le 12 Octobre 1744 au château du Vivier dans la paroisse de Saint-Cybard le Peyrat (aujourd’hui commune de Blanzaguet en Charente), Pierre-Louis de La Rochefoucauld est nommé évêque de Saintes le 14 Octobre 1781.


On le retrouve à l’âge de 23 ans au collège de Navarre où il passe sa licence de théologie.

L’état ecclésiastique à cette époque permettait à un jeune homme de bonne famille peu fortunée de percevoir les bénéfices des paroisses qui lui étaient confiées. C’est ainsi que le jeune abbé de La Rochefoucauld sera successivement doté d’un bénéfice en Picardie, puis à Rouen dont un de ses parents est l’Archevêque.

En 1772, il quittera Rouen pour Beauvais appelé par son frère François Joseph qui est nommé évêque. Il devient son vicaire général. Il assiste aux cotés de ce dernier au sacre de Louis XVI en 1775.

Il aura ensuite diverses missions au sein de l’Assemblée du Clergé dont il devient membre en 1775. On peut aussi noter qu’il sera chargé d’étudier la cause de canonisation d’Alain de Solminhac.

Prélat brillant, doué d’une bonne capacité intellectuelle, Pierre-Louis de La Rochefoucauld est nommé évêque de Saintes le 14 Octobre 1781. Il va dès lors abandonner toutes ses autres fonctions pour se consacrer à son diocèse.

Il va entreprendre de sages réformes dans le diocèse en adaptant les anciens statuts synodaux tombés en désuétude. Il rappelle aux curés les obligations liées à leur état, comme l’obligation de résidence, le soin à apporter aux pauvres, ou encore l’instruction à donner à chacun en fonction de sa condition de vie. Il se soucie aussi des écoles et de la sollicitude envers les hérétiques que les curés doivent s’efforcer de ramener dans leurs paroisses.

En résumé, il se montre un véritable pasteur accomplissant très consciencieusement  la mission qui est la sienne. Il est important de rappeler cela, Ce n’est pas le cas de tous les évêques de cette fin de l’Ancien Régime. Et même si Monseigneur de La Rochefoucauld doit affronter les soucis et les préoccupations liées à sa charge, sa vie quotidienne est bien douce comparée à celle de beaucoup de pauvres gens de son temps. Sans doute les choses eussent-elles continué ainsi si la Révolution française et sa dérive sanglante n’était venue mettre un terme à cette vie paisible, permettant ainsi à Pierre-Louis de La R. de manifester par son courage, sa loyauté et son attachement au Christ et à l’Eglise.

Si les premières réformes de la Révolution n’émeuvent pas beaucoup les fidèles, les  choses iront différemment lors de l’adoption de la Constitution civile du clergé, le 12 Juillet 1790. L’Eglise en étant absorbée par l’état devient une église nationale, elle n’est plus reliée au Pape. Le schisme est consommé.

Monseigneur de La Rochefoucauld va s’associer aux protestations des évêques. Il va en outre mettre en garde ses diocésains contre les dangers de la nouvelle organisation de l’Eglise. Il fera lire une instruction en ce sens dans toutes les paroisses et communautés de son diocèse.

Cette décision va soulever contre lui la colère de plusieurs de ces diocésains parmi lesquels quelques  ecclésiastiques et c’est à leur demande que Mgr de La R. sera dénoncé afin d’être poursuivi comme « ennemi de la nation, de la loi et du roi » (qui était encore là en 1790). La même mesure sera prise à l’encontre de François Joseph de La R., évêque de Beauvais et frère de Pierre-Louis.

