Evolutions de la famille, mariage, union de personnes du même sexe, divorcés – remariés… En cette période de rentrée 2014, l’évêque de La Rochelle et Saintes a souhaité livrer une réflexion sur ces sujets.
Dans les conciles, chaque évêque est accompagné d’un théologien. C’est une pratique traditionnelle. Il n’est donc pas inconvenant qu’un évêque recommande un article théologique, puisqu’il s’y retrouve bien comme pasteur d’un diocèse. Sont abordées des questions complexes qui vont être débattues durant les prochains synodes romains sur la famille.
Le père Bacq utilise un document récent de la Commission Théologique Internationale. Intitulé « A la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle », ce texte a été rendu public le 27 mars 2009 et édité dans la Documentation Catholique des 6 et 20 septembre 2009, col. 811-844. Le père Bacq tient compte aussi de l’apport des sciences humaines et, à leur lumière, s’appuie sur des réflexions de Saint Thomas d’Aquin.
LE MARIAGE SELON LA LOI NATURELLE
Il commence par rappeler l’importance de la « loi naturelle » pour la théologie catholique en général et la réflexion sur le mariage en particulier. Mais, tout en précisant qu’il parle « des chrétiens mariés de nos régions » et non pas pour la terre entière, il constate qu’à l’heure actuelle, « cette notion parait compliquée ». La plupart des familles et des pasteurs ne s’y réfèrent pas, préférant suivre au mieux leur conscience.
C’est qu’il y a un décalage entre une conception juridique du mariage et « le critère moral » des couples actuels : « se rendre mutuellement heureux, se faire du bien, grandir en humanité en se respectant dans ses différences, s’épanouir ensemble ». Ainsi, « aborder le mariage par le biais de l’obligation, c’est l’envisager à partir de ses difficultés et non des sources de vie qu’il promeut ».
Le père Bacq propose donc de réfléchir autrement, à partir de deux affirmations essentielles de Saint Thomas d’Aquin.
Celui-ci, dans un texte cité deux fois par la Commission Théologique Internationale, affirme : « La créature raisonnable … participe elle-même de cette providence divine en pourvoyant à soi-même et aux autres … C’est une telle participation de la loi éternelle qui, dans la créature raisonnable, est appelée loi naturelle » (Somme théologique Ia IIae q.91 art 2). Commentaire du jésuite : « Etre providence, c’est porter attention à, veiller sur, chercher ce qui peut être profitable … On pourrait dire prendre soin de soi et des autres ».
Une telle « conception relationnelle de la loi naturelle » prend davantage en considération la vie du désir. D’autant plus qu’elle rejoint le cœur du Discours sur la Montagne : « Comme vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux, c’est la Loi et les prophètes » (Mt 7, 12). Cette règle d’or est d’ailleurs celle de la plupart des sagesses et religions du monde. Ainsi, « le fondement absolu de l’éthique est la personne de l’autre, même pour tous ceux qui ne croient pas en Dieu ». La personne de l’autre est vraiment « l’absolu à respecter ».
Cette manière de présenter l’amour et le mariage rejoint aussi la vie trinitaire. Les personnes divines sont « providences les unes pour les autres ». Le Père, le Fils et le Saint-Esprit se donnent et se reçoivent en toute réciprocité, relations qui constituent l’identité de chacun. On saisit mieux que la vie des couples et des familles est fondée sur la Trinité, ce qui n’est pas rien !
Un second point présenté par Saint Thomas d’Aquin est également essentiel. La loi naturelle, dit-il, comprend trois niveaux. Tout d’abord le premier précepte qui consiste à « faire le bien et éviter le mal », fondement des autres. Ceux-ci sont les préceptes premiers immuables : « la conservation de son être selon sa nature propre, puis ce qu’il a de commun avec le monde animal, enfin ce qui lui est propre en tant qu’homme ». Le document de la Commission Théologique Internationale explicite ces préceptes (n° 36 à 59). Un troisième niveau est celui des préceptes seconds. Eux non plus « ne changent pas dans la plupart des cas mais il peut y avoir des changements en tel cas particulier ». Ceux-ci sont légitimes s’ils promeuvent « ce qui est utile à la vie humaine ».
Et le père Bacq de commenter : « Vu le progrès des sciences humaines, on peut même se demander si, du point de vue d’un changement possible, certains préceptes premiers ne peuvent pas être considérés comme des préceptes seconds, dans certains cas, assez rares ». La Commission Théologique Internationale énumère quelques exemples « d’évolution de la réflexion morale sur des questions comme l’esclavage, le prêt à intérêt, le duel ou la peine de mort » (53).
