La France en crise de foi, les fidèles cherchent des solutions à Lourdes (Rassemblement KERYGMA )

   

S’achève ce lundi 23 octobre à Lourdes le rassemblement KERYGMA organisé par le Conseil pour la Catéchèse et le Catéchuménat (CCC). Depuis vendredi 20 octobre, plus de 2 700 participants, dont 35 évêques, sont réunis dans la cité mariale pour échanger sur les défis de l’évangélisation aujourd’hui en France. Entretien avec Isabelle Morel, professeure de théologie et conférencière de l’évènement.

Entretien réalisé par Alexandra Sirgant – Cité du Vatican 

Il s’agit de la deuxième phase de la démarche KERYGMA lancée par les évêques du Conseil pour la Catéchèse et le Cathéchuménat, un processus initié en octobre 2022 à la suite de l’appel du Pape François à fonder toute activité d’évangélisation sur le kerygme. Ce terme désigne le contenu essentiel de la foi en Jésus-Christ annoncée et transmise aux non-croyants par les premiers chrétiens.

Pendant un an, 86 équipes, venant des quatre coins de France, ont procédé à un état des lieux de l’évangélisation dans leurs diocèses, avant de se réunir tous à Lourdes du 20 au 23 octobre pour un grand rassemblement autour du thème «A vous d’en être les témoins» (Lc 24, 48).  L’objectif est de donner un second souffle au processus d’évangélisation en France, face à une société de plus en plus sécularisée.

De nombreuses tables-rondes et ateliers étaient organisés, ainsi que trois conférences sur la situation de l’évangélisation en France et les fondations du kérygme. Retour sur cet événement avec l’une des conférencières, la directrice de l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique et professeur de théologie catéchétique à l’Institut catholique de Paris, Isabelle Morel. Loin d’être pessimiste sur le sujet, elle explique l’importance de remettre en question les méthodes de transmission de la foi aujourd’hui, tout en soulignant l’augmentation du nombre d’adultes baptisés en 2023. 

Entretien avec Isabelle Morel, directrice de l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique et professeure de théologie catéchétique.

En quoi consiste ce grand rassemblement KERYGMA à Lourdes?

Nous pourrions dire d’une certaine manière que c’est pour l’Eglise de France une belle occasion de redynamiser toutes les forces autour de l’évangélisation, autour de la mission, autour de de la réflexion. Cela permet la prise de recul sur nos propres pratiques, puisque nous sommes perpétuellement dans un monde qui change, qui évolue, et on a besoin de se reposer régulièrement les questions sur notre manière à la fois de faire, mais aussi sur le sens de ce que nous faisons. Et donc là, c’est typiquement un lieu où nous allons partager des expériences, nous allons aussi entendre des analyses et on va essayer d’articuler tout ça pour un second souffle, dans nos diocèses, dans nos services, dans nos mouvements et de manière générale, pour l’Église de France aussi.

Vous avez animé une conférence intitulée «Poser les fondations». De quelles fondations parlez-vous?

Il s’agissait, après deux autres conférences qui essayaient de dresser un peu le tableau de la situation en France aujourd’hui, de se redire qu’est-ce que l’on appelle exactement le kérygme? Il s’agissait de poser les fondations de l’annonce de la foi chrétienne catholique aujourd’hui. Et donc il y a eu tout un travail avec deux autres collègues de l’Institut Catholique de Paris. Nous avons essayé de dire avec des mots assez simples, ce qui constitue le cœur de la foi pour nous les chrétiens aujourd’hui. Alors cela part de cette formule que l’on redit depuis des millénaires “Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous sauver”. Mais une fois que nous avons dit ça, nous savons bien que c’est une formule qui peut tomber dans une forme d’habitude, parce que nous allons la redire tous les dimanches à la messe par exemple, et cela peut être banalisé.

Alors, comment est-ce que nous pouvons essayer de se rappeler que c’est une vraiment bonne nouvelle pour nous aujourd’hui? Et cela vient s’affronter à d’autres types de questions: par exemple de quoi avons-nous besoin d’être sauvés? Aujourd’hui, on ne vit plus dans le même monde qu’il y a 2000 ans. Nos contemporains, ils ont besoin aussi qu’on réponde à des questions de sens par rapport aux épreuves qu’ils traversent aujourd’hui. Ils ont besoin d’entendre à partir de ces épreuves-là, que Jésus-Christ est vraiment là pour les sauver, pour leur apporter une proposition de vie bonne aujourd’hui.

À quels défis l’Église de France est-elle confrontée?

Alors en fonction de la manière dont on voit les choses, soit nous tombons dans le pessimisme, soit nous nous disons que c’est aussi aujourd’hui une belle occasion [pour réfléchir]. Nous sommes dans une société très sécularisée, mais avec des personnes qui se posent beaucoup de questions sur le sens de leur vie. Il y a beaucoup de demandes aujourd’hui chez nos contemporains, en tout cas dans le monde francophone occidental, beaucoup de personnes qui cherchent à répondre à des questions de fond, des questions de sens sur ce qu’il se passe après la mort, sur la manière de vivre et de bien vivre en général. Et donc, il y a une certaine soif de quelque chose ou de quelqu’un. Alors nous disons que c’est une soif de Dieu, une soif de Jésus-Christ. Mais encore faut-il aider nos contemporains à mettre des mots dessus. Les défis sont là. C’est rendre la foi chrétienne catholique audible et crédible avec le vocabulaire d’aujourd’hui, avec les questions que les personnes se posent. Et c’est un peu ça le défi pour nous, c’est comment annoncer le kérygme, c’est à dire le cœur de notre foi.

Quels sont les profils de ces personnes qui se tournent vers vous à la recherche de question?

