifférents. Il nous faudra aussi reconstruire la fraternité mise à mal par des gestes dit barrières, par une distanciation et une incitation à se protéger les uns des autres. Elle doit être retrouvée naturellement par ceux qui ont un même Père au Ciel. Cette fraternité ne pourra exister véritablement que par une réconciliation fondée sur le pardon qu’ont pu vivre ses prêtres admirables et qu’ils nous enseignent aujourd’hui.
Bien des périodes de notre histoire ont suscité des fractures dans le peuple de France. Prions la Sainte Vierge Marie, patronne de notre pays, de nous aider à construire l’unité en accueillant comme elle, le don promis par le Christ, le Saint Esprit qui seul donne une fécondité dans l’amour.
Mgr Michel Aupetit
Archevêque de Paris