Mgr Pontier : "Porteurs fragiles d’un message qui nous dépasse"

4 Nov 2015

Les évêques de France sont actuellement à Lourdes pour leur Assemblée plénière, l’une des deux de l’année. Voici le discours que le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Georges Pontier, y a prononcé lors de son ouverture mardi 3 novembre.

La fête de la Toussaint que nous venons de célébrer dans nos diocèses a tourné nos regards vers l’accomplissement de la route humaine. La vision du désir et de l’œuvre de Dieu accomplie en Christ nous était proposée dans cette « foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues », vivant la fête éternelle, filiale et fraternelle auprès de Celui qui est source de toute vie et de tout amour. Un appel à la sainteté pour tous avons-nous dit à ceux qui nous écoutaient, un chemin de bonheur vécu selon les béatitudes !
Le lendemain, hier, nous avons rejoint dans la prière nos frères et sœurs défunts et leurs familles, ceux de la récente catastrophe de Puisseguin en Gironde qui a emporté de façon subite à l’affection de leurs proches quarante-trois personnes des villages autour de Petit Palais. Nous n’avons pas oublié ceux de la catastrophe aérienne des Alpes de Haute-Provence, ni ceux de l’avion russe sur le Sinaï ce samedi, ni ceux si nombreux des conflits du monde, particulièrement au Moyen Orient ou en Afrique. Nous avons encore prié pour ces milliers de migrants péris en Méditerranée ces derniers mois ou pour ceux qui meurent dans l’anonymat de nos grandes villes, les « disparus de la rue ». Oui, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » (G.S. 1), comme le disait voici 50 ans le concile Vatican II.
Nous nous savons porteurs fragiles d’un message qui nous dépasse. C’est celui de l’espérance qui éclaire et fait tenir, qui relève et qui donne sens. Cette espérance nous vient de la rencontre du Christ et de son témoignage, Lui qui est passé en faisant le bien, qui a fait de sa vie un don et qui a bien voulu par la volonté de son Père et la puissance de l’Esprit faire retomber sur chaque être humain et sur l’humanité entière la puissance de la miséricorde divine, la fidélité de son amour, sa victoire sur les haines, le péché et la mort.
Et comment l’annoncer, sinon en encourageant, en soutenant nous-mêmes ceux et celles au milieu desquels nous vivons ? Comment l’annoncer sinon en nous faisant proches, en nous risquant, en étant  « cet hôpital de campagne » dont le Pape François aime parler au sujet de l’Eglise ?
Une Eglise qui se fait d’abord mère
Six d’entre nous étions présents au Synode ordinaire des évêques qui vient de s’achever à Rome le dimanche 25 octobre dernier, voici à peine 10 jours. Il poursuivait la réflexion commencée voici de nombreux mois au sujet de la famille. Il s’attardait cette année sur « la vocation et la mission de la famille dans l’Eglise et dans le monde contemporain » Nous y reviendrons dans le courant de cette assemblée. Dans son discours de fin de synode, le Pape François a souligné cet état d’esprit qui avait animé nos échanges et orienté nos propositions. « Ce synode signifie avoir incité tout le monde à comprendre l’importance de l’institution de la famille et du mariage entre un homme et une femme, fondée sur l’unité et sur l’indissolubilité et à l’apprécier comme base fondamentale de la société et de la vie humaine. Il signifie avoir écouté et fait écouter les voix des familles et des pasteurs de l’Eglise qui sont venus à Rome en portant les poids et les espérances, les richesses et les défis des familles de toutes les parties du monde. Il signifie avoir donné la preuve de la vivacité de l’Eglise catholique qui n’a pas peur de secouer les consciences anesthésiées ou de se salir les mains en discutant de la famille d’une façon animée et franche. (…) Il signifie avoir témoigné à tous que l’Evangile demeure pour l’Eglise la source vive d’éternelle nouveauté, contre qui veut « l’endoctriner » en pierres mortes à lancer contre les autres. Il signifie encore avoir mis à nus les cœurs fermés qui souvent se cachent jusque derrière les enseignements de l’Eglise ou derrière les bonnes intentions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées. » Oui, l’Eglise choisit la tendresse et la miséricorde de la mère pour accompagner ses enfants sur un chemin de progression, de conversion, de discernement de la présence de l’Esprit à l’œuvre en tout cœur pour y accomplir son œuvre de salut et de bonheur. Le Synode a souvent parlé des blessures qui affectent la vie de nos contemporains d’un bout du monde à l’autre. Il a loué la belle fidélité de bien des couples qui sont ainsi les premiers messagers de l’Evangile de la famille. Le document final, voté à plus des deux tiers des voix a été remis au Saint-Père auquel il appartient dans son ministère d’en préciser l’usage et la traduction éventuelle dans des formes qu’il saura préciser. Vous vous doutez bien que pour nous autres, ce fut un profond moment de vie ecclésiale, une expérience de la beauté de l’Eglise, une et diverse, rassemblée par Pierre et partageant en sa présence nos questions de pasteurs de la portion du peuple de Dieu qui nous est confiée. La canonisation des époux Martin est venue illustrer de façon heureuse le message de sainteté proposé à la famille et vécu par une famille de chez nous dans l’ordinaire d’une vie d’époux, de parents, d’éducateurs et de témoins. Le fait qu’ils soient les parents de la petite Thérèse ajoutait encore au rayonnement spirituel de leur existence.
Au cours de ces trois semaines a eu lieu le cinquantième anniversaire de l’institution du Synode des Evêques par le Pape Paul VI. Moment de méditation sur le mystère de l’Eglise, temps d’évocation de sa vie dans les cinq continents et enseignement du Pape François sur la synodalité dans la vie de l’Eglise. Ce texte important qu’il a prononcé nous invite dans nos diocèses, comme dans nos provinces et nos conférences épiscopales à vivre de cet esprit. «  Une Eglise synodale est une Eglise de l’écoute, avec la conscience qu’écouter « est plus qu’entendre ». C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Evêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit-Saint, l’ « Esprit de Vérité » (Jn. 14,17), pour savoir ce qu’il dit aux Eglises (Ap 2,7) ». Il ajoutait encore : « Le souhait du Concile était que de tels organismes (provinces, régions, conciles particuliers, conférences épiscopales) puissent contribuer à accroître l’esprit de collégialité qui ne s’est pas encore pleinement réalisé. Nous sommes à mi-chemin. » Nous pourrions nous demander si le temps n’est pas venu de relire à cette lumière la vie de notre conférence épiscopale ?
L’accueil des Réfugiés et des migrants
Au cours de ces journées de Synode, souvent le visage du drame vécu par les familles frappées par des guerres atroces ou des conditions de vie sans avenir nous a été rappelé par les Patriarches des Eglises Orientales spécialement. Une fois encore, ils nous ont décrit le sort de nos frères chrétiens condamnés à l’exil, à une patience héroïque, à des replis dans des zones voisines plus sûres. Souvent les familles en sont éclatées, pour que l’un parte à la recherche de ressources pour tous. Leur sentiment profond est que ce qui leur arrive ne vient pas surtout d’eux-mêmes, mais bien de facteurs politiques qui les dépassent et dont l’Occident n’est pas exempt de responsabilités graves. Ils nous demandent de faire entendre la voix de leurs peuples auprès de nos gouvernants. À partir d’autres endroits du monde, le cri des hommes a également habité notre aula : de l’Ukraine toujours en guerre au Nigeria et au Nord Cameroun qui subissent les exactions de Boko Haram, du Centre Afrique au Burkina Faso, de tant d’autres pays encore. Et chaque fois les répercussions destructrices sur les vies de famille étaient mises en valeur.