Il y a une grande diversité, on va dire, de cas possibles. Depuis vendredi, nous rencontrons des nouveaux convertis, des personnes qui étaient en recherche, qui ont testé des choses et qui ont trouvé dans le catholicisme, un lieu où il y a un sens qui peut être donné à leurs questions profondes. Et puis il y a aussi des personnes qui ont été baptisés il y a très longtemps et puis qui ont laissé un peu tout filer, un peu par habitude ou par paresse, ou parce que ça ne correspondait pas à leurs priorités du moment, et qui, à l’occasion d’un événement marquant et pour certains, ça a été la crise de la pandémie de Covid-19 par exemple, se posent des questions sur le sens de la vie. Nous avons par exemple en France une augmentation du nombre de catéchumènes en deux ou trois ans. [1 000 de plus en 2023 par rapport à 2022] Cela concerne  tous les diocèses de France. Alors évidemment, nous arrivons avec des générations qui n’ont pas été toutes baptisées bébés, mais il n’empêche qu’on sent une soif chez nos contemporains de retrouver du sens.

Pourtant, le nombre de catholiques en France lui recule?  

Si on regarde numériquement parlant, nous allons effectivement se dire par rapport à il y a dix ans ou par rapport il y a vingt ans, nous ne sommes plus du tout dans les mêmes chiffres, on ne cherche même pas à se comparer pour ne pas tomber dans le pessimisme. Mais en même temps, il y a d’autres signes de vitalité et de dynamisme qui sont intéressants à regarder du côté des catéchumènes, du côté d’un certain nombre de jeunes aussi qui demandent des repères et ce qu’on n’avait pas forcément il y a vingt ou trente ans.

Nous avons aussi un certain nombre de personnes qui viennent frapper à la porte pour essayer de trouver des formations d’adultes. Alors ça peut rester encore un peu poussif, mais c’est en train de germer, nous sommes dans le rassemblement. Nous avons essayé de mettre l’accent plutôt sur ces signes de vitalité parce que c’est en misant dessus que l’on espère redynamiser l’ensemble en fait.

Le problème c’est l’annonce de la foi, sa transmission?

On peut s’interroger sur les méthodes, les techniques de transmission, sur la pédagogie. Et ça, nous l’avons toujours fait, quelle que soit l’époque à laquelle on s’est intéressé à la transmission de la foi. Simplement, ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas seulement une question de méthode ou de pédagogie, parce que malgré les évolutions méthodologiques et pédagogiques, nous sommes quand même confrontés à un monde de plus en plus sécularisé, parce qu’il est mondialisé, parce que on est dans un monde numérique qui change notre rapport au temps, à la vérité, à l’autorité. Et qui change notre manière d’apprendre. 

Cela veut donc dire que, aujourd’hui, on ne se compte plus de la même manière. C’est-à-dire que les sociologues, par exemple, il y a quelques années et pendant longtemps, comptaient le nombre de catholiques en comptant le nombre de pratiquants réguliers à la messe du dimanche. Mais aujourd’hui, il y a un grand nombre de catholiques qui vont se déclarer catholiques, mais qui vont se retrouver plutôt dans des pèlerinages, dans des rassemblements, dans des des soirées de prière ou de louange plutôt qu’à la messe du dimanche. Alors il s’agit d’entrer dans une autre manière d’initier à la vie chrétienne pour que la messe du dimanche reste aussi une proposition qui prennent sens mais qui prennent sens par rapport à d’autres habitudes de vie de nos contemporains.

Voilà, il faut penser les choses un peu différemment. Mais ça veut dire que nous, au niveau de l’effort de transmission de la foi, on a tout un travail d’initiation à faire à partir du lieu où ils sont eux aujourd’hui pour essayer de redonner du sens, y compris dans nos liturgies et nos propositions sacramentelles.

Vous avez publié un livre en 2020 intitulé «Transmettre la foi en temps de crise». Nous sommes aujourd’hui en temps de crise?

Cela dépend de comment nous comprenons le mot “crise”. Moi je le comprends comme un moment où tout est encore possible. C’est-à-dire on sait bien qu’il y aujourd’hui la crise écologique, la crise financière, la crise migratoire, etc. On voit bien que ça bouge à vitesse grand V mais nous ne savons pas si ça ira vers une amélioration ou vers une détérioration. C’est bien le bon moment pour se poser les questions de savoir comment revenir à l’essentiel, comment nourrir sa vie spirituelle pour être plus joyeux, pour être plus disponible, pour être plus à l’écoute des uns et des autres, de ceux qui nous entourent.

En France en tout cas, c’est un moment où, après la crise, des abus aussi par exemple, nous mettons davantage l’accent sur la manière de prendre soin les uns des autres. Et ça, c’est heureux. C’est une bonne nouvelle. C’est aussi ça le kérygme.

Votre rassemblement a lieu en plein Synode sur la synodalité à Rome. Quelle est la place de la synodalité dans vos discussions?

Nous en avons parlé plusieurs fois, notamment dans la conférence sur les fondations. Dans un monde comme le nôtre où l’on a besoin d’être aussi acteur de sa propre vie. La finalité, c’est une réponse merveilleuse parce qu’elle, elle met tout le monde en action. Mais ce n’est pas une action pour l’action, c’est une action qui se réfléchit à partir d’un centre, d’un centre qui nous appelle à marcher ensemble. Et la finalité, c’est d’abord la réponse à un appel, un appel à marcher ensemble, un appel à aller de l’avant à la suite du Christ comme disciple, et puis ensuite afin d’être missionnaire.

Nous sommes dans une démarche de type synodale parce que c’est à la fois répondre à un appel, celui de se réveiller et de de venir réfléchir ensemble pour pouvoir ensuite redonner [des réponses] dans nos diocèses, dans nos services, dans nos paroisses.