Former de saintes résolutions pour l’avenir

1 Oct 2014

Voici l’introduction spirituelle de Mgr Housset avant la traversée vers l’île Madame des 75 jeunes prêtres de la province ecclésiastique de Poitiers ayant participé avec leurs évêques au “pèlerinage – rencontre” du 30 septembre au 3 octobre 2014 en Charente-Maritime.
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Nous nous retrouvons dans le cadre de détention qui était celui des prêtres déportés. D’après les connaisseurs, rien n’a changé au niveau de la géographie. Nous pouvons ainsi assez bien imaginer leur martyre à petit feu. Cette traversée du continent vers l’île Madame n’est-elle pas comme le symbole des traversées ou des mutations auxquelles nous sommes confrontés ? En vénérant les prêtres déportés pour leur foi, confions-nous à eux et demandons-leur de marcher sur leurs traces. Ils n’ont pas choisi leur martyre mais ils ont fait face à leurs épreuves avec lucidité et courage, en faisant preuve de fidélité « jusqu’au bout » (cf. Jean 13,1) puis de pardon pour les survivants.
A notre tour, nous sommes invités par le Seigneur à vivre l’Evangile, dans le contexte qui est le nôtre. Nos difficultés ne sont pas celles des prêtres déportés. Mais, pour être différentes, elles n’en sont pas moins importantes. J’évoque quelques-unes de nos épreuves, parmi celles que nous supportons tous les jours :
– Le corps social que nous formons attire peu de jeunes pour assurer la relève de notre ministère. Cette stérilité apparente est une grande souffrance pour chacun de nous, prêtres et évêques.
– Sous la Terreur, l’opposition à l’Eglise et à la foi catholique se situait à l’extérieur. Aujourd’hui, nous constatons, et beaucoup de grands-parents avec nous, que même une foi vivante et responsable à l’intérieur des familles a du mal à être proposée aux nouvelles générations. La rupture dans la transmission est réelle à tous points de vue et dans tous les domaines.
– Nous nous donnons beaucoup de mal dans nos multiples activités et initiatives pastorales. Mais nos résultats d’évangélisation sont peu visibles. Le temps de prière auquel le pape a convié les présidents juif et palestinien n’a pas empêché l’affrontement sanglant entre Israël et Gaza durant plusieurs semaines cet été.
Mais plutôt que de continuer cette liste de nos difficultés, qui pourrait nous faire succomber au découragement, je préfère les situer dans des mutations, traversées ou transformations de grande ampleur. Ces mutations, sommes-nous en train de les subir ou essayons-nous de les assumer librement ? Dans la mesure où nous les acceptons et cherchons à les comprendre, elles nous permettent de situer nos difficultés et nos épreuves, d’y faire face pour assurer notre ministère pastoral. Le père Teilhard de Chardin disait déjà, dans les années 30 : « Nous ne sommes pas confrontés à un orage, nous changeons de climat. » Ces mutations concernent, en même temps, notre société, notre Eglise et notre relation à Dieu.
Mutations dans notre société
Elle n’est pas chrétienne ou n’est plus chrétienne. (Y a-t-il eu jamais une société vraiment chrétienne ? Certains historiens posent la question à juste titre). Les institutions avaient comme références fondamentales, au moins en théorie, des valeurs chrétiennes. Celles-ci étaient perçues comme intangibles et inamovibles. Elles n’étaient pas remises en cause, même si le comportement des personnes s’en écartait. Le phénomène de sécularisation dont les origines se situent dans les querelles du Sacerdoce et de l’Empire et qui s’est amplifié, à partir du XVIème siècle puis de la Révolution française, s’est considérablement développé aujourd’hui. Il n’est pas à confondre avec le sécularisme, idéologie qui refuse aux croyants toute intervention publique.
Nos sociétés sécularisées vraisemblablement ne reviendront pas en arrière, même si elles hésitent sur leurs fondements. Par exemple, qui peut assurer que les Droits de l’Homme définis par la Déclaration Universelle de 1948, sont et seront définitivement et absolument respectés ? Qui peut garantir que les lois votées par les représentants du peuple souverain ne contribuent pas parfois à une certaine deshumanisation ? N’allons-nous pas vers un affrontement, dans nos sociétés, entre ceux qui croient à une certaine transcendance et ceux qui n’y croient pas ? Peut-on dire que le catholicisme est en train d’être exculturé de la société française ?
Quoiqu’il en soit de ces difficiles questions, nous nous retrouvons dans la situation écrite par l’auteur de la lettre à Diognète. Nous avons à chercher et à trouver de nouvelles manières d’être présents dans la société. L’Evangile n’est plus un appui social, plus que jamais il devient un appel proposé à chacun, dans le respect de sa liberté de conscience. « Viens et suis moi », dit le Seigneur. Les catéchumènes adultes nous montrent l’actualité et la vitalité de cet appel. Dans notre société sécularisée que l’Esprit-Saint n’a pas déserté, personne ne nous empêche de témoigner publiquement de notre foi au Christ vivant, sans complexe d’infériorité, sans intransigeance non plus ni crispation identitaire.