Ici, en Europe, cette question des réfugiés et des migrants a pris depuis quelques mois une ampleur continentale. La question de la solidarité entre nos pays pour accueillir et accompagner ces frères et sœurs en humanité qui fuient leurs terres natales et viennent chercher chez nous aide et fraternité manifeste au grand jour nos peurs, nos égoïsmes, mais aussi nos générosités et nos prises de conscience. Au cours de notre assemblée, nous prendrons un temps de réflexion sur ce sujet. Nous avons invité le Cardinal Montenegro, Archevêque d’Agrigente, sur le territoire duquel se trouve l’île de Lampedusa. Il nous partagera ce qu’avec ses diocésains il a observé depuis des années et ce qu’ils font de façon exemplaire et persévérante. Mgr Jaeger et des membres du service national des Migrants nous parleront aussi de ce qui se passe à Calais. Au-delà des solutions politiques dont les décisions nous échappent, nous savons l’importance de l’opinion publique, du tissu associatif, de l’engagement de chacun à son niveau. C’est un problème profondément humain que certains malheureusement ne manquent pas d’instrumentaliser en flattant les peurs et les égoïsmes. C’est aussi une question évangélique. Ne rappelle-t-elle pas la parabole du bon samaritain ? Les deux premiers passants se sont posé la question de savoir ce qui allait leur arriver s’ils s’arrêtaient auprès de l’homme tombé aux mains des bandits. Le troisième s’est posé la question inverse : que va-t- il lui arriver si je ne m’arrête pas auprès de lui. Il m’apparaît que dans les débats de société, la même question morale  s’exprime avec clarté. On se demande souvent : que va-t-il nous arriver, à nous et à notre pays si nous accueillons ceux qui même parfois, pour effrayer davantage, sont qualifiés de horde envahissante ? Tout homme et les chrétiens en particulier, à la suite de Celui qui a dit à la fin de la parabole : « Va et fais de même », sont invités à se poser la véritable question, celle qui s’impose à leur conscience : Que va-t-il leur arriver si nous ne les accueillons pas ? L’histoire de notre pays comme celle de beaucoup sur cette terre enseigne combien les nations se sont faites par des vagues successives de migrants qui ont apporté une fois accueillis la richesse de leurs capacités, de leurs formations, de leur énergie amplifiée par la joie d’avoir enfin trouvé une terre hospitalière qui devient un jour la leur et celle de leur descendance. Notre devoir d’éclairer les consciences en ce domaine est évident et urgent. Voici bientôt un an au parlement européen de Strasbourg le Pape François s’exprimait ainsi « Il est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. On ne peut tolérer que la Mer Méditerranée devienne un grand cimetière ! Dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtes européennes, il y a des hommes et des femmes qui ont besoin d’accueil et d’aide. L’absence d’un soutien réciproque au sein de l’Union Européenne risque d’encourager des solutions particularistes aux problèmes, qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés, favorisant le travail d’esclave et des tensions sociales continuelles. L’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leur pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes –cause principale de ce phénomène- au lieu de politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets. » C’est une fois de plus à la responsabilité, à la solidarité que nous sommes appelés, à l’étude objective de ces phénomènes migratoires et à la perception que tous les pays d’Europe n’en sont pas touchés de façon identique, ce qui nécessite une organisation juste, respectueuse des projets des personnes et à la hauteur des défis de ce dramatique exode.
La conférence mondiale sur le climat
A la fin de ce mois se tiendra au Bourget et à Paris la 21ème Conférence mondiale sur le climat. Nous commençons à en connaître et à en comprendre mieux les grands enjeux pour l’humanité. L’encyclique du Pape François « Laudato si’ » a fourni un cadre de réflexion riche et apprécié. La société civile de multiples manières attendait ce document, espérant et convaincue que les religions et le catholicisme particulièrement ont cette capacité de porter la réflexion au niveau des consciences, des changements de mode de vie pour préserver notre planète et le sort des générations qui viendront après la nôtre. En proposant les concepts de « maison commune » pour désigner notre terre et « d’écologie intégrale » pour montrer l’étendue de la problématique qui ne concerne pas seulement les questions environnementales mais toute la vie humaine et sociale, le Pape François a donné un éclairage à partir de notre foi et a ouvert des perspectives qui ne réduisent pas la réussite de la COP 21 à la seule décision importante des efforts à faire pour réduire le réchauffement climatique. Il s’agit d’oser regarder l’ensemble de la vie en société et entre les pays. Le Pape François invite à chercher un nouveau modèle de développement qui intègre le souci des plus pauvres et les associe davantage aux prises de décisions.
