Catéchèse sur le Messe – 2

UN COUP D’OEIL SUR LES ORIGINES
La Messe est la réitération du repas suprême au cours duquel le Christ a livré à ses Apôtres
les mystères de son corps et de son sang, préludant ainsi au sacrifice sanglant du Calvaire. Le récit le
plus ancien de la Dernière Cène -antérieur aux Évangiles de Matthieu, Marc et Luc- est celui de St
Paul dans la Première Épître aux Corinthiens (chapitre 11, versets 23-29), écrite à Ephèse au
printemps de 55 ou 56:
“Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis: le Seigneur
Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit: ‘Ceci est
mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi.’ De même, après le repas, il prit
la coupe, en disant : ‘Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; chaque fois que vous
en boirez, faites-le en mémoire de moi.’ Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que
vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’Il vienne. Ainsi
donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du
corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de
ce pain et boive de cette coupe; car celui qui mange et boit, sans discerner le Corps (du
Seigneur) mange et boit sa propre condamnation”.
Ce récit archaïque est riche de doctrine car :

  • il met l’Eucharistie en liaison étroite avec la Passion du Christ. Une alliance nouvelle et définitive est
    conclue entre Dieu et les hommes dans le sang de Jésus. Son immolation a été mystiquement
    anticipée à la Dernière Cène.
  • ordre est donné aux Apôtres -et implicitement à leurs successeurs- de célébrer l’Eucharistie en
    souvenir de Lui; souvenir tellement efficace qu’il sera une proclamation incessante de la mort
    rédemptrice et la rendra d’une certaine manière présente jusqu’au jour où le Christ reviendra dans la
    gloire de son second avènement
  • enfin, une grande pureté d’âme s’impose pour prendre part à un rite aussi sacré que la réception du
    corps et du sang du Seigneur.

    • La louange divine ou “action de grâces”, mentionnée par St Paul -et qui dérive du rituel juifrecevra des développements qui la mettront tellement en relief que le nom d’eucharistie (=action de
      grâces) sera souvent donné à l’ensemble de la célébration. On possède un exemple caractéristique,
      encore que sa destination eucharistique ne soit pas certaine, aux chapitres IX et X de la Didaché
      (Doctrine des Apôtres), précieux écrit de la première moitié du second siècle.
      Un autre élément, les lectures sacrées accompagnées du chant des Psaumes (emprunté au
      service synagogal du sabbat juif) ne tardera pas à marquer les réunions judéo-chrétiennes et à
      prendre place dans une partie préparatoire qui préludera l’offrande proprement dite du sacrifice
      eucharistique.
      Cette évolution est déjà très apparente dans la célèbre description donnée par St Justin, vers
      150, aux chapitres 65-67 de sa Première Apologie. Il parle d’abord de la Liturgie eucharistique des
      nouveaux baptisés, puis il expose le déroulement de la Liturgie dominicale :
    1. Quand celui qui s’est associé à notre foi et à notre croyance a reçu l’ablution dont nous
      avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés ceux que nous
      nommons ‘nos frères’. Là commencent les prières ardentes que nous faisons pour l’illuminé,
      pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l’espoir d’obtenir, avec la connaissance que
      nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des œuvres et dans l’observance
      des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand la prière est terminée, nous nous
      saluons tous d’un baiser de paix; ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères, du pain,
      du vin et de l’eau. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du Père de l’univers,
      par le nom du Fils et du Saint-Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens
      que nous avons reçus de Lui. Les prières et l’action de grâces terminées, tout le peuple
      s’écrie: Amen! Amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef des frères a fini
      les prières et l’action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons
      diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l’eau sur lesquels les actions de
      grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.
    2. Nous appelons cet aliment ‘Eucharistie’, et personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la
      vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa
      régénération, et s’il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet
      aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole
      de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut,
      de même aussi cet aliment, qui par l’assimilation doit nourrir notre chair et notre sang, est
      devenu, par la vertu de l’action de grâces -contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même- le
      propre sang et la propre chair de Jésus incarné: telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs
      écrits, que l’on nomme ‘Evangiles’, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé
      d’en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit: ‘Faites ceci en mémoire de moi: ceci est
      mon corps’; et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: ‘Ceci est mon sang’
      ajouta-t-il; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n’ont pas manqué d’imiter cette
      institution dans les mystères de Mithra; car on apporte à l’initié du pain et du vin, sur lesquels
      on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.