Mutations dans notre Eglise
Dans une telle société sécularisée, elle est devenue minoritaire, alors qu’elle était, durant des siècles, religion d’Etat et souvent religion dominante. Nous apprenons à nous situer dans une société plurielle, inter-culturelle et multi-religieuse. Cette situation a été celle de l’Eglise des cinq premiers siècles dans l’empire romain et n’a pas empêché l’expansion de la foi chrétienne. Actuellement, nous nous familiarisons avec le dialogue inter-religieux, pour progresser dans le respect réciproque, y compris avec ceux qui ne se reconnaissent d’aucune religion et pour améliorer le « vivre ensemble » de tous les citoyens français et immigrés. Noble et magnifique tâche qui est la nôtre de contribuer ainsi au développement de la fraternité évangélique !
Mutation également dans l’exercice de notre ministère, celui-ci s’exerce avec des diacres permanents et des laïcs de plus en plus formés, responsables et ayant une vie spirituelle forte. Nous ne pouvons plus nous contenter de leur demander une aide pure et simple, un coup de main passager. La figure tridentine de l’Eglise s’estompe peu à peu. L’Esprit nous pousse à mettre en place l’Eglise de Vatican II. C’est toujours la même Eglise mais avec une figure différente qui favorise une réelle collaboration entre tous les baptisés. Notre ministère d’éducateurs de la maturité chrétienne et de communion est plus que jamais indispensable et irremplaçable. Continuons de développer la participation de tous à l’animation et à la mission ecclésiales, sans la ressentir comme une concurrence ou une menace pour notre identité sacerdotale.
Mutations enfin dans notre relation à Dieu
Sans doute la plus profonde et la plus importante. La vie quotidienne a tellement été transformée par les progrès scientifiques et techniques, la rapidité des communications, les améliorations médicales et chirurgicales, l’amplification des relations à l’espace et au temps, les changements des relations entre hommes et femmes, que la relation de l’humanité avec Dieu, au moins dans les pays dits développés et bientôt dans le monde entier, ne peut qu’en être modifiée. Dieu ne change pas évidemment, mais la relation à Lui change. Dieu n’est plus utile pour la vie courante. On n’a plus besoin de Lui, par exemple pour guérir comme au temps de Molière, quand la médecine était impuissante. Beaucoup d’hommes et de femmes, convaincus des possibilités humaines dans de nombreux domaines, se passent aisément de Dieu, du moins dans un premier temps. Car les limites de chacun, les contraintes de toutes sortes et l’affrontement au Mal et à la violence restent toujours d’actualité.
Si l’utilité de Dieu est moins évidente, du coup une relation de gratuité n’est-elle pas davantage possible, après une étape d’indifférence et d’athéisme selon le fameux mot de Pascal « athéisme, marque de grandeur d’esprit, mais jusqu’à un certain point seulement » ? Ce que les saints, les mystiques, des théologiens et quelques autres chrétiens ont perçu depuis les débuts du christianisme ne devient-il pas accessible à davantage de personnes ? Entrer avec Dieu dans une relation de gratuité qui est celle de l’Amour qui n’est qu’Amour. Souvenons-nous du mot d’Angelus Silesius : « La rose est sans pourquoi. » Les temps ne sont-ils pas favorables pour passer d’un Dieu utile pour la satisfaction de nos besoins au Dieu de l’Evangile qui attend la réponse de notre désir ?
Le pasteur Bonhoeffer qui, au nom de sa foi chrétienne, a payé de sa vie son combat contre le nazisme pour la dignité de l’homme, a exprimé cette mutation dans une prière connue :
« Les hommes vont à Dieu dans leur misère
Et demandent du secours, du bonheur et du pain,
Demandent d’être sauvés de la maladie, de la faute, de la mort,
Tous font cela, tous, chrétiens et païens.
Des hommes vont à Dieu dans sa misère,
Le trouvent pauvre et méprisé, sans asile et sans pain,
Le voient abîmé sous le péché, la faiblesse et la mort.
Les chrétiens sont avec Dieu dans sa Passion …
Dieu va vers tous les hommes dans leur misère,
Dieu rassasie leurs corps et leur âme de son Pain.
Pour les chrétiens et les païens, Dieu souffre la mort de la croix
Et son Pardon est pour tous, chrétiens et païens ».
Soyons, continuons d’être des hommes de la gratuité et de la charité désintéressée du Christ. Mission difficile mais indispensable dans une société où presque tout est marchandisé, même la mort. Continuons d’éveiller et d’éduquer à la rencontre de ce Dieu qui nous fait passer de son utilité à sa Gratuité. Bonne traversée ! Bon passage à travers nos mutations.
+ Bernard Housset
Evêque de La Rochelle et Saintes
Le 1er octobre 2014

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