Les foules suivent Jésus. Mais que veulent-elles au juste ? Veulent-elles un roi tout humain capable de combler leur faim de pain et de sécurité, ou un roi de gloire capable de leur ouvrir le chemin de l’éternité, leur partageant le pain de vie après le pain de blé et les poissons ? Le chemin passe par la fraternité et par le partage ; pour cela, Dieu a besoin de l’homme et celui–ci doit se comporter d’une manière digne de sa vocation, nous rappelle saint Paul.
Homélie du 25 juillet 2021, 17e dimanche du temps ordinaire
Lectures du jour : 2 R 4, 42-44 Ps : 144, 10-11, 15-16, 17-18 Ep 4, 1-6 Jean 6, 1-15
Dieu, le créateur, le sait bien ! Tant que notre faim et notre soif ne sont pas rassasiées nous avons du mal à tourner notre regard vers des vérités transcendantes. Comme Elisée (Livre des Rois), pour ces foules affamées, Jésus partage les pains et les poissons. Pour les foules, cette multiplication présente la tentation de vouloir le faire roi, un roi tout humain qui, à l’exemple de ce que prétendent les politiques, serait capable de combler tous les besoins et les attentes des hommes.
Dieu appelle les hommes pour participer à l’œuvre du salut
La question de la nourriture et du jeûne, l’image du banquet, tout cela traverse la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse et au festin des noces de l’Agneau. La faim est un scandale quand elle touche des populations privées du strict nécessaire, quand la famine anéantit jusqu’à la dignité des hommes. Cette faim-là doit nous mobiliser sans cesse. Dieu veut d’abord nous dire l’indispensable fraternité capable, quand elle se mobilise, de faire reculer la faim. C’est l’esprit fraternel de l’homme de Baal-Shalisha qui apporte “vingt pains d’orge et du grain frais”, c’est celui du jeune garçon, remarqué par André, qui a cinq pains d’orge et deux poissons. Bien sûr ce n’est pas assez, à vue humaine, pour nourrir toute cette foule.
C’est cependant indispensable car Dieu a besoin de l’homme pour en faire un frère des hommes, capable de vivre en communauté, en Eglise. Saint-Paul, dans sa lettre à Philémon, recommande Onésime, non plus comme un esclave, mais comme un frère très cher. il donne une belle leçon de dignité humaine à ses contemporains lui qui était issu d’un milieu fier de son identité religieuse. Les pères de l’Eglise, notamment saint Jean Chrysostome, n’hésitent pas à dénoncer l’injustice sociale. Saint Augustin, dans sa règle, en référence à la première communauté chrétienne de Jérusalem, précise que la répartition des biens se fera en fonction des besoins de chacun et non selon le principe de la pure égalité ! La vie monastique fut considérée comme l’idéal de la vie sociale sur terre.
La beauté de l’évangile sauvera le monde
Pour la nourriture que nous consommons chaque jour, des dizaines d’hommes et de femmes ont donné de leur temps, de leur travail, de leur savoir-faire. La nature elle-même que nous traitons si mal, a su se montrer bienveillante. Dieu a voulu de nous pour faire un peuple de frères solidaires parce qu’interdépendants et dépendants de notre mère la terre, notre maison commune. Il n’y a pas de miracle si les hommes ne se font pas “frères de tous”. Fratelli Tutti nous le rappelle. C’est sans doute ce que veut nous dire Paul quand il nous exhorte à nous conduire d’une manière digne de notre vocation, avec humilité, douceur et patience, en nous supportant les uns les autres.
Saint Paul nous rappelle notre identité baptismale, plus forte que nos différences, nos oppositions…. Saint Paul nous parle de la dignité de notre vocation quand il est en prison….. ! N’ayons pas peur de faire vivre et grandir cette identité chrétienne, n’ayons pas peur de la montrer car elle est belle, et c’est la beauté qui sauvera le monde, disait Dostoïevski. La beauté, c’est celle de notre vocation de baptisé, c’est le courage de nos frères chrétiens dans la persécution, c’est le courage qui doit être la nôtre, dans notre pays…
Comme toujours, le don de Dieu est plus grand, plus vaste, que notre attente toute humaine. Quand Jésus nourrit la foule, nous sommes proches de la fête de Pâque, précise saint Jean. Cette Pâque-là n’est pas n’importe laquelle, c’est la Pâque qui va voir Jésus livré par une autre foule, peut-être la même, celle qui, déçue de ne pouvoir le faire roi, consent, dans la plus totale ignorance de ce qu’elle fait, à le livrer à la mort. Lors du dernier repas qu’il partage avec ses disciples Jésus prend le pain et le vin “fruits de la terre, de la vigne et du travail des hommes”. C’est le pain et le vin dont la fonction première est bien de combler la faim et d’étancher la soif des hommes. Dans ce don de la terre et du travail des hommes, l’amour de Dieu est à l’œuvre.
Et voilà que dans le sacrifice eucharistique, le don que Dieu nous fait de la nourriture retourne vers lui, le Père de toute humanité. Jésus donne sa vie pour nous, pain et vin partagés, non plus seulement pour satisfaire notre faim d’ici-bas, mais pour nous ouvrir les portes du Royaume. De ce Royaume dans lequel l’homme n’entrera qu’à la mesure de sa fraternité, de sa capacité d’amour, de son sens du partage et quand il reconnaîtra qu’il y a “un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous”. Chers frères et sœurs, apportons nos bras et nos esprits pour participer à la mission de l’Eglise et nos vies seront belles au regard divin !
+ Georges Colomb
Evêque de La Rochelle et Saintes