    3. Après l’assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui
      s’y est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons
      toujours; et dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l’univers par Jésus-Christ
      son Fils et par le Saint-Esprit. ‘Le jour du Soleil’, comme on l’appelle, tous ceux qui habitent
      les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres
      ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui
      qui préside fait un discours pour exhorter à l’imitation de ces sublimes enseignements.
      Ensuite nous nous levons tous et nous prions; et, comme nous l’avons dit, la prière terminée,
      on apporte du pain, du vin et de l’eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de
      grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple répond: ‘Amen’, et la distribution et la
      communion générale des choses consacrées se fait à toute l’assistance; la part des absents
      leur est portée par les diacres. Ceux qui sont dans l’abondance et veulent donner, font leurs
      largesses, et ce qui est recueilli est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les
      orphelins, les malades, les indigents, les prisonniers et les étrangers: en un mot, il prend soin
      de soulager tous les besoins. Si nous nous rassemblons le jour du soleil, c’est parce que ce
      jour est celui où Dieu, tirant la matière des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi
      celui où Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita d’entre les morts; car les Juifs le crucifièrent la
      veille du jour de Saturne, et le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du Soleil, il apparut à
      ses disciples, et leur enseigna ce que nous avons livré à vos méditations.
      L’intérêt de cette description est évident. On voit s’y dessiner les linéaments principaux de la
      célébration eucharistique:
    • lectures de l’Ancien Testament et lecture des “Mémoires des Apôtres” (ou Évangiles) dont le nom
      apparaît ici pour la première fois dans l’antiquité chrétienne;
    • homélies et prières à la suite des lectures;
    • offrande du pain et du vin mêlé d’eau par une formule solennelle où domine la pensée de l’action de
      grâces;
    • communion et envoi de l’Eucharistie aux absents par le ministère des diacres;
    • l’assemblée s’associe à celui qui préside par des acclamations et, à la fin, par ses aumônes à
      l’intention des pauvres;
    • la foi en la présence réelle du corps et du sang du Christ dans les éléments consacrés est nettement
      affirmée;
    • enfin, c’est “le jour du Soleil” (le Dimanche) le jour où la Liturgie est célébrée, en mémoire de la
      Résurrection du Seigneur.
      Si éclairante qu’elle soit sur plusieurs points, l’Apologie de Saint Justin ne nous transmet
      aucun texte des formules usitées, sans doute parce qu’elles sont improvisées par le célébrant qui
      “adresse à Dieu des prières et des actions de grâces autant qu’il peut”. Cette liberté persistera
      longtemps, mais on peut supposer que la plus solennelle des prières aura été soigneusement
      préparée d’avance, et n’aura pas été livrée -dans la plupart des cas au moins- aux hasards de
      l’inspiration du moment.
      Quoi qu’il en soit, plusieurs textes anciens nous sont parvenus; des textes qui projettent une
      vive lumière sur l’état primitif de ce que nous appelons le “canon” de la Messe, c’est-à-dire la prière
      centrale qui encadre la consécration. On leur donne dans l’antiquité le nom d’anaphore, de deux mots
      grecs (aná-phorein) qui signifient: “porter en haut”, “offrir”. On reproduit ici celle de St Hippolyte,
      prêtre de Rome, dont l’ambition fit d’abord un antipape, mais qui mourut ensuite reconcilié avec
      l’Église et martyr en 235. Elle est empruntée à son opuscule La Tradition Apostolique (a. 215) qui la
      rapporte à la suite de la prière pour le sacre d’un évêque:
    • Le Seigneur soit avec vous.
    • Et avec ton esprit.
    • Élevons les cœurs.
    • Ils sont tournés vers le Seigneur.
    • Rendons grâces au Seigneur !
    • C’est digne et juste !
      Nous te rendons grâce, ô Dieu, par ton Enfant bien-aimé, Jésus Christ, que tu nous as envoyé
      aux derniers temps comme Sauveur, Rédempteur et Messager de ta volonté. Il est ton Verbe
      inséparable par qui tu as tout créé et en qui tu as mis tes complaisances. Tu l’as envoyé du
      ciel dans le sein d’une Vierge.
      Il a été conçu et s’est incarné, il s’est manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit-Saint et de la
      Vierge.