Aux curés et vicaires de la ville de Saintes qui l’assuraient de leur attachement, Monseigneur de La Rochefoucauld va
répondre… «  Ne craignons pas les hommes, mais ayons continuellement la crainte de Dieu devant les yeux ; remplissons nos devoirs avec fidélité, courage et fermeté.. » et plus loin : « Ne cessons de nous montrer fidèles aux engagements que nous avons contractés…au moment où, recevant l’onction sainte, nous avons revêtu de grands pouvoirs sur les fidèles dont le salut doit être l’unique objet de nos soins et de notre vigilance. N’oublions jamais que nous ne devons pas vivre pour nous mais pour eux… ».

Monseigneur de La Rochefoucauld ayant refusé de prêter le serment, l’évêché de Saintes qui avait entretemps été réuni à une partie de celui de La Rochelle fût décrété vacant.

Le curé de Saint-Savinien, personnalité médiocre fût élu évêque constitutionnel de Saintes. Monseigneur de La R. Ne pouvant rester à Saintes avait gagné Paris au début de l’année 1791. C’est de là qu’il va écrire une lettre énergique à ses diocésains leur enjoignant de « n’avoir aucun commerce avec les intrus ».

Ce courrier renforça le courage des curés restés fidèles. Des représailles furent exercées contre eux. Les religieuses qui dans leur très grande majorité refusèrent le serment furent soumises à de nombreuses vexations et humiliations.

Et Monseigneur de La Rochefoucauld au milieu de tout cela ? Il ne lui était pas possible de revenir dans son diocèse. Il aurait pu émigrer comme le firent tant d’autres. Mais il préféra rester à Paris décidé à accomplir son devoir jusqu’au bout. Dans un courrier adressé à son diocèse le 13 Juin 1791, il rappelle fermement l’attachement qu’il faut avoir envers le Saint Père, et citant Bossuet ajoutait : « il y a un premier Evêque, il y a un Pierre, préposé par Jésus-Christ lui-même à conduire le troupeau, il y a une Mère-Eglise, qui est fondée sur cette unité comme sur un roc inamovible et
inébranlable… ». Ce sera là son dernier acte épiscopal.

  • le 20 juin 1792, le roi maintient son veto à la constitution civile du clergé.
  • En représailles, c’est la nuit du 10 Août : l’insurrection éclate à Paris. On donne l’ordre à toutes les sections de Paris d’arrêter les nobles et les prêtres et de les enfermer aux Carmes, à Saint-Firmin, ou encore à l’Abbaye.

Dans la liste des personnes à arrêter figure François Joseph de La R., évêque de Beauvais et frère de l’évêque de Saintes. Il s’y était préparé puisqu’il avait peu de jours auparavant rédigé son testament.

Aucun ordre n’avait été lancé contre l’évêque de Saintes, il pouvait encore se sauver. Mais il va refuser d’abandonner son frère. Ils sont unis par trop de liens. L’historien saintais Louis Audiat rapporte que Pierre-Louis de La Rochefoucauld au moment où les gardes entrainaient son frère, se présente et leur demande de ne pas l’emmener
seul « S’il est coupable pour aimer sa religion et avoir le parjure en horreur, je le suis aussi…je demande à être conduit avec lui… ».

Le 15 Août 1792, ils comparaissent devant le Tribunal du Comité de la section du Luxembourg et réaffirment leur volonté de ne pas prêter le serment. Avec eux se trouve Monseigneur du Lau, archevêque d’Arles et charentais comme eux.

Ils sont enfermés dans l’église des Carmes de la rue de Vaugirard. Luis Audiat rapporte que pendant toute la durée de sa captivité volontaire, Pierre Louis de La R. conserva toute sa sérénité d’âme, se plaisant à accueillir les nouveaux prisonniers avec des intentions et une bonté qui faisaient oublier toutes les peines ».

Pierre-Louis de La R. va laisser passer sa dernière chance de s’enfuir. Le premier septembre, son valet de chambre qui avait réussi à dissimuler des vêtements séculiers vient le voir. Ainsi travesti il lui serait peut-être possible de s’échapper. Il n’y a malheureusement qu’un vêtement, Pierre-Louis, ne voulant pas abandonner son frère refusera
cette dernière chance.

