Marie-Eustelle et la prière

« Il est essentiel, pour la disposition à la sainte oraison, de travailler à acquérir la mortification intérieure, qui consiste à ruiner ses petits penchants naturels : car plus nous aurons soin de vider notre âme de nous-mêmes, plus l’époux céleste la remplira.

Lorsqu’on veut remplir un vase de quelque liqueur précieuse, on a soin ordinairement de le nettoyer ; de même notre âme a besoin d’être pure, pour contenir le parfum du don d’oraison. Allez à Jésus dépouillée de vous-même, tenez-vous à ses pieds comme l’amante Madeleine.

La prière est une élévation de notre cœur vers Dieu : la connaissance de ce qu’il est et de ce que nous sommes suffit, en sa présence, pour nous maintenir dans l’humilité la plus profonde. Dieu est au-dedans de nous, plus que nous ne sommes en nous-mêmes. Aussi Jésus-Christ disait-il : le royaume de Dieu est au-dedans de vous. Accoutumez-vous à voir notre bon Sauveur présent dans votre âme et reposant sur votre cœur, et cela, durant l’oraison.

Soyez, devant lui, comme une plante malade qu’on expose aux bénignes influences de l’astre du jour ; comme un pauvre à la porte d’un riche ; comme goutte d’eau qui s’abîme dans l’Océan ; comme le néant qui se perd dans son tout. Dites comme l’aveugle de l’Évangile : Seigneur faites que je voie.

C’est surtout la divine Eucharistie qui doit être le sujet de votre oraison. Lorsque votre cœur s’unit à ce Dieu Sauveur, la vue de cette faveur doit occuper votre âme et l’embraser du céleste amour : demeurez alors calme et paisible, devant Jésus, comme une statue que son maitre aurait placée dans une niche.

Écoutez Jésus et répondez-lui intérieurement : il entendra bien votre langage. Aimez-le doucement, sans crainte, sans inquiétude ; laissez-vous pénétrer de son amour ; les désirs suffisent quelquefois dans la prière, et la confiance la plus parfaite en doit être le fruit.

Enfin ne vous rebutez pas des difficultés que vous pourrez rencontrer dans cet exercice ; le Démon sait le bien qui en résulte : aussi tache-t-il d’en détourner les âmes. Mais ayez bon courage ; aimez beaucoup.

Pour cela, il faut du temps : le jardinier qui sème n’est pas prêt à recueillir des fruits : il attend que le pepin qu’il a confié à la terre devienne un rejeton, et qu’il grandisse ; puis il y insère la greffe ; autrement il ne serait qu’un sauvageon ; il lui donne, s’il est nécessaire, un tuteur pour le soutenir ; il le soigne lui-même ; il le taille, quand le temps est venu. Ce n’est qu’après tous ces soins divers, que l’arbre enfin produit des fleurs qui, plus tard, se changent en fruits. Il en est de même de notre âme. Le jardinier qui la cultive, c’est Jésus ; mais il faut que nous coopérions à sa culture ; cette coopération est facile : la grâce est là pour nous assister. Comptez donc bien sur son secours.

Aimez l’oraison : elle est la source de l’union avec le Dieu Sauveur ; elle seule dispose d’une manière parfaite à la sainte communion. Faites-en vos délices. »     

(CIXe lettre de Marie-Eustelle Harpain)