      Il a accompli ta volonté et, pour t’acquérir un peuple saint, il a étendu ses mains tandis qu’il
      souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui croient en Toi. Tandis qu’il se livrait à une
      souffrance volontaire pour détruire la mort, briser les chaînes du diable, fouler l’enfer à ses
      pieds, répandre sa lumière sur les justes, établir l’Alliance et manifester sa Résurrection.
      Il prit du pain, Il te rendit grâces et dit: ‘Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est rompu
      pour vous’. De même pour le calice, il dit: ‘Ceci est mon sang qui est répandu pour vous.
      Quand vous faites ceci, faites-le en mémoire de moi’.
      Nous souvenant donc de sa mort et de sa Résurrection, nous T’offrons le pain et le vin, en Te
      rendant grâces de nous avoir jugés dignes de nous tenir devant Toi et de Te servir, et nous
      Te demandons d’envoyer ton Esprit Saint sur l’offrande de ton Eglise sainte: en la
      rassemblant dans l’unité donne à tous ceux qui la reçoivent, qu’ils soient remplis de l’Esprit
      Saint pour l’affermissement de leur foi dans la vérité, afin que nous puissions ainsi Te louer et
      Te glorifier par ton Enfant Jésus Christ, par qui vous avez gloire à toi, et honneur, au Père et
      au Fils, avec l’Esprit Saint, dans ton Eglise sainte, maintenant et dans les siècles des siècles!
      Amen.
      Le lecteur aura reconnu aisément dans cette anaphore à la ligne simple et pure l’ordonnance
      générale du canon actuel de la Messe (si l’on fait abstraction du Sanctus et des Mémentos):
    • après le dialogue initial de la Préface, l’action de grâces pour l’Incarnation du Fils de Dieu et la
      Passion ;
    • ensuite, la mention des fruits de la Passion et le récit de la Cène;
    • en fin, l’affirmation que l’Église agit conformément au commandement du Seigneur, en faisant
      mémoire à la fois de sa mort et de sa résurrection; en offrant le pain et le vin consacrés. En
      conséquence, elle demande à Dieu d’envoyer l’Esprit-Saint sur son offrande, afin que ses enfants
      soient affermis dans leur foi et, par Jésus-Christ, louent sans fin la Trinité adorable.
      Tout est dit -ou presque- en quelques lignes: commémoration du sacrifice du Calvaire,
      offrande de l’Église unie à celle du Christ, dans une note dominante de louange et d’action de grâces
      pour le mystère rédempteur qui se continue à l’autel, et pour la glorification de la Trinité.
    • Dès le milieu du IIIème siècle –et surtout ä partir de l’Édit de Milan, qui marque en 313 la fin des
      premières persécutions- le formulaire et le cérémonial s’amplifient, tant pour l’avant-Messe et les
      prières d’intercession pour l’Église, que pour l’Anaphore. Les liturgies se diversifient en Orient et en
      Occident; ces dernières étant marquées par une plus grande variété de formules au cours de l’année
      liturgique. Dans la Liturgie romaine le latin se substitue progressivement au grec, l’avant-Messe et les
      autres parties variables s’organisent, tandis que le canon se rapproche de la forme actuelle.
    • Vers la fin du IVème siècle, Saint Ambroise de Milan dans le De Sacramentis, recueil de catéchèses
      pour les nouveaux baptisés, cite la partie centrale du canon, un peu plus courte que le texte de notre
      Missel, mais substantiellement identique. Bientôt les autres prières du canon actuel s’y ajoutent, et il
      paraît probable que le canon a reçu du Pape Gélase (492-496) sa forme complète; il manque
      seulement le “Memento” des défunts qui est postérieur.
    • Les prières dites par le célébrant et qui -hormis le canon- sont toutes variables, nous sont parvenues
      dans des livrets appelés Sacramentaires (“Liber sacramentorum”, “Sacramentarium”). Trois
      concernent la Messe romaine: le Léonien, le Gélasien et le Grégorien.
      A côté des Sacramentaires, il y a eu de bonne heure les Lectionnaires, pour les Epîtres et les
      Évangiles; et des Antiphonaires, pour les parties chantées par la “Schola cantorum”. L’habitude prise
      peu à peu par les célébrants de lire les parties de la Messe qui ne leur étaient pas réservées, a abouti
      au Moyen âge à la formation des Missels pléniers -ancêtres de notre Missel romain- qui réunissent en
      un seul livre le contenu des Sacramentaires, Lectionnaire et Antiphonaire.