LA MESSE EST-ELLE UNE SIMPLE REUNION ?
Par Frédéric Guillaud
Pourquoi les catholiques tiennent-ils à ce point à la Messe ?
Les catholiques ne savent-ils pas que les réunions peuvent désormais se faire par téléconférence audiovisuelle ? Pourquoi ne pas prier à distance des autres fidèles, reliés par les moyens modernes de télécommunication ? On répondra d’abord que les catholiques résistent tout simplement à la virtualisation des relations humaines, à leur remplacement par des échanges téléphoniques et des «visio». Derrière un ordinateur, la présence d’autrui devient évanescente; on se connecte, on se déconnecte; on se tient mal, on grignote un morceau de chocolat et puis l’on finit par faire autre chose en même temps. Par temps de confinement, la Messe entre dans le continuum du zapping universel. Un élément du fond sonore général.
La remplacer par une prière ?
À cette première raison, certains répondront que, dans ces conditions, si le risque de dérive est trop fort, il vaut mieux supprimer l’assemblée dominicale et la remplacer par un temps de prière individuel ou familial. Il semble que les juifs, les protestants et les musulmans ne s’en accommodent pas trop mal. Pourquoi les catholiques n’en feraient-ils pas autant ? Après tout, l’épidémie pourrait même être l’occasion de suivre un peu mieux les conseils du Christ : « Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra» (Mt, 6, 5-6). Tout cela est fort bien, mais rate l’essentiel.
La Messe est un sacrifice
L’essentiel, le voici : la Messe n’est pas une simple réunion. L’épidémie a l’immense mérite de nous le rappeler, la Messe n’est ni un spectacle, ni un ballet, ni un cours, ni un meeting, ni une conférence, ni un concert. La Messe est un sacrifice dont nous mangeons la victime. Et s’il est toujours possible de s’instruire par téléconférence, il est rigoureusement impossible de se nourrir par téléphone. Dite aussi brutalement, la chose a de quoi choquer (et ce n’est pas d’hier, lisez l’évangile de saint Jean au chapitre 6 !). C’est pourtant la réalité. Mais elle mérite explication.
À la Messe, le prêtre refait les gestes et redit les paroles que le Christ a demandées que l’on répète lors de son dernier repas. Ce faisant, le prêtre ne reproduit pas seulement une scène historique, ni n’organise un étrange casse-croûte entre amis : il fait advenir, sur l’autel, le corps et le sang du Christ, conformément à la demande du Christ lui-même. Non pas le corps et le sang du Christ «en général», sans plus de précision. Non, il s’agit du corps livré, du sang versé sur la croix (Lc 22, 19). En d’autres termes, ce qui est rendu présent à la Messe, miraculeusement, c’est le sacrifice du Christ, le sacrifice qu’Il a fait de Lui-même, de sa vie, pour nous réconcilier avec le Père. À la Messe, ce qui est présent, comme à travers une fenêtre trouant l’espace-temps, c’est le Golgotha.
La Messe n’est donc pas une répétition, ni une représentation, ni une commémoration, elle est la présence même, miraculeuse, de l’Unique Sacrifice du Christ, qui ne peut pas être répété. Péguy dit cela très bien dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc : «Le même sacrifice crucifie le même corps, le même sacrifice fait couler le même sang. C’est la même histoire, exactement la même, éternellement la même, qui est arrivée dans ce temps-là et dans ce pays-là et qui arrive tous les jours dans tous les jours de toute éternité. Dans toutes les paroisses de toute chrétienté».
«Paroles dures» à entendre
Et, pour accomplir jusqu’au bout la logique inhérente aux sacrifices anciens, et faire comprendre qu’il ne venait pas les abolir, le Christ a demandé que nous mangions ce pain, que nous buvions ce vin, comme étant son corps et son sang véritables, réellement présents, substantiellement présents, ici et maintenant. «Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel… Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde». Paroles incompréhensibles, «paroles dures», qui firent s’éloigner bien des disciples (Jean 6, 52). Paroles qui resteront pourtant quand le monde aura disparu.Et qu’on ne vienne pas dire que cette présence réelle du Christ dans l’Eucharistie est une invention du Moyen Âge : les apôtres l’ont immédiatement déduite des paroles du Christ, comme on le voit en lisant saint Paul : «Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement sera coupable envers le corps et le sang du Sauveur. Celui qui mange et qui boit, s’il ne discerne pas le corps, mange et boit sa propre condamnation» (1 Co 11, 27-29).
Voilà donc, en deux mots, ce que les catholiques viennent faire à la Messe : ils viennent manger ensemble, manger vraiment le pain de vie, le pain du ciel, le pain des anges, le viatique, la sainte manne, non pour que ce pain devienne ce qu’ils sont, mais pour qu’eux-mêmes deviennent ce qu’Il est, le Christ, en s’unissant à son sacrifice, et faire ainsi un seul corps, qu’on appelle l’Église.
Ces choses-là ne se font pas par téléphone ni par «streaming».