« Quand on parle d’  « environnement », écrit le Pape François, on désigne en particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. (…) Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature. » (139).
Cette après-midi nous regarderons ensemble cet événement important et la manière dont notre Eglise, parfois associée à d’autres Eglises chrétiennes et aux membres d’autres religions, va y prendre sa part tant au plan national que dans nos diocèses et tout particulièrement à Saint-Denis et à Paris.
Il n’est pas inutile de rappeler qu’en 1982 la commission sociale de l’épiscopat avait produit un document toujours actuel dans son propos, intitulé « Pour de nouveaux modes de vie ». Il invitait déjà à cette conversion de nos comportements de vie et de notre rapport à l’usage des biens matériels ainsi qu’à la solidarité avec les plus pauvres. Cette réflexion va jusque-là : Que devons-nous changer dans nos modes de vie pour prendre notre part dans le respect de la création, la préparation d’un monde plus juste pour tous et une sobriété de vie ramenant vers l’essentiel ? Trop souvent les hommes se comportent comme des propriétaires de la terre et non comme des gestionnaires qui en ont reçu la charge et la protection pour le bien commun de tous les hommes et de toutes les générations.
Une Eglise qui soutient l’espérance et construit la fraternité
Parfois, comme beaucoup de nos contemporains, nous ne savons pas très bien où va ce monde. Au sein même de notre Eglise des sensibilités diverses s’expriment tant sur les analyses que sur les axes missionnaires à privilégier. Nous expérimentons que nous sommes bien dans notre mission quand nous permettons à des hommes et des femmes de trouver un chemin d’espérance solide et nouveau grâce à la rencontre du Christ expérimentée, vécue. De combien de témoignages de conversions joyeuses ne sommes-nous pas les témoins ? L’espérance trouvée renouvelle les cœurs, fortifie les courages, donne une direction et un sens. Les peurs diverses sont vaincues, les horizons s’élargissent, la confiance en Christ vient supplanter celle mise uniquement dans tel ou tel combat idéologique, porteur un moment, épuisant souvent.
Le dixième anniversaire des émeutes qui ont marqué les banlieues françaises en novembre 2005, suite à la mort tragique de deux adolescents, fait apparaître à nouveau les questions auxquelles notre société cherche une réponse : problèmes de logement ou de travail, problèmes de santé ou d’éducation, problèmes familiaux ou de voisinages, questions sur le visage pluriel et interreligieux pris par nos sociétés. Etre pris par des peurs aux formes multiples ou s’engager pour un monde fraternel et solidaire : Telles sont bien souvent les alternatives qui nous apparaissent et que nous voyons à l’œuvre. Avec beaucoup d’autres nous cherchons les contours d’un avenir apaisant dans un contexte où beaucoup sont éprouvés. Nous autres, évêques, nous voulons rappeler que l’Esprit n’a pas déserté le cours de l’histoire, qu’Il est présent dans le cœur des personnes et par le témoignage des croyants. Nous voulons inviter les fidèles de nos communautés à mettre leur confiance en la fidélité de Dieu, en la force de sa grâce, en sa miséricorde infinie. Nous voulons les inviter à être des artisans de paix, de dialogue, des acteurs de justice et de fraternité généralisée. C‘est le Christ qui nous invite et nous propose cet engagement pour être à l’image du Père « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ! » (Mt 5,45). Nous avons entrepris un temps de discernement évangélique ensemble lors de la précédente assemblée plénière. Peut-être faut-il voir comment le poursuivre peut-être sur nos initiatives pour soutenir l’espérance et l’engagement des Eglises qui nous sont confiées ?
Relisons chaque jour les béatitudes et celle-ci particulièrement : « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. »
Que la Vierge Marie, Notre Dame de Lourdes, mère des Hommes, femme de foi, elle qui participe tant à l’œuvre de l’annonce de l’Evangile soutienne notre espérance et nous pousse sur les chemins de la fraternité.
Mgr Georges Pontier
Archevêque de Marseille
Président de la Conférence des évêques de France

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