Le lendemain, 2 septembre, c’est un samedi, tout le monde se confesse. Aux frontières du pays, les nouvelles
sont mauvaises. On parle de marcher au plus vite contre l’ennemi. Danton excite la foule imbécile et apeurée, ce n’est pas difficile. Il faut porter la charge contre les ennemis de la Patrie, ceux de la frontière et ceux des prisons. La tâche est plus facile en ce qui concerne ces derniers, c’est ainsi qu’au soir de ce 2 septembre, à l’heure des vêpres, plusieurs bandes font irruption aux Carmes. Les trois évêques sont en prière à l’oratoire. Monseigneur du Lau
exhorte chacun : « si c’est le moment de notre sacrifice, remercions Dieu d’avoir à lui offrir notre sang pour une si belle cause ».

La première victime de ces brutes est un abbé Guérin, originaire de Saint-Christophe aux environs de La Rochelle. L’archevêque d’Arles compagnon fidèle des deux La Rochefoucauld est achevé à coup de pique.Puis c’est au tour de François Joseph, l’évêque de Beauvais d’être blessé d’un coup de feu. Pierre-Louis lui a réussi à sortir dans le jardin. Il cherche son frère. Parvenu au fond de ce jardin il aperçoit un prêtre qui l’appelle, étant parvenu à gravir le mur
d’enceinte. Il hésite, il ne veut pas se séparer de son frère, il va rentrer volontairement dans l’église toujours à la recherche de François Joseph. L’ayant retrouvé, il vient vers lui et l’embrasse puis reste auprès de ce dernier qui, blessé est étendu à terre. Pendant quelques instants, ils pourraient croire qu’on les a oubliés, hélas il n’en est rien. On appelle Pierre-Louis auquel on redemande une fois encore s’il veut prêter serment. Une dernière fois il refuse. Il est aussitôt mis à mort. Son frère subira le même sort quelques instants plus tard au même endroit.

On raconte qu’avant de mourir il aurait fait cette prière : «  Je remets, mon Dieu mon âme entre vos mains. Je recommande à votre clémence divine ces pauvres gens qui ne se souilleraient pas d’homicide si d’affreux artifices ne leur avaient ravi la crainte de vos jugements et l’amour de votre bonté ».


Plusieurs points saillants :

  • Sa fidélité au Christ et à l’Eglise et son zèle apostolique. Il a incontestablement une foi profonde. Homme du XVIIIème siècle, issu d’une des premières familles du Royaume, quoique d’une branche cadette  et probablement un peu désargentée, il aurait pu se contenter de mener une vie tiède et confortable, préservé qu’il était des
    soucis matériels. Son épiscopat apparait comme une période de paix et de bonne administration pour le diocèse. Il est physiquement très présent, ce qui n’est pas toujours le cas à cette époque.
  • Son abandon à la volonté de Dieu. Habitué certainement à de bonnes conditions d’existence, on ne l’entendra pas se plaindre des conditions misérables dans lesquelles il va achever sa vie. C’est un point que l’on retrouvera chez les prêtres des Pontons de Rochefort.
  • L’amour fraternel. L’abbé Barbotin que j’ai abondamment pillé pour établir cette note laisse entendre que si les liens du sang étaient forts pour Pierre Louis de La R., la fraternité issue de leur égale condition d’évêques n’était pas pour rien dans ce refus obstiné de se séparer
  • Enfin un véritable appel au martyre. Par deux fois au moins, Pierre-Louis pouvait s’échapper. Toujours il refusera,  sachant très clairement qu’ainsi il s’exposait à une mort terrible.


Note établie par le Père Bernard de Lisle principalement d’après un ouvrage de l’Abbé Barbotin, prêtre du diocèse de La Rochelle, publié en 1927, mais aussi à partir de divers ouvrages et notes parmi lesquels l’ouvrage de Louis Audiat : « deux victimes des septembriseurs »