LES UNIONS DES PERSONNES DU MEME SEXE
« La sexualité est perçue de nos jours comme un ensemble de pulsions (voir, toucher, goûter et aussi la pulsion sexuelle proprement dite à partir de l’adolescence) qui s’ordonnent petit à petit grâce à l’éducation… Mais ce n’est jamais fait une fois pour toutes … ». Dans la plupart des cas (selon l’expression de Saint Thomas d’Aquin), il s’agit d’une attirance hétérosexuelle. Mais certains – c’est leur nature particulière – sont attirés par des personnes de même sexe et ils n’y peuvent rien. Selon le titre d’un livre de J. Balthazart, « Biologie de l’homosexualité. On nait homosexuel, on ne choisit pas de l’être » (Bruxelles, ed. Mardaga, 2010).
Les sciences humaines nous ont donc fait découvrir que, pour les personnes homosexuelles, c’est leur nature, même si elle est particulière. D’autre part, « interdire toute relation homosexuelle est perçu comme une discrimination insoutenable ». Enfin, « la répression de l’exercice de la sexualité, imposée du dehors, peut conduire à des conséquences néfastes ».
Quant aux recherches de certains théologiens, ils se demandent si l’hétérosexualité est à situer parmi les préceptes premiers immuables ou parmi les seconds. Certes, la différence sexuelle est essentielle. L’affirmer ne revient pas à penser que les sexes sont inégaux, contrairement à certaines théories émises au nom du « gender ». Mais « peut-on faire de la distinction sexuelle un absolu qui passerait avant le principe premier de la loi naturelle : se faire du bien l’un l’autre, être providence pour soi et pour l’autre ? Ne donne-t-on pas la priorité à une détermination corporelle, certes très importante, mais pas absolue, au détriment de la personne, considérée dans ce qu’elle a d’unique ? »
Ce qui est sûr, c’est que le Christ et le pape François nous invitent à passer d’une attitude de mépris (comme nous l’avons eu pour les juifs) à un réel respect des personnes homosexuelles. Elles sont minoritaires, mais elles ne sont pas déviantes. La différence est de taille. Et celles qui le veulent ont toute leur place dans l’Eglise. Toute personne est un absolu à respecter absolument, quelle que soit son orientation sexuelle.
LES DIVORCES REMARIES
La position traditionnelle de l’Eglise à leur sujet a été présentée récemment par le cardinal Muller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, de manière très claire. On peut la résumer ainsi : si l’on se remarie après un divorce, on ne peut plus recevoir l’Eucharistie. Car le sacrement de mariage est indissoluble.
Pour permettre un second mariage, les autorités ecclésiales proposent une reconnaissance de nullité du premier. Mais un nombre de plus en plus important de couples concernés sont persuadés que leur vie de couple n’a pas été nulle, n’a pas compté pour rien. Et, lorsqu’ils ont eu des enfants, ils entendent leur montrer que, même si le couple conjugal se termine par un échec, le couple parental n’est pas une erreur.
« La position du Magistère catholique pourrait-elle évoluer ? Trois textes du Nouveau Testament sont au fondement de la doctrine traditionnelle ».
« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Par cette formule, reprise par les trois synoptiques (Mt 19,6 ; Mc 10,9 ; cf Luc 16,18), le Christ répond à des pharisiens qui l’interrogent sur la répudiation possible par l’homme de sa femme. Il affirme donc l’égalité de l’homme et de la femme, sans traiter la question du divorce. Mais il rappelle le vœu de tout amour véritable : que les époux ne se séparent pas. Désir humain qui correspond au désir de Dieu.
Un second texte, souvent choisi dans les célébrations du mariage (Ephé 5, 31-32), indique la signification mystique de l’union conjugale. La fidélité de l’homme et de la femme renvoie à la fidélité du Christ pour son Eglise. « Mais peut-on passer de cet ordre symbolique à une détermination juridique ? »
Le troisième texte, extrait de I Cor, concerne bien le divorce : « Que la femme ne se sépare pas de son mari et que le mari ne quitte point sa femme (7, 10-11). Et Paul de préciser que « sa prescription » vient du Seigneur. Il se situe au niveau de la loi éthique pour réagir contre l’attitude de certains membres de la communauté qui prétendent s’en libérer. La loi est nécessaire « dans les situations de déviance volontaire. Mais cette attitude peut-elle s’appliquer à la situation de personnes divorcées qui se remarient tout en reconnaissant un échec dans leur vie ? »
Le père Bacq termine son article de la manière suivante : « La pratique des Eglises orientales qui permet un deuxième ou un troisième mariage ne parait donc pas si contraire aux textes fondateurs. Le vœu de l’amour sera toujours que les couples restent unis la vie durant. Accepter un nouveau mariage pour des divorcés ne remet pas en question ce principe de fond… Mais, si des difficultés insurmontables apparaissent, comment vivre cet autre aspect du christianisme : la foi au Christ qui pardonne et libère ? » Reprenant la distinction de Jean XXIII, lors de l’ouverture du concile, le théologien invite les pasteurs d’aujourd’hui à « distinguer plus nettement la substance de la foi et la formulation dont on la revêt ». La Bonne Nouvelle du Christ sur l’amour et le mariage sera d’autant mieux manifestée.
+ Bernard Housset
Evêque de La Rochelle et Saintes
Septembre 2014